Elle et lui. Жорж Санд

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Elle et lui - Жорж Санд


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jeune ni si belle que vous dites. C'est un bon camarade, pas désagréable à voir, voilà tout. Pourtant elle appartient à un type que je n'aime pas, et je suis forcé de lui pardonner d'être blonde. Je n'aime les blondes qu'en peinture.

      – Elle n'est pas déjà si blonde! elle a les yeux d'un noir doux, des cheveux qui ne sont ni bruns ni blonds, et qu'elle arrange singulièrement. Au reste, ça lui va, elle a l'air d'un sphinx bon enfant.

      – Le mot est joli; mais… vous aimez les grandes femmes, vous!

      – Elle n'est pas très-grande, elle a des petits pieds et des petites mains. C'est une vraie femme. Je l'ai bien regardée, puisque j'en suis amoureux.

      – Tiens, quelle idée vous avez là!

      – Cela ne vous fait rien, puisqu'en tant que femme, elle ne vous plaît pas?

      – Mon cher, elle me plairait, que ce serait tout comme. Dans ce cas-là, je tâcherais d'être mieux avec elle que je ne suis; mais je ne serais pas amoureux, c'est un état que je ne fais pas; par conséquent, je ne serais pas jaloux. Poussez donc votre pointe, si bon vous semble.

      – Moi? Oui, si je trouve l'occasion; mais je n'ai pas le temps de la chercher, et, au fond, je suis comme vous, Laurent, parfaitement enclin à la patience, vu que je suis d'un âge et d'un monde où le plaisir ne manque pas… Mais, puisque nous parlons de cette femme-là, et que vous la connaissez, dites-moi donc… c'est pure curiosité de ma part, je vous le déclare, si elle est veuve ou…

      – Ou quoi?

      – Je voulais dire si elle est veuve d'un amant ou d'un mari.

      – Je n'en sais rien.

      – Pas possible!

      – Parole d'honneur, je ne lui ai jamais demandé. Ça m'est si égal!

      – Savez-vous ce qu'on dit?

      – Non, je ne m'en soucie pas. Qu'est-ce qu'on dit?

      – Vous voyez bien que vous vous en souciez! On dit qu'elle a été mariée à un homme riche et titré.

      – Mariée…

      – On ne peut plus mariée, par-devant M. le maire et M. le curé.

      – Quelle bêtise! elle porterait son nom et son titre.

      – Ah! voilà! Il y a un mystère là-dessous. Quand j'aurai le temps, je chercherai ça, et je vous en ferai part. On dit qu'elle n'a pas d'amant connu, bien qu'elle vive avec une grande liberté. D'ailleurs, vous devez savoir cela, vous?

      – Je n'en sais pas le premier mot. Ah ça! vous croyez donc que je passe ma vie à observer ou à interroger les femmes? Je ne suis pas un flâneur comme vous, moi! je trouve la vie très courte pour vivre et travailler.

      – Vivre… je ne dis pas. Il paraît que vous vivez beaucoup. Quant à travailler… on dit que vous ne travaillez pas assez. Voyons, qu'est-ce que vous avez là? Laissez-moi voir!

      – Non, ce n'est rien, je n'ai rien de commencé ici.

      – Si fait: cette tête-là… c'est très-beau, diable! Laissez-moi donc voir, ou je vous malmène dans mon prochain salon.

      – Vous en êtes bien capable!

      – Oui, quand vous le mériterez; mais, pour cette tête-là, c'est superbe et s'admire tout bêtement. Qu'est-ce que ça sera?

      – Est-ce que je sais?

      – Voulez-vous que je vous le dise?

      – Vous me ferez plaisir.

      – Faites-en une sibylle. On coiffe ça comme on veut, ça n'engage à rien.

      – Tiens, c'est une idée.

      – Et puis on ne compromet pas la personne à qui ça ressemble.

      – Ça ressemble à quelqu'un?

      – Parbleu! mauvais plaisant, vous croyez que je ne la reconnais pas? Allons, mon cher, vous avez voulu vous moquer de moi, puisque vous niez tout, même les choses les plus simples. Vous êtes l'amant de cette figure-là!

      – La preuve, c'est que je m'en vais à Montmorency! dit froidement Laurent en prenant son chapeau.

      – Ça n'empêche pas! répondit Mercourt.

      Laurent sortit, et Mercourt, qui était descendu avec lui, le vit monter dans une petite voiture de remise; mais Laurent se fit conduire au bois de Boulogne, où il dîna tout seul dans un petit café, et d'où il revint à la nuit tombée, à pied et perdu dans ses rêveries.

      Le bois de Boulogne n'était pas à cette époque ce qu'il est aujourd'hui. C'était plus petit d'aspect, plus négligé, plus pauvre, plus mystérieux et plus champêtre: on y pouvait rêver.

      Les Champs-Elysées, moins luxueux et moins habités qu'aujourd'hui, avaient de nouveaux quartiers où se louaient encore à bon marché de petites maisons avec de petits jardins d'un caractère très-intime. On y pouvait vivre et travailler.

      C'était dans une de ces maisonnettes blanches et propres, au milieu des lilas en fleur, et derrière une grande haie d'aubépine fermée d'une barrière peinte en vert, que demeurait Thérèse. On était au mois de mai. Le temps était magnifique. Comment Laurent se trouva, à neuf heures, derrière cette haie, dans la rue déserte et inachevée où les réverbères n'avaient pas encore été installés, et sur les talus de laquelle poussaient encore les orties et les folles herbes, c'est ce que lui-même eût été embarrassé d'expliquer.

      La haie était fort épaisse, et Laurent tourna sans bruit tout à l'entour, sans apercevoir autre chose que des feuilles légèrement dorées par une lumière qu'il supposa placée dans le jardin, sur une petite table auprès de laquelle il avait l'habitude de fumer quand il passait la soirée chez Thérèse. On fumait donc dans le jardin? ou on y prenait le thé, comme cela arrivait quelquefois? Mais Thérèse avait annoncé à Laurent qu'elle attendait toute une famille de province, et il n'entendait que le chuchotement mystérieux de deux voix, dont l'une lui paraissait être celle de Thérèse. L'autre parlait tout à fait bas: était-ce celle d'un homme?

      Laurent écouta à en avoir des tintements dans les oreilles, jusqu'à ce qu'enfin il entendît ou crût entendre ces mots dits par Thérèse:

      – Que m'importe tout cela? Je n'ai plus qu'un amour sur la terre, et c'est vous!

      – A présent, se dit Laurent en quittant précipitamment la petite rue déserte et en revenant sur la chaussée bruyante des Champs-Elysées, me voilà bien tranquille. Elle a un amant! Au fait, elle n'était pas obligée de me confier cela!.. Seulement, elle n'était pas obligée de parler en toute occasion de manière à me faire croire qu'elle n'était et ne voulait être à personne. C'est une femme comme les autres: le besoin de mentir avant tout. Qu'est-ce que ça me fait? Je ne l'aurais pourtant pas cru! Et même il faut bien que j'aie eu la tête un peu montée pour elle sans me l'avouer, puisque j'étais là aux écoutes, faisant le plus lâche des métiers, quand ce n'est pas un métier de jaloux! Je ne peux pas m'en repentir beaucoup: cela me sauve d'une grande misère et d'une grande duperie: celle de désirer une femme qui n'a rien de plus désirable que toute autre, pas même la sincérité.

      Laurent arrêta une voiture qui passait vide et alla à Montmorency. Il se promettait d'y passer huit jours et de ne pas remettre les pieds chez Thérèse avant quinze. Cependant, il ne resta que quarante-huit heures à la campagne et se trouva le troisième soir à la porte de Thérèse, juste en même temps que M. Richard Palmer.

      – Oh! dit l'Américain en lui tendant la main, je suis content de voir vous!

      Laurent ne put se dispenser de tendre aussi la main; mais il ne put s'empêcher de demander à M. Palmer pourquoi il était si content de le voir.

      L'étranger ne fit aucune attention au ton passablement impertinent de l'artiste.

      – Je suis content parce que j'aime vous, reprit-il avec une cordialité irrésistible, et j'aime vous, parce que j'admire vous beaucoup!

      – Comment!


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