Un hiver à Majorque. Жорж Санд

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Un hiver à Majorque - Жорж Санд


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la villa d'un riche bourgeois qui pour un prix très-modéré, selon nous, mais assez élevé pour le pays (environ cent francs par mois), nous abandonna toute son habitation. Elle était meublée comme toutes les maisons de plaisance du pays. Toujours les lits de sangle ou de bois peint en vert, quelques-uns composés de deux tréteaux sur lesquels on pose deux planches et un mince matelas; les chaises de paille; les tables de bois brut; les murailles nues bien blanchies à la chaux, et, par surcroît de luxe, des fenêtres vitrées dans presque toutes les chambres; enfin, en guise de tableaux, dans la pièce qu'on appelait le salon, quatre horribles devants de cheminée, comme ceux qu'on voit dans nos plus misérables auberges de village, et que le señor Gomez, notre propriétaire, avait eu la naïveté de faire encadrer avec soin comme des estampes précieuses, pour en décorer les lambris de son manoir. Du reste, la maison était vaste, aérée (trop aérée), bien distribuée, et dans une très-riante situation, au pied de montagnes aux flancs arrondis et fertiles, au fond d'une vallée plantureuse que terminaient les murailles jaunes de Palma, la masse de sa cathédrale, et la mer étincelante à l'horizon.

      Les premiers jours que nous passâmes dans cette retraite furent assez bien remplis par la promenade et la douce flânerie à laquelle nous conviaient un climat délicieux, une nature charmante et tout à fait neuve pour nous.

      Je n'ai jamais été bien loin de mon pays, quoique j'aie passé une grande partie de ma vie sur les chemins. C'était donc la première fois que je voyais une végétation et des aspects de terrain essentiellement différents de ceux que présentent nos latitudes tempérées. Lorsque je vis l'Italie, je débarquai sur les plages de la Toscane, et l'idée grandiose que je m'étais faite de ces contrées m'empêcha d'en goûter la beauté pastorale et la grâce riante. Aux bords de l'Arno, je me croyais sur les rives de l'Indre, et j'allai jusqu'à Venise sans m'étonner ni m'émouvoir de rien. Mais à Majorque il n'y avait pour moi aucune comparaison à faire avec des sites connus. Les hommes, les maisons, les plantes, et jusqu'aux moindres cailloux du chemin, avaient un caractère à part. Mes enfants en étaient si frappés, qu'ils faisaient collection de tout, et prétendaient remplir nos malles de ces beaux pavés de quartz et de marbres veinés de toutes couleurs, dont les talus à pierres sèches bordent tous les enclos. Aussi les paysans, en nous voyant ramasser jusqu'aux branches mortes, nous prenaient les uns pour des apothicaires, les autres nous regardaient comme de francs idiots.

      VI

      L'île doit la grande variété de ses aspects au mouvement perpétuel que présente un sol labouré et tourmenté par des cataclysmes postérieurs à ceux du monde le primitif. La partie que nous habitions alors, nommée Establiments, renfermait, dans un horizon de quelques lieues, des sites fort divers.

      Autour de nous, toute la culture, inclinée sur des tertres fertiles, était disposée en larges gradins irrégulièrement jetés autour de ces monticules. Cette culture en terrasse, adoptée dans toutes les parties de l'île, que les pluies et les crues subites des ruisseaux menacent continuellement, est très-favorable aux arbres, et donne à la campagne l'aspect d'un verger admirablement soigné.

      À notre droite, les collines s'élevaient progressivement depuis le pâturage en pente douce jusqu'à la montagne couverte de sapins. Au pied de ces montagnes coule, en hiver et dans les orages de l'été, un torrent qui ne présentait encore à notre arrivée qu'un lit de cailloux en désordre. Mais les belles mousses qui couvraient ces pierres, les petits ponts verdis par l'humidité, fendus par la violence des courants, et à demi cachés dans les branches pendantes des saules et des peupliers, l'entrelacement de ces beaux arbres sveltes et touffus qui se penchaient pour faire un berceau de verdure d'une rive à l'autre, un mince filet, d'eau qui courait sans bruit parmi les joncs et les myrtes, et toujours quelque groupe d'enfants, de femmes et de chèvres accroupis dans les encaissements mystérieux, faisaient de ce site quelque chose d'admirable pour la peinture. Nous allions tous les jours nous promener dans le lit du torrent, et nous appelions ce coin de paysage le Poussin, parce que cette nature libre, élégante et fière dans sa mélancolie, nous rappelait les sites que ce grand maître semble avoir chéris particulièrement.

      A quelques centaines de pas de notre ermitage, le torrent se divisait en plusieurs ramifications, et son cours semblait se perdre dans la plaine. Les oliviers et les caroubiers pressaient leurs rameaux au-dessus de la terre labourée, et donnaient à cette région cultivée l'aspect d'une forêt.

      Sur les nombreux mamelons qui bordaient cette partie boisée s'élevaient des chaumières d'un grand style, quoique d'une dimension réellement lilliputienne. On ne se figure pas combien de granges, de hangars, d'étables, de cours et de jardins, un payés (paysan propriétaire) accumule dans un arpent de terrain, et quel goût inné préside à son insu à cette disposition capricieuse. La maisonnette est ordinairement composée de deux étages avec un toit plat dont le rebord avancé ombrage une galerie percée à jour, comme une rangée de créneaux que surmonterait un toit florentin. Ce couronnement symétrique donne une apparence de splendeur et de force aux constructions les plus frêles et les plus pauvres, et les énormes grappes de maïs qui sèchent à l'air, suspendues entre chaque ouverture de la galerie, forment un lourd feston alterné de rouge et de jaune d'ambre, dont l'effet est incroyablement riche et coquet. Autour de cette maisonnette s'élève ordinairement une forte haie de cactus ou nopals, dont les raquettes bizarres s'entrelacent en muraille et protègent contre les vents du froid les frêles abris d'algues et de roseaux qui servent à serrer les brebis. Comme ces paysans ne se volent jamais entre eux, ils n'ont pour fermer leurs propriétés qu'une barrière de ce genre. Des massifs d'amandiers et d'orangers entourent le jardin, où l'on ne cultive guère d'autre légume que le piment et la pomme d'amour; mais tout cela est d'une couleur magnifique, et souvent, pour couronner le joli tableau que forme cette habitation, un seul palmier déploie au milieu son gracieux parasol, ou se penche sur le côté avec grâce, comme une belle aigrette.

      Cette région est une des plus florissantes de l'île, et les motifs qu'en donne M. Grasset de Saint-Sauveur dans son Voyage aux îles Baléares confirment ce que j'ai dit précédemment de l'insuffisance de la culture en général à Majorque. Les remarques que ce fonctionnaire impérial faisait, en 1807, sur l'apathie et l'ignorance des pages majorquins le conduisirent à en rechercher les causes. Il en trouva deux principales.

      La première, c'est la grande quantité de couvents, qui absorbait une partie de la population déjà si restreinte. Cet inconvénient a disparu, grâce au décret énergique de M. Mendizabal, que les dévots de Majorque ne lui pardonneront jamais.

      La seconde est l'esprit de domesticité qui règne chez eux, et qui les parque par douzaines au service des riches et des nobles. Cet abus subsiste encore dans toute sa vigueur. Tout aristocrate majorquin a une suite nombreuse que son revenu suffit à peine à entretenir, quoiqu'elle ne lui procure aucun bien-être; il est impossible d'être plus mal servi qu'on ne l'est par cette espèce de serviteurs honoraires. Quand on se demande à quoi un riche majorquin peut dépenser son revenu dans un pays où il n'y a ni luxe ni tentations d'aucun genre, on ne se l'explique qu'en voyant sa maison pleine de sales fainéants des deux sexes, qui occupent une portion des bâtiments réservée à cet usage, et qui, dès qu'ils ont passé une année au service du maître, ont droit pour toute leur vie au logement, à l'habillement et à la nourriture. Ceux qui veulent se dispenser du service le peuvent en renonçant à quelques bénéfices; mais l'usage les autorise encore à venir chaque matin manger le chocolat avec leurs anciens confrères, et à prendre part, comme Sancho chez Gamache, à toutes les bombances de la maison.

      Au premier abord, ces moeurs semblent patriarcales, et on est tenté d'admirer le sentiment républicain qui préside à ces rapports de maître à valet; mais on s'aperçoit bientôt que c'est un républicanisme à la manière de l'ancienne Rome, et que ces valets sont des clients enchaînés par la paresse ou la misère à la vanité de leurs patrons. C'est un luxe à Majorque d'avoir quinze domestiques pour un état de maison qui en comporterait deux tout au plus. Et quand on voit de vastes terrains en friche, l'industrie perdue, et toute idée de progrès proscrite par l'ineptie et la nonchalance, on ne sait lequel mépriser le plus, du maître qui encourage et perpétue ainsi l'abaissement moral de ses semblables, ou de l'esclave qui préfère une oisiveté dégradante au travail qui lui ferait recouvrer


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