Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau


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du but que par la longueur du bras que l'anxiété est terrible.

      – Non, répondit-il, je suis un fou, et je me mets martel en tête pour des soupçons chimériques. S'il se trouvait un homme habile à ce point de m'avoir pénétré, patient jusque-là d'endosser la livrée de Croisenois pour me surveiller de plus près, cet homme ne serait pas assez simple pour se créer cette originalité qui me l'a fait remarquer.

      Il se disait cela, mais il se raisonnait aussi vainement qu'un poltron siffle dans l'obscurité pour dissiper ses terreurs.

      Entre tous ses expédients, parmi ses moyens d'investigations, il devait bien s'en trouver un qui lui permit de fouiller dans le passé de ce domestique si susceptible, et il cherchait.

      Il se creusait la tête, lorsque Beaumarchef parut de nouveau tout effaré.

      – Encore toi! dit durement le placeur; qui t'a appelé? Je ne saurais donc rester tranquille une minute aujourd'hui?

      – Patron, c'est que…

      – Va-t'en.

      Mais le docile sous-off ne recula pas d'une semelle.

      – C'est le petit qui est là, insista-t-il.

      – Paul?

      – Lui-même, patron.

      – Comment, à cette heure!.. Je ne lui avais donné rendez-vous que pour midi. Lui serait-il survenu quelque aventure?

      Il s'interrompit.

      La porte que Beaumarchef avait laissé entrebâillée s'ouvrit, livrant passage à Paul Violaine.

      En effet, il avait dû lui arriver quelque chose d'extraordinaire.

      Il était pâle, défait, ses yeux avaient cette indicible expression d'égarement de l'animal longtemps poursuivi par une meute.

      Ses vêtements en désordre, son linge fripé trahissaient une nuit passée à errer au hasard.

      – Ah! monsieur, commença-t-il…

      D'un geste impérieux, le placeur lui imposa silence.

      – Laissez-nous, Beaumar, fit-il, et vous, mon enfant, asseyez-vous.

      Paul s'assit, ou plutôt se laissa tomber comme une masse sur un fauteuil.

      – Ma vie est finie, murmurait-il, je suis déshonoré, perdu!..

      L'estimable directeur de l'agence de placement avait la mine abasourdie d'un homme qui tombe des nues.

      Mais cette grande stupéfaction était feinte, un de ses familiers l'eût reconnu au mouvement de ses lunettes bleues, cet indispensable accessoire de son individu, qui, à la longue, faisaient comme partie intégrante de sa personne et semblaient ressentir quelque chose de toutes ses impressions.

      Les causes de l'état où il voyait Paul, il les connaissait pour les avoir préparées avec le soin du dramaturge qui, dès le premier acte, apprête les scènes du dénouement.

      S'il était surpris, ce ne pouvait être que du résultat prompt et violent de ses combinaisons. Si expérimenté qu'on soit, il est difficile, quand on charge, d'en calculer exactement l'effet.

      C'est cependant avec le naturel admirable d'un auditeur bénévole qui s'attend à des émotions, qu'il se tassa dans son fauteuil, en disant:

      – Voyons, mon enfant, remettez-vous, ayez confiance en moi, ouvrez-moi votre cœur. Que vous arrive-t-il?

      Paul se leva à demi, et c'est du ton le plus tragique, avec un geste désolé, qu'il répondit:

      – Rose m'a abandonné.

      B. Mascarot leva ses bras au ciel, paraissant le prendre à témoin de l'insigne folie de son protégé.

      – Et c'est pour cela, fit-il, que vous dites que votre vie est perdue, à votre âge, lorsque vous ne pouvez même vous douter de toutes les revanches que vous réserve l'avenir!..

      – J'aimais Rose, monsieur!

      Si comique que fut son emphase, qu'un imperceptible sourire glissa sur les lèvres pâles du placeur.

      – Diable!.. fit-il.

      – Mais ce n'est pas tout, reprit le pauvre garçon, qui faisait, pour retenir ses larmes, les plus héroïques et les plus inutiles efforts, je suis accusé d'un vol infâme.

      – Vous? demanda le placeur, qui, en même temps, se disait: Nous y voici donc!..

      – Moi, monsieur, et seul au monde, vous pouvez affirmer mon innocence, parce que seul vous savez la vérité.

      – La vérité!..

      – Oui, par vous je puis être sauvé. Hier, vous avez daigné me témoigner tant de bienveillance, que j'ai songé à vous tout de suite, et que, devançant l'heure que vous m'aviez fixée, je viens vous demander aide et assistance.

      – Mais, que puis-je?

      – Tout, monsieur. De grâce, permettez que je vous raconte de quelle fatalité je suis victime.

      La physionomie de B. Mascarot exprima le plus vif intérêt.

      – Parlez, dit-il.

      – Hier, monsieur, reprit Paul, peu de temps après vous avoir quitté, j'ai regagné l'hôtel du Pérou. J'arrive, je monte à ma mansarde, et bien en évidence, sur la cheminée, j'aperçois cette lettre de Rose.

      Il tendait la lettre en même temps; mais le placeur ne daigna pas la prendre.

      – Rose, monsieur, me déclare qu'elle ne m'aime plus et me prie de ne jamais chercher à la revoir. Elle me dit que, lasse de partager ma misère, elle accepte une fortune qui lui est offerte, des diamants, une voiture…

      – Cela vous surprend.

      – Ah!.. monsieur, pouvais-je m'attendre à cette trahison infâme, lorsque la veille encore elle n'avait pas assez de serments pour m'affirmer son amour? Pourquoi mentir? Voulait-elle me rendre sa perte plus cruelle! Partie!.. Je suis tombé comme assommé sous le coup. Moi qui arrivais me faisant fête de sa joie quand je lui apprendrais vos promesses!.. Pendant plus d'une heure je suis resté dans ma chambre, sans avoir conscience de moi-même, pleurant comme un enfant à cette idée affreuse que je ne la reverrais plus…

      C'est avec son attention et sa pénétration habituelles que B. Mascarot étudiait son sujet.

      – Toi, pensait-il, mon garçon, tu répands trop de paroles pour que ta douleur soit aussi sincère et surtout aussi profonde que tu dis.

      Puis, tout haut, il demanda:

      – Mais enfin, ce vol, cette accusation?..

      – J'y arrive, monsieur. Le premier étourdissement passé, je résolus de vous obéir, de quitter cet hôtel du Pérou qui, plus que jamais, me faisait horreur.

      – A la bonne heure.

      – Je descendis donc et j'allai donner congé à madame Loupias et la payer. Ah!.. monsieur, quelle honte! Lorsque je lui ai tendu le montant de mes deux quinzaines, c'est-à-dire vingt-deux francs, elle m'a toisé de l'air le plus méprisant en me demandant où j'avais puis cet argent.

      B. Mascarot eut quelque peine à dissimuler un mouvement de satisfaction. C'était le succès de sa petite machination que Paul lui annonçait.

      – Qu'avez-vous répondu! interrogea-t-il.

      – Rien, monsieur, j'étais pétrifié, et les paroles s'arrêtaient dans ma gorge. Loupias s'était approché de sa femme, et tous deux me regardaient en ricanant. Après avoir bien joui de ma confusion, ils m'ont déclaré qu'ils étaient certains que, de concert avec Rose, avais volé M. Tantaine.

      – Et vous ne vous êtes pas défendu?

      – J'avais perdu l'esprit. Je voyais que tout semblait donner raison à ces gens et cette conviction m'accablait. La veille même, la Loupias avait demandé de l'argent à Rose, qui lui avait répondu que je n'en avais pas et que même je ne savais où m'en procurer. Or, voilà que, du jour au lendemain,


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