Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

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Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau


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pièce où on pénétra n’offrait rien de bien insolite. C’était un boudoir tendu de satin bleu, garni d’un divan et de quatre fauteuils capitonnés en étoffe pareille à la tenture. Un des fauteuils était renversé.

      On passa dans la chambre à coucher.

      Effroyable était le désordre de cette pièce. Il n’était pas un meuble, pas un bibelot, qui n’attestât qu’une lutte terrible, enragée, sans merci, avait eu lieu entre les assassins et les victimes.

      Au milieu de la chambre, une petite table de laque était renversée, et tout autour s’éparpillaient des morceaux de sucre, des cuillères de vermeil, des débris de porcelaine.

      – Ah! dit le valet de chambre, Monsieur et Madame prenaient le thé lorsque les misérables sont entrés!

      La garniture de la cheminée avait été jetée à terre; la pendule, en tombant, s’était arrêtée sur trois heures vingt minutes. Près de la pendule, gisaient les lampes; les globes étaient en morceaux, l’huile s’était répandue.

      Le ciel de lit avait été arraché et couvrait le lit. On avait dû s’accrocher désespérément aux draperies. Tous les meubles étaient renversés. L’étoffe des fauteuils était hachée de coups de couteau et par endroits le crin sortait. On avait enfoncé le secrétaire, la tablette disloquée pendait aux charnières, les tiroirs étaient ouverts et vides. La glace de l’armoire, en pièces; en pièces un ravissant chiffonnier de Boule; la table à ouvrage, brisée; la toilette, bouleversée.

      Et partout du sang, sur le tapis, le long de la tapisserie, aux meubles, aux rideaux, aux rideaux du lit surtout.

      Évidemment le comte et la comtesse de Trémorel s’étaient défendus courageusement et longtemps.

      – Les malheureux! balbutiait le pauvre maire, les malheureux! C’est ici qu’ils ont été massacrés.

      Et au souvenir de son amitié pour le comte, oubliant son importance, jetant son masque d’homme impassible, il pleura.

      Tout le monde perdait un peu la tête. Mais pendant ce temps, le juge de paix se livrait à une minutieuse perquisition, il prenait des notes sur son carnet, il visitait les moindres recoins.

      Lorsqu’il eut terminé:

      – Maintenant, dit-il, voyons ailleurs.

      Ailleurs le désordre était pareil. Une bande de fous furieux ou de malfaiteurs pris de frénésie, avait certainement passé la nuit dans la maison.

      Le cabinet du comte, particulièrement, avait été bouleversé. Les assassins ne s’étaient pas donné la peine de forcer les serrures; ils avaient procédé à coups de hache. Certainement ils avaient la certitude de ne pouvoir être entendus, car il leur avait fallu frapper terriblement fort pour faire voler en éclats le bureau de chêne massif. Les livres de la bibliothèque étaient à terre, pêle-mêle.

      Ni le salon, ni le fumoir n’avaient été respectés. Les divans, les chaises, les canapés étaient déchirés comme si on les eût sondés avec des épées. Deux chambres réservées, des chambres d’amis, étaient sens dessus dessous.

      On monta au second étage.

      Là, dans la première pièce où on pénétra, on trouva devant un bahut attaqué déjà, mais non ouvert encore, une hache à fendre le bois que le valet de chambre reconnut pour appartenir à la maison.

      – Comprenez-vous maintenant, disait le maire au père Plantat. Les assassins étaient en nombre c’est évident. Le meurtre accompli, ils se sont répandus dans la maison, cherchant partout l’argent qu’ils savaient s’y trouver. L’un d’eux était ici occupé à enfoncer ce meuble lorsque les autres, en bas, ont mis la main sur les valeurs; on l’a appelé, il s’est empressé de descendre, et jugeant toute recherche désormais inutile, il a abandonné ici cette hache.

      – Je vois la chose comme si j’y étais, approuva le brigadier.

      Le rez-de-chaussée qu’on visita ensuite avait été respecté. Seulement, le crime commis, les valeurs enlevées, les assassins avaient senti le besoin de se réconforter. On retrouva dans la salle à manger des débris de leur souper. Ils avaient dévoré tous les reliefs restés dans les buffets. Sur la table, à côté de huit bouteilles vides – bouteilles de vin ou de liqueurs – cinq verres étaient rangés.

      – Ils étaient cinq, murmura le maire.

      À force de volonté, l’excellent M. Courtois avait recouvré son sang-froid habituel.

      – Avant d’aller relever les cadavres, dit-il, je vais expédier un mot au procureur impérial de Corbeil. Dans une heure, nous aurons un juge d’instruction qui achèvera notre pénible tâche.

      Ordre fut donné à un gendarme d’atteler le tilbury du comte et de partir en toute hâte.

      Puis, le maire et le juge, suivis du brigadier, du valet de chambre et des deux Bertaud s’acheminèrent vers la rivière.

      Le parc de Valfeuillu est très vaste; mais c’est de droite et de gauche qu’il s’étend. De la maison à la Seine, il n’y a guère plus de deux cents pas. Devant la maison verdoie une belle pelouse coupée de corbeilles de fleurs. On prend pour gagner le bord de l’eau une des deux allées qui tournent le gazon.

      Mais les malfaiteurs n’avaient pas suivi les allées. Coupant au plus court, ils avaient traversé la pelouse. Leurs traces étaient parfaitement visibles. L’herbe était foulée et trépignée comme si on y eût traîné quelque lourd fardeau. Au milieu du gazon, on aperçut quelque chose de rouge que le juge de paix alla ramasser. C’était une pantoufle que le valet de chambre reconnut pour appartenir au comte. Plus loin, on trouva un foulard blanc que le domestique déclara avoir vu souvent au cou de son maître. Ce foulard était taché de sang.

      Enfin, on arriva au bord de l’eau, sous ces saules dont Philippe avait voulu couper une branche et on aperçut le cadavre.

      Le sable, à cette place, était profondément fouillé, labouré, pour ainsi dire, par des pieds cherchant un point d’appui solide. Là, tout l’indiquait, avait eu lieu la lutte suprême.

      M. Courtois comprit toute l’importance de ces traces.

      – Que personne n’avance, dit-il.

      Et, suivi seul du juge de paix, il s’approcha du corps.

      Bien qu’on ne pût distinguer le visage, le maire et le juge reconnurent la comtesse. Tous deux lui avaient vu cette robe grise ornée de passementeries bleues.

      Maintenant comment se trouvait-elle là?

      Le maire supposa qu’ayant réussi à s’échapper des mains des meurtriers, elle avait fui éperdue. On l’avait poursuivie, on l’avait atteinte là, on lui avait porté les derniers coups, et elle était tombée pour ne plus se relever.

      Cette version expliquait les traces de la lutte. Ce serait alors le cadavre du comte que les assassins auraient traîné à travers la pelouse.

      M. Courtois parlait avec animation, cherchant à faire pénétrer ses impressions dans l’esprit du juge de paix. Mais le père Plantat écoutait à peine, on eût pu le croire à cent lieues du Valfeuillu, il ne répondait que par monosyllabes: oui, non, peut-être.

      Et le brave maire se donnait une peine infinie: il allait, venait, prenait des mesures, inspectait minutieusement le terrain.

      Il n’y avait pas à cet endroit plus d’un pied d’eau.

      Un banc de vase, sur lequel poussaient des touffes de glaïeuls et quelques maigres nénuphars, allait en pente douce, du bord au milieu de la rivière. L’eau était claire, le courant nul; on voyait fort bien la vase lisse et luisante.

      M. Courtois en était là de ses investigations lorsqu’il parut frappé d’une idée subite.

      – La Ripaille, s’écria-t-il, approchez.

      Le vieux maraudeur obéit.

      – Vous dites donc, interrogea le maire, que c’est de


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