Francia; Un bienfait n'est jamais perdu. Жорж Санд

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Francia; Un bienfait n'est jamais perdu - Жорж Санд


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les sentiments humains et généreux se trouvant étouffés et comme avilis dans son coeur par le spectacle d'une lâcheté inouïe, il se trouva lui-même en proie à l'enivrement des instincts sauvages. Il se dit que cette ville était riante et folle, que cette population était facile et corrompue, que ces femmes qui venaient s'offrir et s'attacher elles-mêmes au char du vainqueur étaient de beaux trophées. Dès lors, tout au désir farouche, à la soif des jouissances, il traversa Paris, l'oeil enflammé, la narine frémissante et le coeur hautain.

      Le tsar, refusant avec une modestie habile d'entrer aux Tuileries, alla aux Champs-Elysées passer la revue de sa magnifique armée d'élite, donnant jusqu'au bout le spectacle à ces Parisiens avides de spectacles; après quoi, il se disposait à occuper l'hôtel de l'Elysée. En ce moment, il eut à régler deux détails d'importance fort inégale. Le premier fut à propos d'un avis qu'on lui avait transmis pendant la revue: suivant ce faux avis, il n'y avait point de sécurité pour lui à l'Élysée, le palais était miné. On avait sur-le-champ dépêché vers M. de Talleyrand, qui avait offert son propre palais. Le tsar accepta, ravi de se trouver là au centre de ceux qui allaient lui livrer la France; puis il jeta les yeux sur l'autre avis concernant le jeune prince Mourzakine, qui s'était si mal comporté en traversant le faubourg Saint-Martin.

      – Qu'il aille loger où bon lui semblera, répondit le souverain, et qu'il y garde les arrêts pendant trois jours.

      Puis, remontant à cheval avec son état-major, il retourna à la place de la Concorde, d'où il se rendit à pied chez M. de Talleyrand. Ses soldats avaient reçu l'ordre de camper sur les places publiques. L'habitant, traité avec tant de courtoisie, admirait avec stupeur ces belles troupes si bien disciplinées, qui ne prenaient possession que du pave de la ville et qui installaient la leurs cantines sans rien exiger en apparence. Le badaud de Paris admira, se réjouit, et s'imagina que l'invasion ne lui coûterait rien.

      Quant au jeune officier attaché à l'état-major, exclu de l'hôtel où allait résider son empereur, il se crut radicalement disgracié, et il en cherchait la cause lorsque son oncle, le comte Ogokskoï, aide-de-camp du tsar, lui dit à voix basse en passant:

      – Tu as des ennemis auprès du père, mais ne crains rien. Il te connaît et il t'aime. C'est pour te préserver d'eux qu'il t'éloigne. Ne reparais pas de quelques jours, mais fais-moi savoir où tu demeures.

      – Je n'en sais rien encore, répondit le jeune homme avec une résignation fataliste, Dieu y pourvoira!

      Il avait à peine prononcé ces mots qu'un jockey de bonne mine se présenta et lui remit le message suivant:

      «La marquise de Thièvre se rappelle avec plaisir qu'elle est, par alliance, parente du prince Mourzakine; elle me charge de l'inviter à venir prendre son gîte à l'hôtel de Thièvre, et je joins mes instances aux siennes.»

      Le billet était signé Marquis de Thièvre.

      Mourzakine communiqua ce billet à son oncle qui le lui rendit en souriant et lui promit d'aller le voir aussitôt qu'il aurait un moment de liberté. Mourzakine fit signe à son heiduque cosaque et suivit le jockey, qui était bien monté et qui les conduisit en peu d'instans à l'hôtel de Thièvre, au faubourg Saint-Germain.

      Un bel hôtel, style Louis XIV, situé entre cour et jardin, jardin mystérieux étouffé sous de grands arbres, rez-de-chaussée élevé sur un perron seigneurial, larges entrées, tapis moelleux, salle à manger déjà richement servie, un salon très-confortable et de grande tournure, voilà ce que vit confusément Diomède Mourzakine, car il s'appelait modestement de son petit nom Diomède, fils de Diomède, Diomid Diomiditch. Le marquis de Thièvre vint à sa rencontre les bras ouverts. C'était un vilain petit homme de cinquante ans, maigre, vif, l'oeil très-noir, le teint très-blême, avec une perruque noire aussi, mais d'un noir invraisemblable, un habit noir raide et serré, la culotte et les bas noirs, un jabot très-blanc, rien qui ne fût crûment noir ou blanc dans sa mince personne: c'était une pie pour le plumage, le babil et la vivacité.

      Il parla beaucoup, et de la manière la plus courtoise, la plus empressée. Mourzakine savait le français aussi bien possible, c'est-à-dire qu'il le parlait avec plus de facilité que le russe proprement dit, car il était né dans la Petite-Russie et avait dû faire de grands efforts pour corriger son accent méridional; mais ni en russe, ni en français, il n'était capable de bien comprendre une élocution aussi abondante et aussi précipitée que celle de son nouvel hôte, et, ne saisissant que quelques mots dans chaque phrase, il lui répondit un peu au hasard. Il comprit seulement que le marquis se démenait pour établir leur parenté. Il lui citait, en les estropiant d'une manière indigne, les noms des personnes de sa famille qui avaient établi au temps de l'émigration française des relations, et par suite une alliance avec une demoiselle apparentée à la famille de madame de Thièvre. Mourzakine n'avait aucune notion de cette alliance et allait avouer ingénument qu'il la croyait au moins fort éloignée, quand la marquise entra. Elle lui fit un accueil moins loquace, mais non moins affectueux que son mari. La marquise était belle et jeune: ce détail effaça promptement les scrupules du prince russe. Il feignit d'être parfaitement au courant et ne se gêna point pour accepter le titre de cousin que lui donnait la marquise en exigeant qu'il l'appelât «ma cousine,» ce qu'il ne put faire sans biaiser un peu. Les rapports ainsi établis en quelques minutes, le marquis le conduisit à un très-bel appartement qui lui était destiné et où il trouva son cosaque occupé à ouvrir sa valise, en attendant l'arrivée de ses malles qu'on était allé chercher. Le marquis mit en outre à sa disposition un vieux valet de chambre de confiance qui, ayant voyagé, avait retenu quelques mots d'allemand et s'imaginait pouvoir s'entendre avec le cosaque, illusion naïve à laquelle il lui fallut promptement renoncer; mais, croyant avoir affaire à quelque prince régnant dans la personne de Mourzakine, le vieux serviteur resta debout derrière lui, suivant des yeux tous ses mouvements et cherchant à deviner en quoi il pourrait lui être utile ou agréable.

      A vrai dire, le Diomède barbare aurait eu grand besoin de son secours pour comprendre l'usage et l'importance des objets de luxe et de toilette mis à sa disposition. Il déboucha plusieurs flacons, reculant avec méfiance devant les parfums les plus suaves, et cherchant celui qui devait, selon lui, représenter le suprême bon ton, la vulgaire eau de Cologne. Il redouta les pâtes et les pommades d'une exquise fraîcheur qui lui firent l'effet d'être éventées, parce qu'il était habitué aux produits rancis de son bagage ambulant. Enfin, s'étant accommodé du mieux qu'il put pour faire disparaître la poussière de sa chevelure et de son brillant uniforme, il retournait au salon, lorsque, se voyant toujours suivi du domestique français, il se rappela qu'il avait un service à lui demander. Il commença par lui demander son nom, à quoi le serviteur répondit simplement:

      – Martin.

      – Eh bien, Martin, faites-moi le plaisir d'envoyer une personne faubourg Saint-Martin, numéro… je ne sais plus; c'est un petit café où l'on fume;… il y a des queues de billard peintes sur la devanture, c'est le plus proche du boulevard en arrivant par le faubourg.

      – On trouvera ça, répondit gravement Martin.

      – Oui, il faut retrouver ça, reprit le prince, et il faut s'informer d'une personne dont je ne sais pas le nom: une jeune fille de seize ou dix-sept ans, habillée de blanc et de bleu, assez jolie.

      Martin ne put réprimer un sourire que Mourzakine comprit très-vite.

      – Ce n'est pas une… fantaisie, continua-t-il. Mon cheval en passant a fait tomber cette personne; on l'a emportée dans le café: je veux savoir si elle est blessée, et lui faire tenir mes excuses ou mon secours, si elle en a besoin.

      C'était parler en prince. Martin redevenu sérieux s'inclina profondément et se disposa à obéir sans retard.

      M. de Thièvre, après avoir été un des satisfaits de l'empire par la restitution de ses biens après l'émigration de sa famille, était un des mécontents de la fin. Avide d'honneurs et d'influence, il avait sollicité une place importante qu'il n'avait pas obtenue, parce qu'en se précipitant, les événements désastreux n'avaient pas permis de contenter tout le monde. Initié aux efforts des royalistes pour amener par surprise une restauration royale, il s'était


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