Césarine Dietrich. Жорж Санд

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Césarine Dietrich - Жорж Санд


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voyant qu'on étouffait, a ouvert les portes du grand salon, et l'on s'y est élancé. En ce moment, Césarine a tressailli et m'a serré convulsivement la main; j'ai cru inutile de parler, j'ai cru qu'elle allait agir. Je l'ai suivie au salon; elle me tenait toujours la main, elle s'est assise tout au fond, sur l'estrade destinée aux musiciens, et là, derrière un des socles qui portent les candélabres, elle a regardé la danse avec des yeux pleins de larmes.

      – Elle regrettait de n'oser encore s'y mêler! s'écria M. Dietrich irrité.

      – Non, repris-je, ses émotions sont plus compliquées et plus mystérieuses. – Mon amie, m'a-t-elle dit, je ne sais pas trop ce qui se passe en moi. Je fais un rêve, je revois la dernière fête qu'on a donnée ici, et je crois voir ma mère déjà malade, belle, pâle, couverte de diamants, assise là-bas tout au fond, en face de nous, dans un véritable bosquet de fleurs, respirant avec délices ces parfums violents qui la tuaient et qu'elle a redemandés jusque sur son lit d'agonie. Ceci vous résume la vie et la mort de ma pauvre maman. Elle n'était pas de force à supporter les fatigues du monde, et elle s'enivrait de tout ce qui lui faisait mal. Elle ne voulait rien ménager, rien prévoir. Elle souffrait et se disait heureuse. Elle l'était, n'en doutez pas. Que nos tendances soient folles ou raisonnables, ce qui fait notre bonheur, c'est de les assouvir. Elle est morte jeune, mais elle a vécu vite, beaucoup à la fois, tant qu'elle a pu. Ni les avertissements des médecins, ni les prières des amis sérieux, ni les reproches de mon père n'ont pu la retenir, et en ce moment, en voyant l'ivresse et l'oubli assez indélicat de mes compagnes, je me demande si nous n'avions pas tort de gâter par des inquiétudes et de sinistres prédictions les joies si intenses et si rapides de notre chère malade. Je me demande aussi si elle n'avait pas pris le vrai chemin qu'elle devait suivre, tandis que mon père, marchant sur un sentier plus direct et plus âpre, n'arrivera jamais au but qu'il poursuit, la modération. Vous ne le connaissez pas, ma chère Pauline, il est le plus passionné de la famille. Il a aimé les affaires avec rage. C'était un beau joueur, calme et froid en apparence, mais jamais rassasié de rêves et de calculs. Aujourd'hui l'amour de la terre se présente à lui comme une lutte nouvelle, comme une fièvre de défis jetés à la nature. Vous verrez qu'il ne jouira d'aucun succès, parce qu'il n'avouera jamais qu'il ne sait pas supporter un seul revers. Ses passions ne le rendent pas heureux, parce qu'il les subit sans vouloir s'y livrer. Il se croit plus fort qu'elles, voilà l'erreur de sa vie; ma mère n'en était pas dupe, je ne le suis pas non plus. Elle m'a appris à le connaître, à le chérir, à le respecter, mais à ne pas le craindre. Il sera mécontent quand il saura ce qui se passe ici, soit! Il faudra bien qu'il m'accepte pour sa fille, c'est-à-dire pour un être qui a aussi des passions. Je sens que j'en ai ou que je suis à la veille d'en avoir. Par exemple, je ne sais pas encore lesquelles. Je suis en train de chercher si la vue de cette danse m'enivre ou si elle m'agace, si je reverrai avec joie les fêtes qui ont charmé mon enfance, ou si elles ne me seront pas odieuses, si je n'aurai pas le goût effréné des voyages ou un besoin d'extases musicales, ou bien encore la passion de n'aimer rien et de tout juger. Nous verrons. Je me cherche, n'est-ce pas ce que vous voulez?

      «On est venu nous interrompre. On partait, car en somme on n'a pas dansé dix minutes, et, pour se débarrasser plus vite de la gaieté de ses amis, Césarine, qui, vous le voyez, était fort sérieuse, a promis que l'année prochaine on danserait tant qu'on voudrait chez elle.

      – L'année prochaine! C'est dans quinze jours, s'écria M. Dietrich, qui m'avait écoutée avec émotion.

      – Ceci ne me regarde pas, repris-je, je n'ai ni ordre ni conseils à donner chez vous.

      – Mais vous avez une opinion; ne puis-je savoir ce que vous feriez à ma place?

      – J'engagerais Césarine à ne pas livrer si vite aux violons et aux toilettes cette maison qui lui était sacrée il y a un an. Je lui ferais promettre qu'on n'y dansera pas avant une nouvelle année révolue: ce qu'elle aura promis, elle le tiendra; mais je ne la priverais pas des réunions intimes, sans lesquelles sa vie me paraîtrait trop austère. La solitude et la réflexion sans trêve ont de plus grands dangers pour elle que le plaisir. Je craindrais aussi que ses grands partis-pris de soumission n'eussent pour effet de lui créer des résistances intérieures invincibles, et qu'en la séparant du monde vous n'en fissiez une mondaine passionnée.

      M. Dietrich me donna gain de cause et me quitta d'un air préoccupé. Le jugement que sa fille avait porté sur lui, et que je n'avais pas cru devoir lui cacher, lui donnait à réfléchir. Dès le lendemain, il reprit avec moi la conversation sur ce sujet.

      – Je n'ai fait aucun reproche, me dit-il. J'ai fait semblant de ne m'être aperçu de rien, et je n'ai pas eu besoin d'arracher la promesse de ne pas danser avant un an; Césarine est venue d'elle-même au-devant de mes réflexions. Elle m'a raconté la soirée d'avant-hier; elle a doucement blâmé l'irréflexion, pour ne pas dire la légèreté de sa tante; elle m'a fait l'aveu qu'elle avait promis de m'engager à rouvrir les salons, en ajoutant qu'elle me suppliait de ne pas le permettre encore. Je n'ai donc eu qu'à l'approuver au lieu de la gronder; elle s'était arrangée pour cela, comme toujours!

      – Et vous croyez qu'il en sera toujours ainsi?

      – J'en suis sûr, répondit-il avec abattement; elle est plus forte que moi, elle le sait; elle trouvera moyen de n'avoir jamais tort.

      – Mais, si elle se laisse gouverner par sa propre raison, qu'importe qu'elle ne cède pas à la vôtre? Le meilleur gouvernement possible serait celui où il n'y aurait jamais nécessité de commander. N'arrive-t-elle pas, de par sa libre volonté à se trouver d'accord avec vous?

      – Vous admettez qu'une femme peut être constamment raisonnable, et que par conséquent elle a le droit de se dégager de toute contrainte?

      – J'admets qu'une femme puisse être raisonnable, parce que je l'ai toujours été, sans grand effort et sans grand mérite. Quant à l'indépendance à laquelle elle a droit dans ce cas-là, sans être une libre penseuse bien prononcée, je la regarde comme le privilège d'une raison parfaite et bien prouvée.

      – Et vous pensez qu'à seize ans Césarine est déjà cette merveille de sagesse et de prudence qui ne doit obéir qu'à elle-même?

      – Nous travaillons à ce qu'elle le devienne. Puisque sa passion est de ne pas obéir et de ne jamais céder, encourageons sa raison et ne brisons pas sa volonté. Ne sévissez, monsieur Dietrich, que le jour où vous verrez une fantaisie blâmable.

      – Vous trouvez rassurante cette irrésolution qu'elle vous a confiée, cette prétendue ignorance de ses goûts et de ses désirs?

      – Je la crois sincère.

      – Prenez garde, mademoiselle de Nermont! vous êtes charmée, fascinée; vous augmenterez son esprit de domination en le subissant.

      Il protestait en vain. Il le subissait, lui, et bien plus que moi. La supériorité de sa fille, en se révélant de plus en plus, lui créait une étrange situation; elle flattait son orgueil et froissait son amour-propre. Il eût préféré Césarine impérieuse avec les autres, soumise à lui seul.

      – Il faut, lui dis-je, avant de nous quitter, conclure définitivement sur un point essentiel. Il faut pour seconder vos vues, si je les partage, que je sache votre opinion sur la vie mondaine que vous redoutez tant pour votre fille. Craignez-vous que ce ne soit pour elle un enivrement qui la rendrait frivole?

      – Non, elle ne peut pas devenir frivole; elle tient de moi plus que de sa mère.

      – Elle vous ressemble beaucoup, donc vous n'avez rien à craindre pour sa santé.

      – Non, elle n'abusera pas du plaisir.

      – Alors que craignez-vous donc?

      Il fut embarrassé pour me répondre. Il donna plusieurs raisons contradictoires. Je tenais à pénétrer toute sa pensée, car mon rôle devenait difficile, si M. Dietrich était inconséquent. Force me fut de constater intérieurement qu'il l'était, qu'il commençait à le sentir, et qu'il en éprouvait de l'humeur. Césarine l'avait bien jugé en somme. Il avait besoin de lutter toujours et n'en voulait jamais convenir. Il termina l'entretien en me témoignant beaucoup de


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