La vie infernale. Emile Gaboriau

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La vie infernale - Emile Gaboriau


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encore deux pontes.

      Et quatre ou cinq jeunes gens s’écrièrent:

      – Eh!.. c’est Fernand!.. bonsoir, cher!..

      M. de Coralth était un tout jeune homme, remarquablement bien de sa personne, trop bien même, car sa beauté avait quelque chose d’inquiétant et de malsain. Il était fort blond, avec de grands yeux noirs, tendres, et les femmes devaient envier ses cheveux ondés et la pâleur unie de son teint.

      Il était mis avec une recherche rare, avec coquetterie, même: son col rabattu découvrait son cou, et ses gants rosés collaient comme la peau sur ses mains délicates et molles.

      Il salua de la tête, familièrement, en entrant, et le sourire de la fatuité aux lèvres, il s’avança vers Mme d’Argelès qui, peletonnée sur une chaise longue, près de la cheminée, causait avec deux messieurs chauves à physionomie grave et distinguée.

      – Comme vous venez tard!.. vicomte, dit-elle. Qu’avez-vous donc fait aujourd’hui? Il me semble vous avoir aperçu au bois, dans le dog-cart du marquis de Valorsay…

      Une rougeur légère monta aux joues de M. de Coralth, et, pour la dissimuler, sans doute, au lieu de répondre, il prit la main du visiteur annoncé en même temps que lui, et l’attira vers Mme d’Argelès, en disant:

      – Permettez-moi, chère madame, de vous présenter un de mes excellents amis, M. Pascal Férailleur, un avocat dont vous entendrez parler un jour.

      – Vos amis seront toujours les bienvenus chez moi, mon cher vicomte, répondit Mme d’Argelès.

      Et avant que Pascal qui s’inclinait se fût redressé, elle se détourna et reprit sa conversation interrompue.

      Le nouveau venu, cependant, valait mieux et plus qu’un regard distrait.

      C’était un homme de vingt-cinq à vingt-six ans, brun, assez grand, et dont tous les mouvements étaient empreints de cette grâce naturelle qui résulte de l’harmonie parfaite des muscles et d’une vigueur peu commune.

      Ses traits étaient irréguliers, mais leur ensemble sympathique respirait l’énergie, la franchise et la bonté.

      L’homme qui avait ce front intelligent et fier, ce regard lumineux et droit, ces lèvres rouges d’un dessin correct et spirituel, ne devait pas être un homme ordinaire.

      Abandonné par son introducteur, qui distribuait de droite et de gauche des poignées de mains, il était allé s’asseoir sur une causeuse, un peu dans l’ombre.

      Ce qu’il éprouvait n’était pas de l’embarras, mais cette instinctive défiance de soi dont on est saisi en pénétrant dans un milieu qui n’est pas le sien.

      Aussi dissimulait-il sa curiosité tant qu’il pouvait, tout en regardant et en écoutant de son mieux.

      Le salon de Mme d’Argelès était une sorte de galerie coupée en deux, par une cloison mobile et des tentures.

      Les soirs de bal, on enlevait la cloison, on la laissait les autres nuits, et on avait ainsi deux pièces, l’une où on jouait, l’autre qui était le refuge des causeurs.

      Le salon de jeu, celui où se trouvait Pascal, était vaste, très-haut d’étage et meublé avec une magnificence d’assez bon goût.

      Le tapis n’avait point de tons criards, il n’y avait pas trop d’or aux corniches, le sujet de la pendule était convenable.

      Ce qui jurait, c’était une sorte d’abat-jour mobile, placé fort ingénieusement au-dessus du lustre, de façon à renvoyer sur la table de jeu toute la lumière des bougies.

      Cette table de jeu, elle-même, était recouverte d’un tapis d’une grande richesse, mais on n’en apercevait que les coins, car on avait jeté dessus un second tapis, vert celui-là, et tout usé…

      C’est à peine si Mme d’Argelès avait une cinquantaine d’invités, mais tous, par leurs manières, semblaient appartenir à la meilleure compagnie. Ils avaient dépassé quarante ans pour la plupart, beaucoup étaient chamarrés de décorations, deux ou trois très-vieux étaient l’objet d’une certaine déférence.

      Certains noms connus que Pascal entendit prononcer, le surprirent étrangement.

      – Comment! ces gens-là ici! se disait-il… Et moi qui m’attendais à une sorte de tripot clandestin…

      Il n’y avait guère que sept à huit femmes, aucune n’était remarquable, toutes avaient des toilettes très-riches, d’un goût douteux, et des diamants.

      Pascal remarqua qu’on les traitait avec une indifférence parfaite et qu’on employait en leur parlant une politesse trop affectée pour n’être pas ironique.

      Vingt personnes au plus étaient assises au jeu; les autres s’étaient retirées dans le salon voisin, se tenaient immobiles autour de la table, ou causaient par groupes dans les coins.

      Le surprenant, c’est que tout le monde parlait bas, et il y avait comme du respect dans ce chuchotement.

      On eût dit qu’on célébrait dans ce salon les rites bizarres de quelque culte mystérieux. Le jeu n’est-il pas une idolâtrie consacrée par l’estampille du valet de trèfle, dont les cartes sont le symbole, qui a ses images et ses fétiches, ses miracles, ses fanatiques et ses martyrs.

      Et par moments, sur cet accompagnement de chuchotements, se détachaient, étranges et baroques, les exclamations des joueurs:

      – Il y a vingt louis!.. Je les tiens!.. Je passe la main!.. Le jeu est fait!.. Banco!..

      – Quelle réunion bizarre!.. pensait Pascal Férailleur; les singulières gens!..

      Et toute son attention se concentrait sur la maîtresse de la maison, comme s’il eût espéré surprendre sur son visage le mot d’une énigme.

      Mais Mme Lia d’Argelès échappait à toute analyse.

      C’était une de ces femmes dont l’âge douteux flotte, selon leur disposition, entre le 3 et le 5, qui ne paraissent pas trente ans un soir, et qui le lendemain en accusent plus de cinquante.

      Elle avait dû être très-belle autrefois, et même elle était belle encore. Seulement sa taille s’était alourdie et ses traits délicats s’empâtaient.

      Blonde, elle avait les yeux d’un bleu si clair, qu’ils paraissaient en quelque sorte déteints. Sa blancheur surtout frappait, blancheur mate et molle, trahissant l’abus des fards et des cosmétiques, la vie de nuit, à la flamme des lustres, le sommeil du jour, les volets fermés, enfin les bains prolongés et le constant usage de la poudre de riz.

      Nulle expression d’ailleurs sur sa physionomie, que celle d’une banalité accueillante. Ou eût dit que les muscles de son visage s’étaient relâchés après d’exorbitants efforts pour feindre ou dissimuler les plus violentes sensations. Il y avait quelque chose de morne et de consterné dans l’éternel et peut-être involontaire sourire figé sur ses lèvres…

      Elle portait une robe de velours sombre, avec des crevés aux manches et au corsage, «création nouvelle» du couturier Van-Klopen…

      Pascal en était là de ses observations, quand M. de Coralth, sa tournée finie, vint se jeter sur la causeuse près de lui.

      – Eh bien? demanda-t-il.

      – Ma foi! répondit l’avocat, je suis enchanté de vous avoir prié de me conduire ici. Je m’amuse prodigieusement…

      – Allons, bon! voilà mon philosophe séduit.

      – Séduit, non, mais intéressé… Il faut tout connaître, n’est-ce pas?

      Et, du ton de bonne humeur qui lui était habituel, il ajouta:

      – Quant à être le sage que vous dites… point du tout. Et la preuve, c’est que je vais risquer noblement mon louis, tout comme un autre.

      M. de Coralth parut stupéfié, mais qui l’eût observé de près eût vu un éclair de joie traverser ses yeux.

      – Vous


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