Les amours d'une empoisonneuse. Emile Gaboriau

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Les amours d'une empoisonneuse - Emile Gaboriau


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Olympia. Mais si grande que fût sa haine, il n'était point encore arrivé à ce point suprême où l'homme peut regarder en face les plus grands crimes.

      C'est avec une réelle colère qu'il se dressa sur son lit. Étendant les mains en avant comme pour conjurer un danger:

      – Retire-toi, démon, s'écria-l-il, retire-toi!

      – Et tu dis que tu veux te venger, murmura Exili d'une voix méprisante. Pauvre fou! un jour viendra où, las de souffrir, tu voudras à la fois la liberté et des armes pour rentrer dans la mêlée du monde.

      Ce jour-là, tu viendras à moi, et c'est à genoux que tu me demanderas de venir à ton secours et de te tendre la main.

      – Jamais! répondit avec horreur le chevalier, jamais!

      Exili se retira sans bruit comme il était venu, et, dans l'obscurité, regagna sa couchette, laissant le jeune homme en proie aux plus sombres pensées.

      C'est avec une invincible horreur que le lendemain, au jour, Sainte-Croix se retrouva en présence de son terrible compagnon.

      Il conjura le geôlier de le changer de chambre; mais le geôlier lui répondit qu'en ce moment il y avait presse à la Bastille et que d'ailleurs on n'avait pas l'habitude de se soumettre à tous les caprices des prisonniers.

      Sainte-Croix dut en prendre son parti.

      D'ailleurs, sa répugnance pour son compagnon de captivité ne devait pas être de longue durée: le maître habile venait de trouver un digne écolier.

      Sainte-Croix, avec son fatal caractère, assemblage de bien et de mal, de qualités et de vices, ne tarda pas à s'éprendre d'admiration pour cet homme étrange que son mauvais génie avait jeté sur sa route.

      Et cette admiration s'explique facilement.

      Exili n'était pas de ces empoisonneurs vulgaires dont la science consiste à donner brutalement la mort.

      C'était un homme supérieur dans toute la force du terme; s'il eût appliqué au bien le rare génie que lui avait donné le Créateur, nul doute qu'il n'eût pris place parmi les bienfaiteurs de l'humanité et qu'il n'eût attaché son nom à quelqu'une de ces découvertes qui illustrent un siècle.

      Penseur, philosophe, investigateur, il avait tout vu, tout étudié; sa prodigieuse mémoire était comme un vaste répertoire de toutes les sciences que Sainte-Croix pouvait interroger sans cesse et qu'il ne trouvait jamais en défaut.

      Mais surtout et avant tout, Exili était un grand artiste en poisons.

      Du meurtre il en avait fait un art. Dépositaire de secrets terribles, il avait voulu trouver des secrets nouveaux; et, sans relâche, sans trêve, il avait poursuivi ses travaux et ses expériences.

      Il en était arrivé à soumettre la mort à des règles fixes et positives; en sorte que l'intérêt n'était plus son mobile, mais bien un irrésistible besoin d'expérimentation.

      – C'est surtout lorsqu'il lui arrivait de causer de cette science fatale que Sainte-Croix écoutait avec une religieuse terreur.

      – Que d'autres, disait Exili, le visage rayonnant d'orgueil et la voix inspirée, que d'autres s'épuisent à chercher le secret de la vie, ils ne le trouveront pas, et moi j'ai trouvé le secret de la mort.

      – Hélas! murmura Sainte-Croix, où cela vous a-t-il conduit?

      – A égaler Dieu, répondit le sombre alchimiste du néant. Dieu a conservé pour la puissance divine la création, la vie; aux hommes il a abandonné la destruction, la mort. Ne comprends-tu donc pas qu'en détruisant j'égale la divinité?

      Et, comme le chevalier faisait un geste de doute, Exili continuait:

      – Ne suis-je pas tout-puissant d'ailleurs, moi qui tiens la vie de tous dans ma main, moi qui peux frapper comme la foudre?

      Quel est le roi dont le pouvoir égale le mien?

      Un jour vint enfin où Sainte-Croix osa avouer à Exili que lui aussi s'était occupé de la science des poisons; il raconta ses précédentes expériences.

      Son compagnon se prit à sourire.

      – Vous en êtes encore, lui dit-il, aux premières, aux plus vulgaires notions de l'art.

      Vingt années de travaux assidus vous mettraient à peine sur la voie de la science véritable, de cette science que se sont transmise tous les grands artistes de l'Italie; parce que leurs secrets, voyez-vous, sont de ceux qui ne se divulguent pas, mais que chaque maître lègue mystérieusement à un élève favori longtemps éprouvé.

      – Voulez-vous, s'écria Sainte-Croix, que je sois cet élève?

      L'Italien hocha la tête d'un air indécis.

      – Nous ne nous connaissons pas assez, dit-il; qui me répond que vous en êtes digne?

      – Mon passé. Je suis jeune encore, mais j'ai déjà beaucoup souffert.

      – Je ne vois pourtant pas, reprit Exili, ce qui a pu vous manquer dans la vie: vous êtes jeune, vous êtes riche, vous êtes beau, vous devez être aimé.

      – Il m'a manqué un nom, interrompit Sainte-Croix, et Dieu m'avait mis l'orgueil au cœur.

      Une satanique satisfaction illumina le visage d'Exili.

      – L'orgueil! murmura-t-il, très bien; nous ferons quelque chose de vous, chevalier; mais, continuez, de grâce, car c'est dans le passé que je lis l'avenir.

      – Tout le monde me croit de race à Paris ou feint de le croire; mon courage et mon épée m'ont du moins valu cela.

      J'appartiens tout simplement à une de ces familles dont l'obscurité cache mal la misère. Mon père était un artisan. Il eût voulu en faire autant de moi sans doute; mais j'avais à peine le sentiment des choses de ce monde, que déjà la fièvre d'orgueil me tenait.

      J'étais alors ambitieux d'argent, d'amusements et de parures: la vue d'un ruban, le bruit d'un verre, le choc des dés, le sourire d'une grande dame, tout cela emplissait mon esprit précoce d'aspirations vagues et insensées.

      Aussi, à l'heure où les enfants des pauvres pâtissent encore à l'atelier ou sur les bancs de l'école, j'avais déserté l'un et l'autre pour le cabaret, la salle d'armes et le tripot.

      J'y acquis, en compagnie de tout ce que Montauban comptait de bretteurs et d'intrigantes, cette sûreté de coup d'œil, cette prestesse de main et ce bonheur au jeu qui m'ont rarement abandonné.

      Mais mon père en mourut.

      Je pleurai mon père.

      – On n'est pas parfait dans un âge aussi tendre, interrompit Exili.

      Le chevalier continua:

      – J'avais seize ans lorsqu'une déplorable affaire, – homme tué ou fille séduite, je ne sais plus au juste, – me força de quitter le Languedoc.

      Paris est le soleil autour duquel gravitent tous les satellites de ma trempe. Je vins à Paris.

      Seulement, comme pour me faire ouvrir les portes du monde dans lequel je voulais entrer, il me fallait un nom, un titre, de la fortune, je m'appelai le chevalier Guadin de Sainte-Croix et les poches des niais me fournirent des subsides.

      J'eus des duels. On ne s'appelle pas impunément le chevalier de Sainte-Croix.

      Un gentilhomme de Beauvoisis trouva un jour mauvais que ses pistoles passassent si facilement de son escarcelle dans la mienne; il me le dit en termes de fort mauvais goût, et alla même jusqu'à mettre en doute la légitimité de mon titre.

      Je le priai de venir faire avec moi un tour derrière les Chartreux… et il ne douta plus.

      – Vous l'aviez convaincu? demanda Exili.

      – Je l'avais tué. Malheureusement l'affaire fit du bruit.

      La famille réclama, et comme je ne voulais pas avoir maille à partir avec messieurs de la prévôté et du point d'honneur, je m'en fus à Compiègne recommencer une idylle


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