Le Domaine de Belton. Anthony Trollope
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Anthony Trollope
Le Domaine de Belton
Publié par Good Press, 2021
EAN 4064066302375
Table des matières
CHAPITRE PREMIER
Mistress Amadroz, femme de Bernard Amadroz de Belton et mère de Charles et de Clara, mourut quand ses enfants avaient huit et six ans, leur faisant ainsi éprouver le plus grand malheur qui puisse atteindre des enfants nés dans une telle position sociale. Ce malheur fut encore aggravé par le caractère du père. M. Amadroz n’était pourtant pas un méchant homme, ni même ce qu’on appelle un homme vicieux; mais il était paresseux, insouciant, et, à l’âge de soixante-sept ans, âge auquel le lecteur fait sa connaissance, il n’avait encore fait aucun bien en ce monde. Il avait fait un grand mal, car son fils Charles s’était suicidé, et cet affreux événement avait été amené en partie par l’incurie du père.
Le château de Belton est une jolie résidence située au milieu d’un parc bien boisé, au pied des collines de Quanton, dans le comté de Somerset. Les maisons de la petite ville de Belton sont groupées aux portes du parc.
Peu d’Anglais connaissent bien les beautés de leur pays, et cette partie du comté de Somerset est une des plus ignorées. Rien de charmant pourtant comme ses riches vallées, ses ravins au fond desquels court une petite rivière aux eaux profondes, et sur les pentes abruptes ses vieux chênes dont la vie semble s’être retirée depuis des années, mais qui chaque printemps se couvrent encore d’un maigre feuillage.
Le domaine de Belton, entré dans la famille Amadroz avec une héritière de ce vieux nom, comprenait autrefois toute la paroisse de Belton, qui était considérable et s’étendait jusqu’à Taunton et presque jusqu’à la mer, à six milles de là. Avec une terre de cette étendue, la famille Amadroz avait tenu un rang important dans le pays; mais la propriété ayant été successivement réduite par le grand-père et par le père de Bernard, quand celui-ci épousa une miss Winterfield deTaunton, on trouva qu’il faisait une très-benne affaire, en ce que les hypothèques qui grevaient le domaine furent payées par la fortune de sa femme. Cela fait, il leur restait encore un revenu de cinquante mille francs de rente. Comme M. Amadroz n’avait près de lui aucun voisin menant grand train, que dans ce pays reculé la vie est à bon marché, et qu’avec ce revenu il ne pouvait être question d’aller chaque année passer quelque temps à Londres, M. et Mme Amadroz auraient été en fort bonne situation si la femme avait vécu; mais elle mourut jeune, et les difficultés de Bernard Amadrez commencèrent.
Et cependant le mal vint moins de lui que de son terrible fils. Charles était un garçon intelligent, et son père, se reconnaissant inférieur en ce point, était fier de lui. A la suite d’une espièglerie, l’enfant fut renvoyé d’Harrow. Pour se venger d’un fermier qui s’était plaint des ravages de quelques bassets, il avait coupé toutes les têtes d’une plantation de jeunes sapins. Son père parut glorieux de cet exploit. Quand il fut rayé des registres de Trinity-College à Oxford, M. Amadroz se montra moins satisfait. Le jeune homme alla mener à Londres une vie de désordres, et son père ne fit rien pour le retenir. Alors commença la vieille histoire des dettes et des mensonges sans fin. M. Amadroz paya en deux ans plus de deux cent cinquante mille francs, abandonna l’assurance sur sa vie qui devait être l’unique ressource de sa fille, et le résultat de tous ces sacrifices fut que, à la suite de nouvelles pertes aux courses de Newmarket, Charles Amadroz se brûla la cervelle.
. Ce tragique événement arriva au printemps, et le malheureux père pensa qu’il ne lui restait plus qu’à mourir; mais sa santé, bien que faible, était plus forte qu’il ne le croyait, et sa sensibilité, bien que vive, l’était peut-être moins qu’il ne l’imaginait, car, au bout d’un mois, il réfléchit qu’il valait mieux vivre pour conserver un asile à sa fille et essayer, s’il était possible, d’économiser quelque chose pour elle. Ce dernier point était peut-être difficile à réaliser avec le caractère de M. Amadroz. Cependant les vieux chevaux de voiture furent vendus et le parc affermé jusqu’aux portes du château.
Ce château n’était en réalité qu’une grande maison assez laide, bâtie du temps de Georges II, et prenait son titre d’une vieille tour isolée à laquelle, depuis plusieurs générations, les garçons de la famille avaient coutume de grimper en s’accrochant au lierre qui la tapissait. Le domaine était substitué et devait, après la mort de M. Amadroz, revenir à un cousin éloigné, M. William Belton. Les habitants de la petite ville, qui aimaient leur squire pour sa belle prestance et ses grandes manières, quoiqu’il n’eût de sa vie fait de bien à personne, voyaient avec peine lui succéder un étranger qui n’était pas même un gentleman, au dire des gens de Belton, car il était fermier quelque part en Norfolk. Pourquoi miss Clara n’héritait-elle pas? miss Clara née parmi eux et qui avait toujours été bonne pour tous.
Clara, lorsque la nouvelle de la mort de son frère arriva à Belton, était auprès d’une dame veuve, sa tante par alliance, mistress Winterfield, née Folliott, qui vivait à l’autre extrémité du comté, à Perivale, petite ville que je soutiens être la plus ennuyeuse de l’Angleterre.
En apprenant le malheur qui la frappait, Clara fut anéantie par le chagrin et par la honte. La vie lui sembla à jamais finie pour elle. Mais avant même qu’elle eût rejoint son père, l’énergie de sa nature avait repris le dessus. Son frère avait été faible en échappant par la mort d’un lâche aux soucis de ce monde; c’était à elle à montrer du courage et à supporter sans murmure la destinée qui lui était faite.
Après l’explosion de désespoir qui suivit l’arrivée de sa fille, M. Amadroz ne prononça plus le nom de son malheureux fils, et Clara se mit aux nouveaux devoirs de sa position, s’efforçant de vivre comme si elle n’avait pas été frappée de la foudre.
L’homme d’affaires de la famille avait annoncé à M.