Mariages d'aventure. Emile Gaboriau

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Mariages d'aventure - Emile Gaboriau


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de son âge, de société agréable, de relations sûres, tous remarquables à un titre quelconque. Lorilleux les avait sévèrement passés au crible avant de les admettre. Aucun d’eux n’avait de sœur à marier.

      Pascal laissait faire. Il s’était fort bien aperçu des petites manœuvres du médecin, mais il ne s’en était pas inquiété. Il était loin d’en deviner le but. Il l’aurait su, qu’il ne s’en serait pas épouvanté. Les gens seuls qui se savent assez faibles pour céder à une obsession, pour sacrifier leur volonté à la volonté d’autrui, redoutent la tyrannie; ils connaissent leur irrésolution, et croient partout voir des attentats à leur liberté: ces gens-là, toujours flottants entre l’opinion de Pierre et l’avis de Paul, sont de terribles compagnons; au moindre mot, ils lèvent l’étendard de l’indépendance, se posent en révoltés, et finissent par en passer où l’on veut. S’ils se marient, leurs femmes portent sous leur crinoline le vêtement qui en ménage est le privilége, à ce qu’on prétend, du sexe fort.

      Lorilleux n’eut pas à combattre ces petites révoltes à propos de rien. Pascal était beaucoup trop sûr de sa volonté pour redouter l’influence d’autrui, et, loin d’en vouloir à son ami, il était fort touché de ses attentions. Ce genre de vie, au surplus, était tout à fait dans ses goûts; il n’aimait pas à sortir, et pourtant il aimait la causerie. Jamais il n’était si content que lorsqu’il avait quatre ou cinq bons camarades, et cela arrivait presque tous les soirs, au grand désespoir du portier qui, les jours de pluie surtout, trouvait très mauvais qu’on osât faire monter tant de monde par des escaliers cirés.

      Tout le reste du temps de Pascal était pris par ses travaux, dont l’importance croissait de jour en jour. Il suffisait à tout, descendant sans peine aux plus menus détails. Jamais on ne vit entrepreneur plus actif, et cette fièvre d’activité, il avait l’art de la communiquer à tous ceux qui l’entouraient. Il savait reconnaître le zèle, et ne lésinait jamais; il se défiait des économies ruineuses. Aussi ses employés ne se ménageaient pas, et ne gaspillaient jamais son temps; certains de recevoir double salaire s’ils faisaient un travail double, ils se jetaient sur la besogne en gens qui voient au bout un bénéfice assuré. Ainsi, il obtint de si prodigieux résultats, que les confrères rivaux se demandaient s’il n’était pas un peu sorcier. Ils se creusaient la tête à chercher une chose bien simple: Pascal savait se faire aimer et sacrifier à propos un billet de 1,000 francs.

      Après avoir bien démoli, les deux associés avaient abordé «la bâtisse,» spéculation épineuse, où le plus habile est exposé à se tromper. Mais en cela aussi ils furent heureux, parce qu’ils avaient raisonné juste.

      Pascal et Lantier, sans avoir besoin d’un livre de statistique, savaient que le nombre des gens riches, à Paris comme ailleurs, est fort limité. Ils firent leurs calculs là-dessus. Malheureusement, nos seigneurs les propriétaires, détenteurs aimables du capital, ne sont pas encore convaincus de cette fâcheuse vérité. Leurs architectes ne construisent plus que des palais, somptueuses demeures aux balcons sculptés, aux vestibules dallés de marbre. Le premier étage est destiné aux millionnaires, et il faut avoir des intelligences avec la Banque pour habiter sous les combles. On dit bien à ces entêtés qu’ils font fausse route, que le nombre de ceux qui peuvent mettre plus de 1,000 écus à leur loyer n’est pas grand: paroles et peines perdues.

      Plus tard, quand ces palais n’auront trouvé d’autre habitant qu’un portier maussade et insolent, quand les écriteaux auront pendant bien des termes essuyé la pluie et le vent sans amener un locataire, alors les tristes propriétaires de ces improductifs monuments écouteront les plaintes de leur bourse lésée. A grand renfort de cloisons, ils diviseront et subdiviseront leurs appartements magnifiques; mais ils n’en feront pas des logements commodes, et encore seront-ils forcés de les louer très cher. Beaucoup se ruineront à ce métier, et cela sans doute fera réfléchir; ils renonceront aux palais, et reviendront aux maisons.

      Plus modestes et plus sensés, Pascal et son associé se contentaient de bâtir des habitations habitables. Un honnête homme qui avait des enfants et moins de vingt mille livres de rentes, – il en est dans ce cas – y pouvait loger. Aussi, à peine terminées, étaient-elles louées de la cave au grenier, à des prix raisonnables, assez avantageux cependant, pour faire suer à l’argent placé sept ou huit pour cent, bénéfice qui n’est pas à dédaigner.

      De telles maisons, si facilement louées, se vendaient plus aisément encore. Le bouquet de fête que les maçons placent sur la dernière cheminée n’avait pas le temps de se faner que les acheteurs se présentaient. Pascal se faisait un nom parmi les architectes sérieux, et le capital social grossissait à vue d’œil.

      Ce bonheur constant, dû à beaucoup d’habileté et de savoir-faire, taquinait prodigieusement Lorilleux. Faute de savoir se l’expliquer, il se consolait en répétant ce refrain banal, pavé dont les sots qui restent en chemin assomment les gens d’esprit qui réussissent:

      – Il a de la chance.

      Et lui, Lorilleux, n’avait pas de chance, il le reconnaissait, non sans amertume. Semeur patient, il ne récoltait rien, à l’encontre de ce que promet l’Évangile. Chaque matin il était éveillé par quelque petite déception; tous les jours il trouvait dans ses combinaisons si savantes une erreur de calcul. Et au lieu de s’en prendre à lui, il s’en prenait aux événements; comme si toute l’habileté ne consistait pas en cela: dominer les événements, ou tout au moins les faire tourner à son avantage.

      Le médecin avait rêvé la gloire et la fortune, et gloire et fortune semblaient le fuir. Son nom était toujours obscur, et son plus gros client était un droguiste retiré, qui, depuis qu’il habitait la campagne et respirait un air pur, ne pouvait plus respirer.

      Aussi, insensiblement, le caractère de Lorilleux s’était aigri; son teint avait pris ce ton bilieux qui est la livrée de l’envie; il devenait tyrannique, susceptible, cassant. Il prenait les choses au pis, et ne cachait plus sa haine ni son mépris pour les hommes. Partout il voyait les intrigants et les fourbes plus adroits que lui, et il déplorait son peu d’adresse.

      Le médecin avait encore d’autres soucis qui troublaient son sommeil et assombrissaient son front. Pascal allait être décidément très riche. Cette fortune, venue si vite qu’elle avait déconcerté toutes ses prévisions, l’inquiétait horriblement. Ne serait-elle pas un obstacle? A ne considérer que l’expérience, Pascal, avec vingt mille livres de rentes, devait être beaucoup moins désintéressé que lorsqu’il était relativement pauvre. Lui qui jadis, à chaque spéculation heureuse de son ami, se frottait les mains en pensant à sa sœur, il en était réduit à lui souhaiter quelque bonne petite faillite qui ébréchât un peu son capital.

      Il se reprocha amèrement d’avoir tant attendu et résolut de démasquer ses batteries, non tout d’un coup, mais avec une sage lenteur.

      Démasquer est bien le mot. Personne au monde ne pouvait se douter des intentions de Lorilleux; sa mère même n’était pas dans la confidence. Ce profond diplomate n’avait jamais rien laissé percer de son secret. Sa sœur, aussi bien que son ami, ignorait ce projet amoureusement caressé pendant quatorze ans. Et quel secret! le rêve d’une vie entière.

      Avec une prudence au-dessus de son âge, Lorilleux s’était bien gardé d’admettre son ami dans l’intimité de sa famille. Il avait deviné qu’un mariage est presque impossible entre deux jeunes gens qui ont grandi ensemble. Se voir tous les jours ne peut conduire qu’à une douce et fraternelle amitié. Grâce à d’habiles précautions, mademoiselle Lorilleux et Pascal s’étaient à peine entrevus dans de rares occasions, ménagées avec un art infini. Ils ne s’étaient pas parlé en tout dix fois.

      Il s’agissait maintenant pour le médecin de mettre les jeunes gens en présence. Grave affaire; pourtant il lui semblait que toutes les difficultés, sauf cette fortune maudite, étaient aplanies. Pascal allait avoir trente ans, il était doué de tous ces avantages extérieurs qui séduisent une femme. Mademoiselle Lorilleux avait, elle, dix-huit ans, elle était remarquablement jolie, brune, et ravissante de grâces et de distinction. Elle devait à son frère une éducation beaucoup plus sérieuse que ne l’est


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