Contes de la Becasse. Guy de Maupassant

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Contes de la Becasse - Guy de Maupassant


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que ce serait pour moi un brevet, un titre, une gloire, que d'avoir voulu vous violenter. Parce qu'on dirait après vous avoir vue: « Tiens, Labarbe n'a pas volé ce qui lui arrive, mais il a de la chance tout de même. »

      Elle se remit à rire de tout son cœur.

      « Êtes-vous drôle? » Elle n'avait pas fini le mot « drôle » que je la tenais à pleins bras et je lui jetais des baisers voraces partout où je trouvais une place, dans les cheveux, sur le front, sur les yeux, sur la bouche parfois, sur les joues, par toute la tête, dont elle découvrait toujours malgré elle un coin pour garantir les autres.

      A la fin, elle se dégagea, rouge et blessée. « Vous êtes un grossier, monsieur, et vous me faites repentir de vous avoir écouté. »

      Je lui saisis la main, un peu confus, balbutiant: « Pardon, pardon, mademoiselle. Je vous ai blessée; j'ai été brutal! Ne m'en voulez pas. Si vous saviez ?.. » Je cherchais vainement une excuse.

      Elle prononça, au bout d'un moment: « Je n'ai rien à savoir, monsieur. »

      Mais j'avais trouvé; je m'écriai: « Mademoiselle, voici un an que je vous aime! »

      Elle fut vraiment surprise et releva les yeux. Je repris: « Oui, mademoiselle, écoutez-moi. Je ne connais pas Morin et je me moque bien de lui. Peu m'importe qu'il aille en prison et devant les tribunaux. Je vous ai vue ici l'an passé, vous étiez là-bas, devant la grille. J'ai reçu une secousse en vous apercevant et votre image ne m'a plus quitté. Croyez-moi, ou ne me croyez pas, peu m'importe. Je vous ai trouvée adorable; votre souvenir me possédait; j'ai voulu vous revoir; j'ai saisi le prétexte de cette bête de Morin; et me voici. Les circonstances m'ont fait passer les bornes; pardonnez-moi, je vous en supplie, pardonnez-moi. »

      Elle guettait la vérité dans mon regard, prête à sourire de nouveau; et elle murmura: « Blagueur. »

      Je levai la main, et, d'un ton sincère (je crois même que j'étais sincère): « Je vous jure que je ne mens pas. »

      Elle dit simplement: « Allons donc. »

      Nous étions seuls, tout seuls, Rivet et l'oncle ayant disparu dans les allées tournantes; et je lui fis une vraie déclaration, longue, douce, en lui pressant et lui baisant les doigts. Elle écoutait cela comme une chose agréable et nouvelle, sans bien savoir ce qu'elle en devait croire.

      Je finissais par me sentir troublé; par penser ce que je disais; j'étais pâle, oppressé, frissonnant; et, doucement, je lui pris la taille.

      Je lui parlais tout bas dans les petits cheveux frisés de l'oreille. Elle semblait morte tant elle restait rêveuse.

      Puis sa main rencontra la mienne et la serra; je pressai lentement sa taille d'une étreinte tremblante et toujours grandissante; elle ne remuait plus du tout; j'effleurais sa joue de ma bouche; et tout à coup mes lèvres, sans chercher, trouvèrent les siennes. Ce fut un long, long baiser; et il aurait encore duré longtemps; si je n'avais entendu « hum, hum » à quelques pas derrière moi.

      Elle s'enfuit à travers un massif. Je me retournai et j'aperçus Rivet qui me rejoignait.

      Il se campa au milieu du chemin; et sans rire: « Eh bien! c'est comme ça que tu arranges l'affaire de ce cochon de Morin. »

      Je répondis avec fatuité: « On fait ce qu'on peut, mon cher. Et l'oncle? Qu'en as-tu obtenu? Moi, je réponds de la nièce. »

      Rivet déclara: « J'ai été moins heureux avec l'oncle. »

      Et je lui pris le bras pour rentrer.

III

      Le dîner acheva de me faire perdre la tête. J'étais à côté d'elle et ma main sans cesse rencontrait sa main sous la nappe; mon pied pressait son pied; nos regards se joignaient, se mêlaient.

      On fit ensuite un tour au clair de lune et je lui murmurai dans l'âme toutes les tendresses qui me montaient du cœur. Je la tenais serrée contre moi, l'embrassant à tout moment, mouillant mes lèvres aux siennes. Devant nous, l'oncle et Rivet discutaient. Leurs ombres les suivaient gravement sur le sable des chemins.

      On rentra. Et bientôt l'employé du télégraphe apporta une dépêche de la tante annonçant qu'elle ne reviendrait que le lendemain matin, à sept heures, par le premier train.

      L'oncle, dit: « Eh bien, Henriette, va montrer leurs chambres à ces messieurs. » On serra la main du bonhomme et on monta. Elle nous conduisit d'abord dans l'appartement de Rivet, et il me souffla dans l'oreille: « Pas de danger qu'elle nous ait menés chez toi d'abord. » Puis elle me guida vers mon lit. Dès qu'elle fut seule avec moi, je la saisis de nouveau dans mes bras, tâchant d'affoler sa raison et de culbuter sa résistance. Mais, quand elle se sentit tout près de défaillir, elle s'enfuit.

      Je me glissais entre mes draps, très contrarié, très agité, et très penaud, sachant bien que je ne dormirais guère, cherchant quelle maladresse j'avais pu commettre, quand on heurta doucement ma porte.

      Je demandai: « Qui est là? »

      Une voix légère répondit: « Moi. »

      Je me vêtis à la hâte; j'ouvris; elle entra. « J'ai oublié, dit-elle, de vous demander ce que vous prenez le matin: du chocolat, du thé, ou du café? »

      Je l'avais enlacée impétueusement, la dévorant de caresses, bégayant: « Je prends… je prends… je prends… » Mais elle me glissa entre les bras, souffla ma lumière, et disparut.

      Je restai seul, furieux, dans l'obscurité, cherchant des allumettes, n'en trouvant pas. J'en découvris enfin et je sortis dans le corridor, à moitié fou, mon bougeoir à la main.

      Qu'allais-je faire? Je ne raisonnais plus; je voulais la trouver; je la voulais. Et je fis quelques pas sans réfléchir à rien. Puis, je pensai brusquement: « Mais si j'entre chez l'oncle? que dirais-je ?.. Et je demeurai immobile, le cerveau vide, le cœur battant. Au bout de plusieurs secondes, la réponse me vint: « Parbleu je dirai que je cherchais la chambre de Rivet pour lui parler d'une chose urgente. »

      Et je me mis à inspecter les portes m'efforçant de découvrir la sienne, à elle. Mais rien ne pouvait me guider. Au hasard je pris une clef que je tournai. J'ouvris, j'entrai… Henriette assise dans son lit, effarée, me regardait.

      Alors je poussai doucement le verrou; et, m'approchant sur la pointe des pieds, je lui dis: « J'ai oublié, mademoiselle, de vous demander quelque chose à lire. » Elle se débattait; mais j'ouvris bientôt le livre que je cherchais. Je n'en dirai pas le titre. C'était vraiment le plus merveilleux des romans, et le plus divin des poèmes.

      Une fois tournée la première page, elle me le laissa parcourir à mon gré; et j'en feuilletai tant de chapitres que nos bougies s'usèrent jusqu'au bout.

      Puis, après l'avoir remerciée, je regagnais, à pas de loup, ma chambre, quand une main brutale m'arrêta; et une voix, celle de Rivet, me chuchota dans le nez: « Tu n'as donc pas fini d'arranger l'affaire de ce cochon de Morin? »

      Dès sept heures du matin elle m'apportait elle-même une tasse de chocolat. Je n'en ai jamais bu de pareil. Un chocolat à s'en faire mourir, moelleux, velouté, parfumé, grisant. Je ne pouvais ôter ma bouche des bords délicieux de sa tasse.

      A peine la jeune fille était-elle sortie que Rivet entra. Il semblait un peu nerveux, agacé comme un homme qui n'a guère dormi, il me dit d'un ton maussade: « Si tu continues, tu sais, tu finiras par gâter l'affaire de ce cochon de Morin. »

      A huit heures, la tante arrivait. La discussion fut courte. Les braves gens retiraient leur plainte, et je laisserais cinq cents francs aux pauvres du pays.

      Alors on voulut nous retenir à passer la journée. On organiserait même une excursion pour aller visiter des ruines. Henriette derrière le dos de ses parents me faisait des signes de tête: « Oui, restez donc. » J'acceptais, mais Rivet s'acharna à s'en aller.

      Je le pris à part; je le priai, je le sollicitai; je lui disais: « Voyons, mon petit Rivet, fais cela pour moi. » Mais il semblait exaspéré et me répétait dans la figure: « J'en ai assez, entends-tu, de l'affaire de ce cochon de Morin. »

      Je


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