Œuvres complètes de lord Byron, Tome 10. George Gordon Byron
Читать онлайн книгу.en effet, on ne peut plus sensible au plaisir ou au déplaisir de ceux avec lesquels il vivait; et s'il avait passé sa vie sous l'influence immédiate de la société, on peut douter qu'il se fût jamais abandonné à cette énergie sans frein, dans laquelle il déploya ses talens, et dont il abusa quelquefois. Quand il publia sa première satire, la société ne lui avait pas encore imposé son joug salutaire, et au moment où il donna Caïn et Don Juan, il avait de nouveau brisé tous les liens qui l'y attachaient. De là cet instinct de solitude et d'indépendance auquel il a dû une grande partie de sa force. Une fois dans le domaine de sa propre imagination, il pouvait défier le monde entier; dans la vie réelle, on eût pu le gouverner par un froncement de sourcil, par un sourire. La facilité avec laquelle il sacrifia son premier avis, sur le simple conseil de son ami, M. Becher, est une grande preuve de la flexibilité de son caractère. Pour Childe-Harold, les opinions de MM. Gifford et Dallas eurent tant d'influence sur son esprit, que non-seulement il renonça à sa première idée de s'identifier avec son héros, mais encore il leur abandonna une de ses stances favorites, qu'ils avaient trouvée trop hétérodoxe. Peut-être même peut-on avancer que, si ces messieurs avaient voulu user davantage de leur influence sur lui, il eût consenti à faire disparaître toute la partie sceptique de son ouvrage. Toujours est-il certain que, pendant le reste de son séjour en Angleterre, il n'offrit rien de semblable à ses lecteurs, et que, dans les belles créations de son génie, qui illustrèrent cette époque et tinrent le public dans une admiration perpétuelle, la licence et l'amertume de son esprit furent heureusement restreintes par le sentiment des convenances. Le monde, en effet, n'avait pas encore vu ce dont il était capable, une fois qu'il se serait débarrassé de ses entraves. Quelque gracieux, quelque forts qu'eussent été ses ouvrages tant qu'il resta dans son sein, ce fut seulement quand il fut affranchi de tous liens, qu'il donna l'essor à son génie et s'éleva à cette hauteur prodigieuse où il put enfin déployer toute sa force. Quoique l'abus qu'il en fit soit déplorable, les excès mêmes de cette énergie sont si magnifiques, qu'on ne peut s'empêcher de les admirer en les condamnant.
Cette sensibilité, à l'égard de sa satire, qui m'a conduit aux remarques précédentes, est un des exemples qui montrent combien aisément cet esprit colossal eût pu être, je ne dis pas étouffé, mais comprimé par les petits liens de la société. L'agression dont il s'était rendu coupable, non-seulement était passée depuis long-tems, mais, plusieurs des plus offensés l'avaient entièrement pardonnée, et cependant, ce qui fait le plus grand honneur à son sentiment des convenances sociales, l'idée de vivre familièrement et sur un pied d'amitié avec les personnes sur les talens ou le caractère desquelles il avait exprimé une opinion si défavorable lui devint à la fin si insupportable, qu'avancé comme il l'était dans la cinquième édition des Poètes anglais, etc., il en vint à prendre la résolution d'anéantir tout-à-fait cette satire, et qu'il donna en conséquence à Cawthorn, son libraire, l'ordre de jeter l'édition entière au feu. Il sacrifia aussi dans le même tems, et par des motifs semblables, aidés, à ce que je pense, de quelques représentations amicales de lord Elgin ou de ses amis, la Malédiction de Minerve, poème dirigé contre ce seigneur, et dont l'impression était déjà fort avancée. Les Imitations d'Horace partagèrent le même sort, quoiqu'elles continssent moins de satires personnelles.
Pour prouver encore mieux combien il était sensible aux plus légers nuages qui pouvaient s'élever dans la société où il vivait, je n'ai qu'à citer les billets suivans qu'il adressa à son ami, M. William Bankes, craignant que celui-ci n'eût quelque raison d'être fâché contre lui.
LETTRE XCII
20 avril 1812.
Mon Cher Bankes,
«Je me sens blessé (ceci n'est point un cartel sauvage), je me sens blessé, dis-je, du discours que vous m'avez tenu hier au soir; j'espère cependant que ce n'est-là qu'une de vos plaisanteries profanes. Je serais désespéré que rien dans ma conduite eût pu vous faire supposer que j'avais meilleure opinion de moi-même, ou moins bonne opinion de vous. Je puis vous assurer que je suis toujours, comme au collége de la Trinité, le plus humble de vos serviteurs, et si je ne me suis point trouvé chez moi quand vous y êtes venu, j'y ai plus perdu que vous. Au milieu du tourbillon des parties, il n'y a point, il ne peut y avoir de conversation raisonnable, et quand je puis avoir ce plaisir-là, il n'en est pas que je préfère à la vôtre.
»Croyez-moi bien sincèrement votre, etc.»
BYRON.
LETTRE XCIII
Mon Cher Bankes,
«Mon empressement à provoquer une explication a dû vous convaincre que, quel qu'ait pu être le changement malheureux de mes manières, il était aussi involontaire qu'il eût été plein d'ingratitude si j'y avais effectivement mis de l'intention. Réellement, je m'étais aperçu que, quand nous étions ensemble, j'avais montré de tels caprices. Je savais bien que nous ne nous voyions pas aussi souvent que je l'aurais désiré, mais je pense qu'un observateur aussi fin que vous aurait pu en trouver la raison explicative sans aller imaginer que je fisse moins de cas d'un homme de la société duquel je trouve honneur et plaisir. Rappelez-vous que je ne fais point allusion ici au cercle, soi-disant plus étendu, de mes connaissances, mais à des circonstances que vous comprendrez facilement, j'en suis sûr, avec un peu de réflexion.
»Et maintenant, mon cher Bankes, ne m'affligez point en supposant que je puisse avoir à votre égard, ou vous au mien, d'autres pensées que celles que nous avons eues depuis long-tems. Vous me disiez, récemment encore, que mon caractère s'amendait; je serais bien fâché que vous changeassiez d'opinion. Croyez-moi, votre amitié m'est bien plus précieuse que toutes ces vanités absurdes dont je crains bien que vous ne me croyiez entiché. Je n'ai jamais contesté votre supériorité, ou douté sérieusement de votre affection pour moi; et si quelqu'un parvient jamais à mettre la zizanie entre nous, ce ne sera pas sans exciter les sincères regrets de votre bien affectionné, etc.
»P. S. Je vous verrai, je crois, chez lady Jersey; Hobhouse y vient aussi.»
Au mois d'avril, il fut de nouveau tenté d'essayer ses forces dans la Chambre Haute. Lord Donoughmore ayant fait une motion pour la prise en considération des griefs des catholiques irlandais, il s'exprima fortement en sa faveur. Ce second discours paraît avoir été moins heureux que le premier; son débit fut jugé ampoulé et théâtral; infecté, je le parierais, car je ne l'ai jamais entendu au parlement, de ce même ton déclamatoire et chanté dont il défigurait ses poésies en les récitant. Mauvaises habitudes que l'on contracte dans la plupart des écoles publiques, mais plus particulièrement à Harrow, et se rapprochant assez du chant pour déplaire davantage à ceux qui l'aiment et le comprennent le mieux.
Je trouve dans son Memorandum les anecdotes suivantes au sujet des négociations pour le changement de ministère qui eut lieu pendant cette session.
«À la réunion des pairs de l'opposition (1812), après que lord Granville et lord Grey nous eurent lu la correspondance relative à la négociation de lord Moira, j'étais assis près du duc actuel de Grafton, et je lui demandai: Que faut-il faire maintenant? – Réveiller le duc de Norfolk qui ronfle là à côté de nous, me répondit-il; je ne crois pas que les négociateurs nous aient laissé rien autre chose à faire.
»Lors des débats, ou plutôt de la discussion sur cette même question, j'étais placé immédiatement derrière lord Moira, qui était extrêmement contrarié du discours de Grey. Tandis que celui-ci parlait, Moira se tournait vers moi et me demandait fréquemment si j'étais de son avis. La question ne laissait pas que d'être embarrassante pour moi, qui n'avais pas entendu les deux partis. Moira ne cessait de me répéter: Les choses ne se sont pas passées ainsi, mais bien comme ceci et comme cela, etc. Je ne savais qu'en penser au juste; mais j'étais touché de le voir prendre cette affaire tellement à cœur.»
La motion pour l'émancipation des catholiques fut présentée une seconde fois pendant cette session par lord Wellesley, et la prise en considération emportée à la simple majorité d'une voix. Voici une autre anecdote assez amusante à propos de cette division