André. Жорж Санд

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André - Жорж Санд


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sa bonne humeur. Joseph aimait André comme un écolier vigoureux aime l'enfant souffreteux et craintif qu'il protège contre ses camarades. Il ne comprenait rien à ses ennuis; mais il avait assez de délicatesse pour ne pas les froisser par des railleries trop dures. Il le regardait comme un enfant gâté, ne discutait pas avec lui, ne cherchait pas à le consoler, parce qu'il ne le croyait pas réellement à plaindre, et ne s'occupait qu'à l'amuser, tout en s'amusant pour son propre compte. Sans doute André ne pouvait pas avoir d'ami plus utile. Il le retrouva donc avec plaisir, et, confié par son père à ce gouverneur de nouvelle espèce, il se laissa conduire partout où le caprice de Joseph voulut le promener.

      Celui-ci commença par décréter que, vivant seul, André ne pouvait être amoureux. André garda le silence. Joseph reprit en décidant qu'il fallait qu'André devînt amoureux. André sourit d'un air mélancolique. Joseph conclut en affirmant que parmi les demoiselles de la ville il n'y en avait pas une qui eût le sens commun; que ces précieuses étaient propres à donner le spleen plutôt qu'à l'ôter; qu'il n'y avait au monde qu'une espèce de femmes aimables, à savoir, les grisettes, et qu'il fallait que son ami apprit à les connaître et à les apprécier, ce à quoi André se résigna machinalement.

      III

      Les romanciers allemands parlent d'une petite ville de leur patrie où la beauté semble s'être exclusivement logée dans la classe des jeunes ouvrières. Quiconque a passé vingt-quatre heures dans la petite ville de L… en France, peut attester la rare gentillesse et la coquetterie sans pareille de ses grisettes. Jamais nid de fauvettes babillardes ne mit au jour de plus riches couvées d'oisillons espiègles et jaseurs; jamais souffle du printemps ne joua dans les prés avec plus de fleurettes brillantes et légères. La ville de L… s'enorgueillit à bon droit de l'éclat de ses filles, et de plus de vingt lieues à la ronde les galants de tous les étages viennent risquer leur esprit et leurs prétentions dans ces bals d'artisans où, chaque dimanche, plus de deux cents petites commères étalent sous les quinquets leurs robes blanches, leurs tabliers de soie noire et leur visage couleur de rose.

      Comment la toilette des dames de la ville suffit à faire travailler et vivre toutes ces fillettes, c'est ce qu'on ne saurait guère expliquer sans avouer que ces dames aiment beaucoup la toilette, et qu'elles ont bien raison.

      Quoi qu'il en soit, les méchants et les méchantes vont s'étonnant du grand nombre d'artisanes (c'est un mot du pays que je demande la permission d'employer) qui réussissent à vivre dans une aussi petite ville; mais les gens de bien ne s'en étonnent pas: ils comprennent que cette ville privilégiée est pour la grisette un théâtre de gloire qu'elle doit préférer à tout autre séjour; ils savent en outre que la jeunesse et la santé s'alimentent sobrement et peuvent briller sous les plus modestes atours.

      Ce qu'il y a de certain, c'est que nulle part peut-être en France la beauté n'a plus de droits et de franchises que dans ce petit royaume, et que nulle part ses privilèges ne dégénèrent moins en abus. L'indépendance et la sincérité dominent comme une loi générale dans les divers caractères de ces jeunes filles. Fières de leur beauté, elles exercent une puissance réelle dans leur Yvetot, et cette espèce de ligue contre l'influence féminine des autres classes établit entre elles un esprit de corps assez estimable et fertile en bons procédés.

      Par exemple, si le secret de leurs fautes n'est pas toujours assez bien gardé pour ne pas faire le tour de la ville en une heure, du moins y a-t-il une barrière que ce secret ne franchit pas aisément. Là où cesse l'apostolat de l'artisanerie cesse le droit d'avoir part au petit plaisir du scandale. Ainsi l'aventure d'une grisette peut égayer ou attendrir longtemps la foule de ses pareilles avant d'être livrée au dédaigneux sourire des bas-bleus de l'endroit ou aux graveleux quolibets des villageoises d'alentour.

      Ces aventures ne sont pas rares dans une ville où une seule classe de femmes mérite assez d'hommages pour accaparer ceux de toutes les classes d'hommes: aussi voit-on rarement une belle artisane être farouche au point de manquer de cavalier servant. Tant de sévérité serait presque ridicule dans un pays où la galanterie n'a pas encore mis à la porte toute naïveté de sentiment, et où l'on voit plus d'une amourette s'élever jusqu'à la passion. Ainsi une jeune fille y peut, sans se compromettre, agréer les soins d'un homme libre et ne pas désespérer de l'amener au mariage; si elle manque son but, ce qui arrive souvent, elle peut espérer de mieux réussir avec un second adorateur, et même avec un troisième, si sa beauté ne s'est pas trop flétrie dans l'attente illimitée du noeud conjugal.

      A part donc les vertus austères qui se rencontrent là comme partout en petit nombre, les jeunes ouvrières de L… sont généralement pourvues chacune d'un favori choisi entre dix, et fort envié de ses concurrents. On peut comparer cette espèce de mariage expectatif au sigisbéisme italien. Tout s'y passe loyalement, et le public n'a pas le droit de gloser tant qu'un des deux amants ne s'est pas rendu coupable d'infidélité ou entaché de ridicule.

      Il faut dire à la louange de ces grisettes qu'aucune ne fait fortune par l'intrigue, et qu'elles semblent ignorer l'ignoble trafic que les femmes font ailleurs de leur beauté; leur orgueil équivaut à une vertu; jamais la cupidité ne les jette dans les bras des vieillards; elles aiment trop l'indépendance pour souffrir aucun partage, pour s'astreindre à aucune précaution. Aussi les hommes mariés ne réussissent jamais auprès d'elles. Il y a quelque chose de vraiment magnifique dans l'exercice insolent de leur despotisme féminin. Elles sont aimantes et colères, romanesques on ne peut plus, coquettes et dédaigneuses, avides de louanges, folles de plaisir, bavardes, gourmandes, impertinentes; mais désintéressées, généreuses et franches. Leur extérieur répond assez à ce caractère: elles sont généralement grandes, robustes et alertes; elles ont de grandes bouches qui rient à tout propos pour montrer des dents superbes; elles sont vermeilles et blanches, avec des cheveux bruns ou noirs. Leurs pieds sont très-provinciaux et leurs mains rarement belles; leur voix est un peu virile, et l'accent du pays n'est pas mélodieux. Mais leurs yeux ont une beauté particulière et une expression de hardiesse et de bonté qui ne trompe pas.

      Tel était le monde où Joseph Marteau essaya de lancer le timide André, en lui déclarant que le bonheur suprême était là et non ailleurs, et qu'il ne pouvait pas manquer de sortir enivré du premier bal où il mettrait les pieds. André se laissa donc conduire et se conduisit lui-même assez bien durant toute la soirée. Il dansa très-assidûment, ne fit manquer aucune figure, dépensa au moins cinq francs en oranges et en pralines offertes aux dames; même il se montra homme de talent et de bonne société (comme disent les gens de mauvaise compagnie) en prenant la place du premier violon, qui était ivre, et en jouant très-proprement un quadrille de contredanse tirées de la Muette de Portici.

      Malgré ces excellentes actions, André ne prit pas beaucoup dans la société artisane. On le trouva fier, c'est-à-dire silencieux et froid; lui-même ne s'amusa guère et ne fut pas aussi enchanté qu'on le lui avait prédit. La beauté de ces grisettes n'était nullement celle qui plaisait à son imagination. Il était difficile, mais ce n'était pas sa faute; il avait dans la tête l'ineffaçable souvenir d'un teint pâle, de deux grands yeux mélancoliques, d'une voix douce, et voulait à toute force trouver de la poésie, sinon dans le langage, du moins dans le silence d'une femme. Tout ce petit caquetage d'enfants gâtés lui déplut. D'ailleurs il n'était pas aisé d'en approcher; la moins belle était surveillée par plus d'un aspirant jaloux, et André ne se sentait pas la moindre vocation pour le rôle de Lovelace campagnard. Trop modeste pour espérer de supplanter qui que ce fût, il était trop nonchalant pour engager la lutte avec un concurrent. Il se retira donc de bonne heure, laissant Joseph dans une grande exaltation entre une belle ravaudeuse aux yeux noirs et un énorme bol de vin chaud.

      «Comment, dit-il à André le lendemain, tu es parti avant la fin! Tu n'y entends rien, mon cher; tu ne sais pas que c'est le meilleur moment. On se place adroitement à la sortie, on jette son dévolu sur une fille mal gardée, on lui offre le bras, elle accepte. Vous la reconduisez jusque chez elle, vous avez pour elle mille petits soins durant le trajet: vous lui offrez, votre manteau, elle en accepte la moitié; vous la soulevez dans vos bras pour traverser le ruisseau. Si un chien passe auprès d'elle dans l'obscurité, elle se presse contre vous d'un petit air effrayé, sous prétexte qu'elle a grand'peur des chiens enragés;


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