Histoires extraordinaires. Edgar Allan Poe

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Histoires extraordinaires - Edgar Allan Poe


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à quelqu'un placé à une grande distance. Ses yeux, d'une expression vague, ne regardaient que le mur.

      – Les voix qui se disputaient, disait-il, les voix entendues par les gens qui montaient l'escalier n'étaient pas celles de ces malheureuses femmes, – cela est plus que prouvé par l'évidence. Cela nous débarrasse pleinement de la question de savoir si la vieille dame aurait assassiné sa fille et se serait ensuite suicidée.

      «Je ne parle de ce cas que par amour de la méthode; car la force de Mme l'Espanaye eût été absolument insuffisante pour introduire le corps de sa fille dans la cheminée, de la façon où on l'a découvert; et la nature des blessures trouvées sur sa propre personne exclut entièrement l'idée de suicide. Le meurtre a donc été commis par des tiers, et les voix de ces tiers sont celles qu'on a entendues se quereller.

      «Permettez-moi maintenant d'appeler votre attention, – non pas sur les dépositions relatives à ces voix, – mais sur ce qu'il y a de particulier dans ces dépositions. Y avez-vous remarqué quelque chose de particulier?

      – Je remarquai que, pendant que tous les témoins s'accordaient à considérer la grosse voix comme étant celle d'un Français, il y avait un grand désaccord relativement à la voix aiguë, ou, comme l'avait définie un seul individu, à la voix âpre.

      – Cela constitue l'évidence, dit Dupin, mais non la particularité de l'évidence. Vous n'avez rien observé de distinctif; – cependant il y avait quelque chose à observer. Les témoins, remarquez-le bien, sont d'accord sur la grosse voix; là-dessus, il y a unanimité. Mais relativement à la voix aiguë, il y a une particularité, – elle ne consiste pas dans leur désaccord, – mais en ceci que, quand un Italien, un Anglais, un Espagnol, un Hollandais, essayent de la décrire, chacun en parle comme d'une voix d'étranger, chacun est sûr que ce n'était pas la voix d'un de ses compatriotes.

      «Chacun la compare, non pas à la voix d'un individu dont la langue lui serait familière, mais justement au contraire. Le Français présume que c'était une voix d'Espagnol, et il aurait pu distinguer quelques mots s'il était familiarisé avec l'espagnol. Le Hollandais affirme que c'était la voix d'un Français; mais il est établi que le témoin, ne sachant pas le français, a été interrogé par le canal d'un interprète. L'Anglais pense que c'était la voix d'un Allemand, et il n'entend pas l'allemand. L'Espagnol est positivement sûr que c'était la voix d'un Anglais, mais il en juge uniquement par l'intonation, car il n'a aucune connaissance de l'anglais. L'Italien croit à une voix de Russe, mais il n'a jamais causé avec une personne native de Russie. Un autre Français, cependant, diffère du premier, et il est certain que c'était une voix d'Italien; mais, n'ayant pas la connaissance de cette langue, il fait comme l'Espagnol, il tire sa certitude de l'intonation. Or, cette voix était donc bien insolite et bien étrange, qu'on ne pût obtenir à son égard que de pareils témoignages? Une voix dans les intonations de laquelle des citoyens des cinq grandes parties de l'Europe n'ont rien pu reconnaître qui leur fût familier! Vous me direz que c'était peut-être la voix d'un Asiatique ou d'un Africain. Les Africains et les Asiatiques n'abondent pas à Paris; mais, sans nier la possibilité du cas j'appellerai simplement votre attention sur trois points.

      «Un témoin dépeint la voix ainsi: plutôt âpre qu'aiguë. Deux autres en parlent comme d'une voix brève et saccadée. Ces témoins n'ont distingué aucune parole, – aucun son ressemblant à des paroles.

      «Je ne sais pas, continua Dupin, quelle impression j'ai pu faire sur votre entendement; mais je n'hésite pas à affirmer qu'on peut tirer des déductions légitimes de cette partie même des dépositions, – la partie relative aux deux voix, – la grosse voix et la voix aiguë – très-suffisantes en elles-mêmes pour créer un soupçon qui indiquerait la route dans toute investigation ultérieure du mystère.

      «J'ai dit: déductions légitimes, mais cette expression ne rend pas complètement ma pensée. Je voulais faire entendre que ces déductions sont les seules convenables, et que ce soupçon en surgit inévitablement comme le seul résultat possible. Cependant, de quelle nature est ce soupçon, je ne vous le dirai pas immédiatement. Je désire simplement vous démontrer que ce soupçon était plus que suffisant pour donner un caractère décidé, une tendance positive à l'enquête que je voulais faire dans la chambre.

      «Maintenant, transportons-nous en imagination dans cette chambre. Quel sera le premier objet de notre recherche? Les moyens d'évasion employés par les meurtriers. Nous pouvons affirmer, – n'est-ce pas, – que nous ne croyons ni l'un ni l'autre aux événements surnaturels? Mesdames l'Espanaye n'ont pas été assassinées par les esprits. Les auteurs du meurtre étaient des êtres matériels, et ils ont fui matériellement.

      «Or, comment? Heureusement, il n'y a qu'une manière de raisonner sur ce point, et cette manière nous conduira à une conclusion positive. Examinons donc un à un les moyens possibles d'évasion. Il est clair que les assassins étaient dans la chambre où l'on a trouvé Mlle l'Espanaye, ou au moins dans la chambre adjacente quand la foule a monté l'escalier. Ce n'est donc que dans ces deux chambres que nous avons à chercher des issues. La police a levé les parquets, ouvert les plafonds, sondé la maçonnerie des murs. Aucune issue secrète n'a pu échapper à sa perspicacité. Mais je ne me suis pas fié à ses yeux, et j'ai examiné avec les miens; il n'y a réellement pas d'issue secrète. Les deux portes qui conduisent des chambres dans le corridor étaient solidement fermées et les clefs en dedans. Voyons les cheminées. Celles-ci, qui sont d'une largeur ordinaire jusqu'à une distance de huit ou dix pieds au-dessus du foyer, ne livreraient pas au delà un passage suffisant à un gros chat.

      «L'impossibilité de la fuite, du moins par les voies ci-dessus indiquées, étant donc absolument établie, nous en sommes réduits aux fenêtres. Personne n'a pu fuir par celles de la chambre du devant sans être vu par la foule du dehors. Il a donc fallu que les meurtriers s'échappassent par celles de la chambre de derrière.

      «Maintenant, amenés, comme nous le sommes, à cette conclusion par des déductions aussi irréfragables, nous n'avons pas le droit, en tant que raisonneurs, de la rejeter en raison de son apparente impossibilité. Il ne nous reste donc qu'à démontrer que cette impossibilité apparente n'existe pas en réalité.

      «Il y a deux fenêtres dans la chambre. L'une des deux n'est pas obstruée par l'ameublement, et est restée entièrement visible. La partie inférieure de l'autre est cachée par le chevet du lit, qui est fort massif et qui est poussé tout contre. On a constaté que la première était solidement assujettie en dedans. Elle a résisté aux efforts les plus violents de ceux qui ont essayé de la lever. On avait percé dans son châssis, à gauche, un grand trou avec une vrille, et on y trouva un gros clou enfoncé presque jusqu'à la tête. En examinant l'autre fenêtre, on y a trouvé fiché un clou semblable; et un vigoureux effort pour lever le châssis n'a pas eu plus de succès que de l'autre côté. La police était dès lors pleinement convaincue qu'aucune fuite n'avait pu s'effectuer par ce chemin. Il fut donc considéré comme superflu de retirer les clous et d'ouvrir les fenêtres.

      «Mon examen fut un peu plus minutieux, et cela par la raison que je vous ai donnée tout à l'heure. C'était le cas, je le savais, où il fallait démontrer que l'impossibilité n'était qu'apparente.

      «Je continuai à raisonner ainsi, —a posteriori. – Les meurtriers s'étaient évadés par l'une de ces fenêtres. Cela étant, ils ne pouvaient pas avoir réassujetti les châssis en dedans, comme on les a trouvés; considération qui, par son évidence, a borné les recherches de la police dans ce sens-là. Cependant, ces châssis étaient bien fermés. Il faut donc qu'ils puissent se fermer d'eux-mêmes. Il n'y avait pas moyen d'échapper à cette conclusion. J'allai droit à la fenêtre non bouchée, je retirai le clou avec quelque difficulté, et j'essayai de lever le châssis. Il a résisté à tous mes efforts, comme je m'y attendais. Il y avait donc, j'en étais sûr maintenant, un ressort caché; et ce fait, corroborant mon idée, me convainquit au moins de la justesse de mes prémisses, quelques mystérieuses que m'apparussent toujours les circonstances relatives aux clous. Un examen minutieux me fit bientôt découvrir le ressort secret. Je le poussai, et, satisfait de ma découverte, je m'abstins de


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