Contes d'une grand-mère. Жорж Санд

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Contes d'une grand-mère - Жорж Санд


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allaient tous ensemble se faire guérir à une fontaine miraculeuse. Tous étaient estropiés ou couverts de plaies hideuses. Tous sortaient de la fontaine sains et allègres. Le miracle n'était pas difficile à expliquer, tous leurs maux étant simulés et les reprenant au bout de quelques semaines, pour être guéris le jour de la fête suivante.

      Emmi vendit ses oeufs et ses poules, en reporta vite l'argent à la vieille, et, lui tournant le dos, s'en fut à travers la foule, les yeux écarquillés, admirant tout et s'étonnant de tout. Il vit des saltimbanques faire des tours surprenants, et il s'était même un peu attardé à contempler leurs maillots pailletés et leurs bandeaux dorés, lorsqu'il entendit à côté de lui un singulier dialogue. C'était la voix de la Catiche qui s'entretenait avec la voix rauque du chef des saltimbanques. Ils n'étaient séparés de lui que par la toile de la baraque.

      – Si vous voulez lui faire boire du vin, disait la Catiche, vous lui persuaderez tout ce que vous voudrez. C'est un petit innocent qui ne peut me servir à rien et qui prétend vivre tout seul dans la forêt, où il perche depuis un an dans un vieux arbre. Il est aussi leste et aussi adroit qu'un singe, il ne pèse pas plus qu'un chevreau, et vous lui ferez faire les tours les plus difficiles.

      – Et vous dites qu'il n'est pas intéressé? reprit le saltimbanque.

      – Non, il ne se soucie pas de l'argent. Vous le nourrirez, et il n'aura pas l'esprit d'en demander davantage.

      – Mais il voudra se sauver?

      – Bah! avec des coups, vous lui en ferez passer l'envie.

      – Allez me le chercher, je veux le voir.

      – Et vous me donnerez vingt francs?

      – Oui, s'il me convient.

      La Catiche sortit de la baraque et se trouva face à face avec Emmi, à qui elle fit signe de la suivre.

      – Non pas, lui dit-il, j'ai entendu votre marché. Je ne suis pas si innocent que vous croyez. Je ne veux pas aller avec ces gens-là pour être battu.

      – Tu y viendras, pourtant, répondit la Catiche en lui prenant le poignet avec une main de fer et en l'attirant vers la baraque.

      – Je ne veux pas, je ne veux pas! cria l'enfant en se débattant et en s'accrochant de la main restée libre à la blouse d'un homme qui était près de lui et qui regardait le spectacle.

      L'homme se retourna, et, s'adressant à la Catiche, lui demanda si ce petit était à elle.

      – Non, non, s'écria Emmi. elle n'est pas ma mère, elle ne m'est rien, elle veut me vendre un louis d'or à ces comédiens!

      – Et toi, tu ne veux pas?

      – Non, je ne veux pas! sauvez-moi de ses griffes. Voyez! elle me met en sang.

      Qu'est-ce qu'il y a de cette femme et de cet enfant? dit le beau gendarme Érambert, attiré par les cris d'Emmi et les vociférations de la Catiche.

      – Bah! ça n'est rien, répondit le paysan qu'Emmi tenait toujours par sa blouse. C'est une pauvresse qui veut vendre un gars aux sauteurs de corde; mais on l'empêchera bien, gendarme, on n'a pas besoin de vous.

      – On a toujours besoin de la gendarmerie, mon ami. Je veux savoir ce qu'il y a de cette histoire-là.

      Et, s'adressant à Emmi:

      – Parle, jeune homme, explique-moi l'affaire.

      A la vue du gendarme, la vieille Catiche avait lâché Emmi et avait essayé de fuir; mais le majestueux Érambert l'avait saisie par le bras, et vite elle s'était mise à rire et à grimacer en reprenant sa figure d'idiote. Pourtant, au moment où Emmi allait répondre, elle lui lança un regard suppliant où se peignait un grand effroi. Emmi avait été élevé dans la crainte des gendarmes, et il s'imagina que, s'il accusait la vieille, Érambert allait lui trancher la tête avec son grand sabre. Il eut pitié d'elle et répondit:

      – Laissez-la, monsieur, c'est une femme folle et imbécile qui m'a fait peur, mais qui ne voulait pas me faire de mal.

      – La connaissez-vous? n'est-ce pas la Catiche? une femme qui fait semblant de ce qu'elle n'est pas? Dites la vérité.

      Un nouveau regard de la mendiante donna à Emmi le courage de mentir pour lui sauver la vie.

      – Je la connais, dit-il, c'est une innocente.

      – Je saurai de ce qui en est, répondit le beau gendarme en laissant aller la Catiche. Circulez, vieille femme, mais n'oubliez pas que depuis longtemps j'ai l'oeil sur vous.

      La Catiche s'enfuit, et le gendarme s'éloigna. Emmi, qui avait eu encore plus peur de lui que de la vieille, tenait toujours la blouse du père Vincent. C'était le nom du paysan qui s'était trouvé là pour le protéger, et qui avait une bonne figure douce et gaie.

      – Ah çà! petit, dit ce bonhomme à Emmi, tu vas me lâcher à la fin? Tu n'as plus rien à craindre; qu'est-ce que tu veux de moi? cherches-tu ta vie? veux-tu un sou?

      – Non, merci, dit Emmi, mais j'ai peur à présent de tout ce monde où me voilà seul sans savoir de quel côté me tourner.

      – Et où voudrais-tu aller?

      – Je voudrais retourner dans ma forêt de Cernas sans passer par

      Oursines-les-Bois.

      – Tu demeures à Cernas? C'est bien aisé de t'y mener, puisque de ce pas je m'en vas dans la forêt. Tu n'auras qu'à me suivre; j'entre souper sous la ramée, attends-moi au pied de cette croix, je reviendrai te prendre.

      Emmi trouva que la croix du village était encore trop près de la baraque des saltimbanques; il aima mieux suivre le père Vincent sous la ramée, d'autant plus qu'il avait besoin de se restaurer avant de se mettre en route.

      – Si vous n'avez pas honte de moi, lui dit-il, permettez-moi de manger mon pain et mon fromage à côté de vous. J'ai de quoi payer ma dépense: tenez, voilà ma bourse, vous payerez pour nous deux, car je souhaite payer aussi votre dîner.

      – Diable! s'écria en riant le père Vincent, voilà un gars bien honnête et bien généreux; mais j'ai l'estomac creux, et ta bourse n'est guère remplie. Viens, et mets-toi là. Reprends ton argent, petit, j'en ai assez pour nous deux.

      Tout en mangeant ensemble, Vincent fit raconter à Emmi toute son histoire. Quand ce fut terminé, il lui dit:

      – Je vois que tu as bonne tête et bon coeur, puisque tu ne t'es pas laissé tenter par les louis d'or de cette Catiche, et que pourtant tu n'as pas voulu l'envoyer en prison. Oublie-la et ne quitte plus ta forêt, puisque tu y es bien. Il ne tient qu'à toi de ne plus y être tout à fait seul. Tu sauras que j'y vais pour préparer les logements d'une vingtaine d'ouvriers qui se disposent à abattre le taillis entre Cernas et la Planchette.

      – Ah! vous allez abattre la forêt? dit Emmi consterné.

      – Non! nous faisons seulement une coupe dans une partie qui ne touche point à ton refuge du chêne parlant, et je sais qu'on ne touchera ni aujourd'hui, ni demain, à la région des vieux arbres. Sois donc tranquille, on ne te dérangera pas; mais, si tu m'en crois, mon petit, tu viendras travailler avec nous. Tu n'es pas assez fort pour manier la serpe et la cognée; mais, si tu es adroit, tu pourras très-bien préparer les liens et t'occuper au fagotage, tout en servant les ouvriers, qui ont toujours besoin d'un gars pour faire leurs commissions et porter leurs repas. C'est moi qui ai l'entreprise de cette coupe. Les ouvriers sont à leurs pièces, c'est-à-dire qu'on les paye en raison du travail qu'ils font. Je te propose de t'en rapporter à moi pour juger de ce qu'il sera raisonnable de te donner, et je te conseille d'accepter. La vieille Catiche a eu raison de te dire que, quand on ne veut pas travailler, il faut être voleur ou mendiant, et, comme tu ne veux être ni l'un ni l'autre, prends vite le travail que je t'offre, l'occasion est bonne.

      Enmii accepta avec joie. Le père Vincent lui inspirait une confiance absolue. Il se mit à sa disposition, et ils prirent ensemble le chemin de la forêt.

      Il faisait nuit quand ils y arrivèrent, et, quoique


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