Vingt ans après. Dumas Alexandre

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Vingt ans après - Dumas Alexandre


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comme doivent faire de vrais cavaliers, ils demandèrent ensuite deux chambres pour eux.

      – Vous allez faire toilette, Raoul, dit Athos, je vous présente à quelqu'un.

      – Aujourd'hui, monsieur? demanda le jeune homme.

      – Dans une demi-heure.

      Le jeune homme salua.

      Peut-être, moins infatigable qu'Athos, qui semblait de fer, eût-il préféré un bain dans cette rivière de Seine dont il avait tant entendu parler, et qu'il se promettait bien de trouver inférieure à la Loire, et son lit après; mais le comte de La Fère avait parlé, il ne songea qu'à obéir.

      – À propos, dit Athos, soignez-vous, Raoul; je veux qu'on vous trouve beau.

      – J'espère, monsieur, dit le jeune homme en souriant, qu'il ne s'agit point de mariage. Vous savez mes engagements avec Louise.

      Athos sourit à son tour.

      – Non, soyez tranquille, dit-il, quoique ce soit à une femme que je vais vous présenter.

      – Une femme? demanda Raoul.

      – Oui, et je désire même que vous l'aimiez.

      Le jeune homme regarda le comte avec une certaine inquiétude; mais au sourire d'Athos, il fut bien vite rassuré.

      – Et quel âge a-t-elle? demanda le vicomte de Bragelonne.

      – Mon cher Raoul, apprenez une fois pour toutes, dit Athos, que voilà une question qui ne se fait jamais. Quand vous pouvez lire son âge sur le visage d'une femme, il est inutile de le lui demander; quand vous ne le pouvez plus, c'est indiscret.

      – Et est-elle belle?

      – Il y a seize ans, elle passait non seulement pour la plus jolie, mais encore pour la plus gracieuse femme de France.

      Cette réponse rassura complètement le vicomte. Athos ne pouvait avoir aucun projet sur lui et sur une femme qui passait pour la plus jolie et la plus gracieuse de France un an avant qu'il vînt au monde.

      Il se retira donc dans sa chambre, et avec cette coquetterie qui va si bien à la jeunesse, il s'appliqua à suivre les instructions d'Athos, c'est-à-dire à se faire le plus beau qu'il lui était possible. Or c'était chose facile avec ce que la nature avait fait pour cela.

      Lorsqu'il reparut, Athos le reçut avec ce sourire paternel dont autrefois il accueillait d'Artagnan, mais qui s'était empreint d'une plus profonde tendresse encore pour Raoul.

      Athos jeta un regard sur ses pieds, sur ses mains et sur ses cheveux, ces trois signes de race. Ses cheveux noirs étaient élégamment partagés comme on les portait à cette époque et retombaient en boucles encadrant son visage au teint mat; des gants de daim grisâtres et qui s'harmonisaient avec son feutre dessinaient une main fine et élégante, tandis que ses bottes, de la même couleur que ses gants et son feutre, pressaient un pied qui semblait être celui d'un enfant de dix ans.

      – Allons, murmura-t-il, si elle n'est pas fière de lui, elle sera bien difficile.

      Il était trois heures de l'après-midi, c'est-à-dire l'heure convenable aux visites. Les deux voyageurs s'acheminèrent par la rue de Grenelle, prirent la rue des Rosiers, entrèrent dans la rue Saint-Dominique, et s'arrêtèrent devant un magnifique hôtel situé en face des Jacobins, et que surmontaient les armes de Luynes.

      – C'est ici, dit Athos.

      Il entra dans l'hôtel de ce pas ferme et assuré qui indique au suisse que celui qui entre a le droit d'en agir ainsi. Il monta le perron, et, s'adressant à un laquais qui attendait en grande livrée, il demanda si madame la duchesse de Chevreuse était visible et si elle pouvait recevoir M. le comte de La Fère.

      Un instant après le laquais rentra, et dit que, quoique madame la duchesse de Chevreuse n'eût pas l'honneur de connaître monsieur le comte de La Fère, elle le priait de vouloir bien entrer.

      Athos suivit le laquais, qui lui fit traverser une longue file d'appartements et s'arrêta enfin devant une porte fermée. On était dans un salon. Athos fit signe au vicomte de Bragelonne de s'arrêter là où il était.

      Le laquais ouvrit et annonça M. le comte de La Fère.

      Madame de Chevreuse, dont nous avons si souvent parlé dans notre histoire des Trois Mousquetaires sans avoir eu l'occasion de la mettre en scène, passait encore pour une fort belle femme. En effet, quoiqu'elle eût à cette époque déjà quarante-quatre ou quarante-cinq ans, à peine en paraissait-elle trente-huit ou trente-neuf; elle avait toujours ses beaux cheveux blonds, ses grands yeux vifs et intelligents que l'intrigue avait si souvent ouverts et l'amour si souvent fermés, et sa taille de nymphe, qui faisait que lorsqu'on la voyait par-derrière elle semblait toujours être la jeune fille qui sautait avec Anne d'Autriche ce fossé des Tuileries qui priva, en 1623, la couronne de France d'un héritier.

      Au reste, c'était toujours la même folle créature qui a jeté sur ses amours un tel cachet d'originalité, que ses amours sont presque devenues une illustration pour sa famille.

      Elle était dans un petit boudoir dont la fenêtre donnait sur le jardin. Ce boudoir, selon la mode qu'en avait fait venir madame de Rambouillet en bâtissant son hôtel, était tendu d'une espèce de damas bleu à fleurs roses et à feuillage d'or. Il y avait une grande coquetterie à une femme de l'âge de madame de Chevreuse à rester dans un pareil boudoir, et surtout comme elle était en ce moment, c'est-à-dire couchée sur une chaise longue et la tête appuyée à la tapisserie.

      Elle tenait à la main un livre entr'ouvert et avait un coussin pour soutenir le bras qui tenait ce livre.

      À l'annonce du laquais, elle se souleva un peu et avança curieusement la tête.

      Athos parut.

      Il était vêtu de velours violet avec des passementeries pareilles; les aiguillettes étaient d'argent bruni, son manteau n'avait aucune broderie d'or, et une simple plume violette enveloppait son feutre noir.

      Il avait aux pieds des bottes de cuir noir, et à son ceinturon verni pendait cette épée à la poignée magnifique que Porthos avait si souvent admirée rue Férou, mais qu'Athos n'avait jamais voulu lui prêter. De splendides dentelles formaient le col rabattu de sa chemise; des dentelles retombaient aussi sur les revers de ses bottes.

      Il y avait dans toute la personne de celui qu'on venait d'annoncer ainsi sous un nom complètement inconnu à madame de Chevreuse un tel air de gentilhomme de haut lieu, qu'elle se souleva à demi, et lui fit gracieusement signe de prendre un siège auprès d'elle.

      Athos salua et obéit. Le laquais allait se retirer, lorsque Athos fit un signe qui le retint.

      – Madame, dit-il à la duchesse, j'ai eu cette audace de me présenter à votre hôtel sans être connu de vous; elle m'a réussi, puisque vous avez daigné me recevoir. J'ai maintenant celle de vous demander une demi-heure d'entretien.

      – Je vous l'accorde, monsieur, répondit madame de Chevreuse avec son plus gracieux sourire.

      – Mais ce n'est pas tout, madame. Oh! je suis un grand ambitieux, je le sais! l'entretien que je vous demande est un entretien de tête-à-tête, et dans lequel j'aurais un bien vif désir de ne pas être interrompu.

      – Je n'y suis pour personne, dit la duchesse de Chevreuse au laquais. Allez.

      Le laquais sortit.

      Il se fit un instant de silence, pendant lequel ces deux personnages, qui se reconnaissaient si bien à la première vue pour être de haute race, s'examinèrent sans aucun embarras de part ni d'autre.

      La duchesse de Chevreuse rompit la première le silence.

      – Eh bien! monsieur, dit-elle en souriant, ne voyez-vous pas que j'attends avec impatience?

      – Et moi, madame, répondit Athos, je regarde avec admiration.

      – Monsieur, dit madame de Chevreuse, il faut m'excuser, car j'ai hâte de savoir à qui je parle. Vous êtes homme de cour, c'est incontestable, et cependant je ne vous ai jamais vu à la cour. Sortez-vous


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