Isidora. Жорж Санд

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Isidora - Жорж Санд


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croyez pas cela non plus, vous me feriez trop d'honneur. J'ai été enivrée quand j'étais plus jeune. Ma mollesse et mon goût pour les belles choses combattaient mes remords et les étouffaient quelquefois. Mais ces jouissances impies portent leur châtiment avec elles. L'ennui, la satiété, un dégoût mortel sont venus peu à peu les flétrir; maintenant je les déteste et je les subis comme un supplice, comme une expiation.

      Elle m'a dit encore beaucoup d'autres choses admirables que je ne saurais transcrire comme elle les a dites. Je craindrais de les gâter, et puis je me suis senti si ému, que les larmes m'ont gagné. Il me semblait que je contemplais un fait miraculeux. Une femme opulente et belle, reniant les faux biens et parlant comme une sainte! J'étais bouleversé. Elle a vu mon émotion; elle m'en a su gré.

      «Je vous connais à peine, m'a-t-elle dit, et pourtant je vous parle comme je ne pourrais et je ne voudrais parler à aucune autre personne, parce que je sens que vous seul comprenez ce que je pense.»

      Pour faire diversion à mon attendrissement, qui devenait excessif, elle m'a parlé du livre qu'elle tenait à la main.

      «Il n'a pas compris les femmes, ce sublime Rousseau, disait-elle. Il n'a pas su, malgré sa bonne volonté et ses bonnes intentions, en faire autre chose que des êtres secondaires dans la société. Il leur a laissé l'ancienne religion dont il affranchissait les hommes; il n'a pas prévu qu'elles auraient besoin de la même foi et de la même morale que leurs pères, leurs époux et leurs fils, et qu'elles se sentiraient avilies d'avoir un autre temple et une autre doctrine. Il a fait des nourrices croyant faire des mères. Il a pris le sein maternel pour l'âme génératrice. Le plus spiritualiste des philosophes du siècle dernier a été matérialiste sur la question des femmes.»

      Frappé du rapport de ses idées avec les miennes, je l'ai fait parler beaucoup sur ce sujet. Je lui ai confié le plan de mon livre, et elle m'a prié de le lui faire lire quand il serait terminé; mais j'ai ajouté que je ne le finirais jamais, si ce n'est sous son inspiration: car je crois qu'elle en sait beaucoup plus que moi. Nous avons causé plus d'une heure, et la nuit nous a séparés. Elle m'a fait promettre de revenir souvent. J'aurais voulu y retourner aujourd'hui, je n'ai pas osé; mais j'irai demain si la porte de ce malheureux rez-de-chaussée n'est pas replacée, et si madame Germain ne me suscite pas quelque persécution pour m'interdire l'accès du jardin. Quel malheur pour moi et pour mon livre, si, au moment où la Providence me fait rencontrer un interprète divin si compétent sur la question qui m'occupe, un type de femme si parfait à étudier pour moi qui ne connais pas du tout les femmes!.. Oh! oui! quel malheur, si le caprice d'une servante m'en faisait perdre l'occasion! car cette dame m'oubliera si je ne me montra pas; elle ne m'appellera pas ostensiblement chez elle si son mari est jaloux et despote, comme je le crois! Et d'ailleurs que suis-je pour qu'elle songe à moi?

      CAHIER № 4. TRAVAIL

      L'homme est un insensé, un scélérat, un lâche, quand il calomnie l'être divin associé à sa destinée. La femme…

      CAHIER № 5. JOURNAL

      8 janvier.

      Je suis retourné déjà deux fois, et j'ai réussi à n'être pas aperçu de madame Germain. C'est plus facile que je ne pensais. Il y a une petite porte de dégagement au rez-de-chaussée, donnant sur un palier qui n'est point exposé aux regards de la loge. Toute l'affaire est de me glisser là sans éveiller l'attention de personne; l'appartement est toujours en décombres, le jardin désert. La porte du mur mitoyen ne se trouve jamais fermée en dehors à l'heure où je m'y présente; je n'ai qu'à la pousser et je me trouve seul dans le jardin de ma voisine. Toujours muni d'un livre de botanique, je m'introduis dans la serre. Le jardinier et le jockey me prennent pour un lourd savant, et m'accueillent avec toutes sortes d'égards. Quand madame n'est pas là elle y arrive bientôt, et alors nous causons deux heures au moins, deux heures qui passent pour moi comme le vol d'une flèche. Cette femme est un ange! On en deviendrait passionnément épris si l'on pouvait éprouver en sa présence un autre sentiment que la vénération. Jamais âme plus pure et plus généreuse ne sortit des mains du créateur; jamais intelligence plus, droite, plus claire, plus ingénieuse et plus logique n'habita un cerveau humain. Elle a la véritable instruction: sans aucun pédantisme, elle est compétente sur tous les points. Si elle n'a pas tout lu, elle a du moins tout compris. Oh! la lumière émane d'elle, et je deviens plus sage, plus juste, je deviens véritablement meilleur en l'écoulant. J'ai le coeur si rempli, l'âme si occupée de ses enseignements, que je ne puis plus travailler; je sens que je n'ai plus rien en moi qui ne me vienne d'elle, et qu'avant de transcrire les idées qu'elle me suggère il faut que je m'en pénètre en l'écoutant encore, en rêvant à ce que j'ai déjà entendu.

      Je n'ai songé à m'informer ni de sa position à l'égard du monde, ni des circonstances de sa vie privée, ni même du nom qu'elle porte; je sais seulement qu'elle s'appelle Julie, comme l'amante de Saint-Preux. Que m'importe tout le reste, tout ce qui n'est pas vraiment elle-même? J'en sais plus long sur son compte que tous ceux qui la fréquentent; je connais son âme, et je vois bien à ses discours et à ses nobles plaintes que nul autre que moi ne l'apprécie. Une telle femme n'a pas sa place dans la société présente, et il n'y en a pas d'assez élevée pour elle. Oh! du moins elle aura dans mon coeur et dans mes pensées celle qui lui convient! Depuis huit jours je me suis tellement réconcilié avec ma solitude, que je m'y suis retranché comme dans une citadelle; je ne regarde même plus la femme ignoble qui me sert, de peur de reposer ma vue sur la laideur morale et physique, et de perdre le rayon divin dont s'illumine autour de moi le monde idéal. Je voudrais ne plus entendre le son de la voix humaine, ne plus aspirer l'air vital hors des heures que je ne puis passer auprès d'elle. Oh! Julie! je me croyais philosophe, je me croyais juste, je me croyais homme, et je ne vous avais pas rencontrée!

      CAHIER № 1. TRAVAIL

      DE L'AMOUR.

      CAHIER № 2. JOURNAL

      15 janvier.

      Je ne croyais pas qu'un homme aussi simple et aussi retiré que moi dût jamais connaître les aventures, et pourtant en voici deux fort étranges qui m'arrivent en peu de jours, si toutefois je puis appeler du nom léger d'aventure ma rencontre romanesque et providentielle avec l'admirable Julie.

      Hier soir, j'avais été appelé pour une affaire à la Chaussée-d'Antin, et je revenais assez tard. J'étais entré, chemin faisant, dans un cabinet de lecture pour feuilleter un ouvrage nouveau, dont le titre exposé à la devanture m'avait frappé. Je m'étais oublié là à parcourir plusieurs autres ouvrages assez frivoles, dans lesquels j'étudiais avec une triste curiosité les tendances littéraires du moment; si bien que minuit sonnait quand je me suis trouvé devant l'Opéra. C'était l'ouverture du bal, et, ralentissant ma marche, j'observais avec étonnement cette foule de masques noirs, de personnages noirs, hommes et femmes, qui se pressaient pour entrer. Il y avait quelque chose de lugubre dans cette procession de spectres qui couraient à une fête en vêtements de deuil1. Heurté et emporté par une rafale tumultueuse de ces êtres bizarres, je me sens saisir le bras, et la voix déguisée d'une femme me dit à l'oreille: «On me suit. Je crains d'avoir été reconnue. Prêtez-moi le bras pour entrer; cela donnera le change à un homme qui me persécute.»

      – Je veux bien vous rendre ce service, ai-je répondu, bien que je n'entende rien à ces sortes de jeux.

      – Ce n'est pas un jeu, reprit le domino noir à noeuds roses, qui s'attachait à mon bras et qui m'entraînait rapidement vers l'escalier; je cours de grands dangers. Sauvez-moi.

      J'étais fort embarrassé; je n'osais refuser, et pourtant je savais qu'il fallait payer pour entrer. Je craignais de n'avoir pas de quoi; mais nous passâmes si vite devant le bureau, que je n'eus pas même le temps de voir comment j'étais admis. Je crois que le domino paya lestement pour deux sans me consulter. Il me poussa avec impétuosité au moment où j'hésitais, et nous nous trouvâmes à l'entrée de la salle avant que j'eusse eu le temps de me reconnaître.

      L'aspect de cette salle immense, magnifiquement


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<p>1</p>

Le journal de Jacques Laurent est daté de 183x, époque à laquelle les dominos étaient seuls admis au bal de l'Opéra. On n'y dansait pas.