Les esclaves de Paris. Emile Gaboriau

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Les esclaves de Paris - Emile Gaboriau


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agir: elle ne doit pas être en fonds.

      L'arbitre des élégances grillait de présenter mille objections, un geste impérieux du digne placeur lui ferma la bouche.

      – Je vous prierai de m'écouter, reprit B. Mascarot, de bien retenir ce que je vais vous dire, et surtout faites-moi la grâce de me dispenser de vos remarques.

      Van Klopen avait perdu cette superbe impudence qui impose tant à sa clientèle.

      – Êtes-vous connu chez la vicomtesse de Bois-d'Ardon? demanda le placeur.

      – Oh!.. comme le loup blanc.

      – Très bien. Cela étant, après-demain, à trois heures précises, – ni plus tôt, ni plus tard, réglez-vous sur la Bourse, – vous vous présenterez chez la vicomtesse. On vous répondra que madame a une visite.

      – J'attendrai.

      – Point. Vous insisterez pour voir madame sur-le-champ. Si les domestiques étaient par trop récalcitrants, menacez-les de moi.

      – Inutile; je saurai forcer la consigne.

      – Vous pénétrerez donc dans le salon, et vous trouverez la vicomtesse en grande conversation avec M. le marquis de Croisenois. Vous le connaissez, j'imagine?..

      – Oui, mais seulement de vue…

      – Cela suffit. Vous ne vous inquiéterez nullement de lui, vous tirerez votre facture de votre poche, et brutalement, vous réclamerez de l'argent.

      – Oh!.. monsieur, y pensez-vous? La vicomtesse me menacera de me faire jeter à la porte.

      – C'est très probable. Mais vous la menacerez, vous, de porter votre facture à son mari. Elle vous ordonnera de sortir, mais au lieu d'obéir, vous vous camperez insolemment dans un fauteuil en déclarant que vous ne vous retirerez pas sans argent.

      – Mais ce sera affreux.

      – Sans doute. Mais le marquis de Croisenois mettra fin à la scène. Il vous jettera à la tête un portefeuille, en vous disant: Paye-toi, faquin!..

      – Et je déguerpirai.

      – Oui, mais avant, comme vous aurez en poche un crayon bien taillé, vous libellerez un reçu au nom de M. Croisenois pour le compte de Mme de Bois-d'Ardon.

      Jamais homme ne se vit humilié et piteux autant que l'était l'arbitre des élégances…

      – Si j'y comprends quelque chose… murmurait-il.

      – Inutile. Vous m'avez entendu?

      – J'obéirai, monsieur, mais nous perdrons la clientèle de la vicomtesse.

      – Et après!..

      Van Klopen allait peut-être essayer de se retrancher derrière sa dignité, lorsque la voix piaillarde qui, l'instant d'avant, emplissait l'antichambre éclata de nouveau, mais tout près, cette fois, dans le couloir même.

      – Elle est mauvaise! criait cette voix. On ne me la fait pas à la pose, à moi. Attendre une heure!.. plus souvent!.. Où est mon sabre? Le sabre, le sabre!.. Van Klopen occupé!.. Je la connais. Vous allez voir qu'il se dérangera pour moi.

      Ces exclamations eurent au moins ce résultat de dissiper comme par enchantement les nuages qui assombrissaient le front des deux associés.

      Ils échangèrent un regard gros de réticences, comme s'ils eussent connu cette voix aigre et fausse qui perçait le tympan.

      – C'est lui! murmura Mascarot.

      La porte s'ouvrit en même temps, et le jeune M. Gaston de Gandelu fit irruption dans le cabinet du tailleur pour dames.

      Il portait, ce jour-là, un veston plus court encore que d'habitude, un pantalon plus clair et plus étroit, un faux-col plus vaste, une cravate plus étourdissante.

      Sa plate figure était rouge et bouffie de colère.

      – C'est moi! s'écria-t-il dès le seuil. Hein!.. vous la trouvez forte, celle-là! Je suis comme cela, moi, bon enfant, mais carré, comme dit Achille de chez Vachette. Attendre plus de vingt minutes, moi!.. Ah!.. mais non.

      Il est sûr que cette infraction aux règles immuables de sa maison, que ce mépris d'une étiquette consacrée mettaient le couturier des reines hors de soi.

      Mais il était sous l'œil du placeur, il avait reçu l'ordre de s'emparer du jeune M. de Gandelu, il savait qu'on ne prend point de mouches avec du vinaigre, il se résigna à filer doux.

      – Croyez, monsieur, commença-t-il, sans réussir, toutefois, à dépouiller son air gourmé; croyez que si j'avais su…

      Cette simple explication enchanta le spirituel jeune homme.

      – Des excuses!.. interrompit-il, je les accepte. Qu'on remporte les épées!.. Farceur, va! Mais n'importe, il ne faudrait pas me la refaire. J'ai en bas mes chevaux qui sont capables d'avoir pris un rhume. Vous les connaissez, mes chevaux? Quelles bêtes, hein! Et dire que Zora voulait continuer de poser!.. Est-elle assez jeune!.. Mais je la formerai, vous verrez… Je cours la chercher.

      Sur ces mots, il disparut dans le couloir en criant:

      – Zora!.. Madame de Chantemille!.. Chère vicomtesse!..

      Le grand couturier semblait aussi à l'aise, à peu près, qu'un homme sur les charbons ardents. Quel affront pour sa maison!.. Il lançait des regards désespérés à B. Mascarot, qui, placé près de la porte donnant sur l'escalier, gardait une physionomie d'augure.

      Quant à Paul, il n'était peut-être pas éloigné de prendre ce jeune monsieur, qu'un équipage attendait à la porte, pour le modèle achevé des grâces et façons du grand monde.

      Même son cœur se serrait en songeant à l'odieux traquenard où allait être pris ce garçon si intéressant.

      Cette dernière impression fut si vive qu'il s'approcha du placeur, afin de la lui communiquer.

      – N'y a-t-il donc aucun moyen, demanda-t-il à voix basse, d'épargner cet infortuné jeune homme?

      B. Mascarot eut un de ces sourires pâles qui font frémir ceux qui le connaissent pour l'avoir vu à l'œuvre.

      – Avant un quart-d'heure, répondit-il, je vous adresserai cette même question, en vous laissant maître de la résoudre à votre guise.

      – Oh! dans ce cas…

      – Chut!.. voici venir votre première épreuve. Si vous n'êtes pas l'homme fort que j'ai cru, bonsoir. Tenez ferme!.. Une cheminée va vous tomber sur la tête.

      Les expressions étaient triviales, mais le ton était si expressif que Paul, effrayé, entrevit les plus fantastiques dangers et rassembla toute son énergie.

      Bien lui en prit, car il put étouffer le cri de surprise et de colère que devait lui arracher la vue de la femme qui entrait.

      La vicomtesse, la Zora du jeune M. de Gandelu, c'était sa Rose, à lui, dans une toilette qui, pour avoir été achetée toute faite, n'en était pas moins étourdissante.

      Évidemment, elle avait de belles dispositions, et, conseillée par l'intelligent Gaston, elle devait aller loin… Et la preuve, c'est qu'elle avait sur le nez un binocle qu'elle maintenait à grand'peine, et qui paraissait la gêner énormément.

      Elle était intimidée pourtant, et M. de Gandelu, la traînait presque.

      – Auriez-vous peur; lui disait-il. Je la trouverais drôle?.. Arrivez donc, puisque je vous affirme qu'il va chasser ses domestiques.

      Zora-Rose installée dans un fauteuil, le séduisant jeune homme se retourna vers le célèbre fournisseur des cours du Nord.

      – Eh bien! lui demanda-t-il, avez-vous pensé à nous? Avez-vous cherché et composé la toilette qui convient à la beauté de madame?

      Van Klopen ne répondit pas. Il avait les sourcils froncés, le visage contracté du devin qui, assis sur le trépied, attend l'inspiration.

      – J'y


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