La dernière Aldini. Жорж Санд

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La dernière Aldini - Жорж Санд


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et de progrès, plus aussi je sentais tout ce qui me manquait encore, et plus je craignais de me faire entendre et juger avant d'être sûr de moi-même. Enfin, un soir, au Lido, comme il faisait un clair de lune superbe, et que la promenade de la signora m'avait fait manquer et le théâtre et mon heure d'étude solitaire, je fus pris du besoin de chanter, et je cédai à l'inspiration. La signora et son amant m'écoutèrent en silence; et quand j'eus fini, ils ne m'adressèrent pas un mot d'approbation ni de blâme. Mandola fut le seul qui, sensible à la musique comme un vrai Lombard, s'écria à plusieurs reprises, en écoutant mon jeune ténore: Corpo del diavolo! che buon basso!

      Je fus un peu piqué de l'indifférence ou de l'inattention de ma patronne. J'avais la conscience d'avoir assez bien chanté pour mériter un encouragement de sa bouche. Je ne comprenais pas non plus la froideur du prince d'après les éloges qu'il m'avait donnés deux mois auparavant. Plus tard je sus que ma maîtresse avait été émerveillée de mes dispositions et de mes moyens, mais qu'elle avait résolu, pour me punir de m'être tant fait prier, de paraître insensible à mon premier essai.

      Je compris la leçon, et, quelques jours après, ayant été sommé par elle de chanter durant sa promenade, je m'en acquittai de bonne grâce. Elle était seule, étendue sur les coussins de la gondole, et paraissait livrée à une mélancolie qui ne lui était pas habituelle. Elle ne m'adressa pas la parole durant toute la promenade; mais en rentrant, lorsque je lui offris mon bras pour remonter le perron du palais, elle me dit ce peu de mots, qui me laissa une émotion singulière: «Nello, tu m'as fait beaucoup de bien. Je te remercie.»

      Les jours suivants, je lui offris moi-même de chanter. Elle parut accepter avec reconnaissance. La chaleur était accablante et les théâtres déserts; la signera se disait malade; mais ce qui me frappa le plus, c'est que le prince, ordinairement si assidu à l'accompagner, ne venait plus avec elle qu'un soir sur deux, sur trois et même sur quatre. Je pensai que lui aussi commençait à être infidèle, et je m'en affligeai pour ma pauvre maîtresse. Je ne concevais pas son obstination à repousser le mariage; il ne me paraissait pas juste que Montalegri, si doux et si bon en apparence, fût victime des torts de feu Torquato Aldini. D'un autre côté, je ne concevais pas davantage qu'une femme si aimable et si belle n'eût pour amants que de lâches spéculateurs plus avides de sa fortune qu'attachés à sa personne, et dégoûtés de l'une aussitôt qu'ils désespéraient d'obtenir l'autre.

      Ces idées m'occupèrent tellement pendant quelques jours, que, malgré mon respect pour ma maîtresse, je ne pus m'empêcher de faire part de mes commentaires à Mandola. «Détrompe-toi, me répondit-il; cette fois, c'est le contraire de ce qui s'est passé avec Lanfranchi. C'est la signora qui se dégoûte du prince et qui trouve chaque soir un nouveau prétexte pour l'empêcher de la suivre. Quelle en est la raison? Cela est impossible à deviner, puisque nous qui la voyons, nous savons qu'elle est seule et qu'elle n'a aucun rendez-vous. Peut-être qu'elle tourne tout à fait à la dévotion et qu'elle veut se détacher du monde.»

      Le soir même, j'essayai de chanter à la signora un cantique de la Vierge; mais elle m'interrompit brusquement en me disant qu'elle n'avait pas envie de dormir, et me demanda les amours d'Armide et de Renaud. «Il s'est trompé,» dit Mandola, qui ne manquait pas de finesse, en feignant de m'excuser. Je changeai de mode, et je fus écouté avec attention.

      Je remarquai bientôt qu'à force de chanter en plein air au balancement de la gondole, je me fatiguais beaucoup et que ma voix était en souffrance. Je consultai un professeur de musique qui venait au palais pour apprendre les éléments à la petite Alezia Aldini, alors âgée de six ans. Il me répondit que, si je continuais à chanter dehors, je perdrais ma voix avant la fin de l'année. Cette menace m'effraya tellement, que je résolus de ne plus chanter ainsi. Mais le lendemain la signora me demanda la barcarole nationale de la Biondina, d'un air si mélancolique, avec un regard si doux et un visage si pâle, que je n'eus pas le courage de lui refuser le seul plaisir qu'elle parût capable de goûter depuis quelque temps.

      Il était évident qu'elle maigrissait et qu'elle perdait de sa fraîcheur; elle éloignait de plus en plus le prince. Elle passait sa vie en gondole, et même elle négligeait un peu les pauvres. Elle semblait succomber à un accablement dont nous cherchions vainement la cause.

      Pendant une semaine, elle parut chercher à se distraire. Elle s'entoura de monde, et le soir elle se fit suivre par plusieurs gondoles où se placèrent ses amis et des musiciens qui lui donnèrent la sérénade. Une fois elle me pria de chanter. Je déclinai ma compétence en présence de musiciens de profession et de nombreux dilettanti. Elle insista d'abord avec douceur, et puis avec un peu de dépit; je continuai de m'en défendre, et enfin elle m'ordonna d'un ton absolu de lui obéir. C'était la première fois de sa vie qu'elle s'emportait. Au lieu de comprendre que c'était la maladie qui changeait ainsi son caractère, et de faire acte de complaisance, je m'abandonnai à un mouvement d'orgueil invincible, et lui déclarai que je n'étais pas son esclave, que je m'étais engagé à conduire sa gondole et non à divertir ses convives; et, en un mot, que j'avais failli perdre ma voix pour la distraire, et que, puisqu'elle me récompensait si mal de mon dévouement, je ne chanterais plus ni pour elle ni pour personne. Elle ne répondit rien; les amis qui l'accompagnaient, étonnés de mon audace, gardaient le silence. Au bout de quelques instants, Salomé fit un cri et saisit le petite Alezia, qui, endormie dans les bras de sa mère, avait failli tomber à l'eau. La signora était évanouie depuis quelques minutes, et personne ne s'en était aperçu.

      J'abandonnai la rame; je parlai au hasard; je m'approchai de la signora; j'étais si troublé, que j'eusse fait quelque folie si la prudente Salomé ne m'eût renvoyé impérieusement à mon poste. La signora revint à elle, on reprit à la hâte la route du palais. Mais la société était surprise et consternée, la musique allait tout de travers; et, quant à moi, j'étais si désolé et si effrayé, que mes mains tremblantes ne pouvaient plus soutenir la rame. J'avais perdu la tête, j'accrochais toutes les gondoles. Mandola me maudissait; mais, sourd à ses avertissements, je me retournais à chaque instant pour regarder madame Aldini, dont le front pâle, éclairé par la lune, semblait porter l'empreinte de la mort.

      Elle passa une mauvaise nuit; le lendemain elle eut la fièvre et garda le lit. Salomé refusa de me laisser entrer. Je me glissai malgré elle dans la chambre à coucher, et je me jetai à genoux devant la signora, en fondant en larmes. Elle me tendit sa main, que je couvris de baisers, et me dit que j'avais eu raison de lui résister. «C'est moi, ajouta-t-elle avec une bonté angélique, qui suis exigeante, fantasque et impitoyable depuis quelque temps. Il faut me le pardonner, Nello; je suis malade, et je sens que je ne peux plus gouverner mon humeur comme à l'ordinaire. J'oublie que vous n'êtes pas destiné à rester gondolier, et qu'un brillant avenir vous est réservé. Pardonnez-moi cela encore; mon amitié pour vous est si grande, que j'ai eu le désir égoïste de vous garder près de moi, et d'enfouir votre talent dans cette condition basse et obscure qui vous écrase. Vous avez défendu votre indépendance et votre dignité, vous avez bien fait. Désormais vous serez libre, vous apprendrez la musique; je n'épargnerai rien pour que votre voix se conserve et pour que votre talent se développe; vous ne me rendrez plus d'autres services que ceux qui vous seront dictés par l'affection et la reconnaissance.»

      Je lui jurai que je la servirais toute ma vie, que j'aimerais mieux mourir que de la quitter; et, en vérité, j'avais pour elle un attachement si légitime et si profond, que je ne pensais pas faire un serment téméraire.

      Elle fut mieux portante les jours suivants, et me força de prendre mes premières leçons de chant. Elle y assista et sembla y apporter le plus vif intérêt. Dans l'intervalle, elle me faisait étudier et répéter les principes, dont jusque-là je n'avais pas eu la moindre idée, bien que je m'y fusse conformé par instinct en m'abandonnant à mon chant naturel.

      Mes progrès furent rapides; je cessai tout service pénible. La signora prétendit que le double mouvement des rames la fatiguait, et afin que Mandola ne se plaignît pas d'être seul chargé de tout le travail, son salaire fut doublé. Quant à moi, j'étais toujours sur la gondole, mais assis à la proue, et occupé seulement à chercher dans les yeux de ma patronne ce qu'il fallait faire pour lui être agréable. Ses beaux yeux étaient bien tristes, bien voilés. Sa santé s'améliorait par instants, et puis s'altérait de nouveau.


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