La mort de Lucrèce. Уильям Шекспир

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La mort de Lucrèce - Уильям Шекспир


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silencieusement de ces heureux succès.

      XVII. – Sans révéler le projet qui l'amène, il demande excuse de se trouver à Collatium. Aucun indice d'orage ne se montre dans son beau ciel, jusqu'à ce que la sombre nuit, mère de la terreur et de la crainte, déploie ses ténèbres sur le monde, et enferme le jour dans sa prison souterraine.

      XVIII. – Enfin Tarquin se fait conduire à son lit, affectant la fatigue et le besoin du sommeil; car après le souper il avait passé une partie de la soirée à causer avec la modeste Lucrèce. Maintenant le sommeil de plomb lutte avec les forces de la vie; chacun va s'endormir, excepté les voleurs, les soucis et les esprits troublés qui veillent.

      XIX. – Dans ce nombre, Tarquin repasse en lui-même tous les périls qu'il court pour satisfaire ses désirs; cependant il reste résolu de les satisfaire, quoique ses faibles espérances lui conseillent d'y renoncer. Le désespoir est souvent invoqué pour réussir: et quand un grand trésor est le prix qu'on attend, en vain il y va de la mort, on ne suppose pas que la mort existe.

      XX. – Ceux qui désirent beaucoup sont si avides d'obtenir, qu'ils laissent échapper ce qu'ils n'ont pas et ce qu'ils ont; et ainsi plus ils espèrent, moins ils ont; ou s'ils gagnent, le résultat de l'excès n'est que de rassasier et d'amener de tels chagrins, qu'ils font encore banqueroute dans leurs pauvres profits.

      XXI. – Le but de tous est de couler une vie pleine d'honneur, de richesse et de bonheur; et dans ce but nous rencontrons tant de difficultés, que nous jouons un contre tout, ou bien tout contre un. Les uns jouent la vie contre l'honneur, les autres l'honneur contre la richesse, et souvent la richesse cause la mort et la perte de tout.

      XXII. – De sorte qu'en risquant tout, nous abandonnons ce que nous sommes pour être ce que nous espérons; et cette faiblesse ambitieuse de tout posséder nous tourmente de l'imperfection de ce que nous avons, et nous le fait négliger pour réduire dans notre folie quelque chose à rien en voulant l'augmenter.

      XXIII. – Tel est le hasard que l'insensé Tarquin va courir, en sacrifiant son honneur pour satisfaire son incontinence; c'est pour lui-même qu'il va se perdre. A qui donc pourra-t-on se fier, si l'on ne peut plus se fier à soi-même? où trouvera-t-il un étranger juste, celui qui se trahit lui-même et se condamne aux paroles calomnieuses et aux jours misérables?

      XXIV. – Le temps amène enfin cette heure obscure de la nuit, où un profond sommeil ferme les yeux des mortels; aucune étoile secourable ne prêtait sa lumière; point d'autre bruit que les cris des hibous et des loups qui présagent la mort. Voilà l'heure où ils peuvent surprendre les pauvres brebis; les pensées innocentes dorment en paix, tandis que la débauche et le meurtre veillent pour souiller et pour faire périr.

      XXV. – C'est maintenant que ce prince débauché s'élance de son lit, et jette brusquement son manteau sur son bras, follement agité par le désir et la crainte. Le désir le flatte d'un ton doucereux, la crainte lui prédit malheur; mais la simple crainte, séduite par les charmes impurs de la luxure, se retire battue par la violence du désir insensé.

      XXVI. – Il frappe doucement son épée sur un caillou pour tirer de la froide pierre des étincelles de feu, dont il allume une torche qui va servir d'étoile à ses yeux impudiques; ensuite il parle en ces termes à la flamme: «De même que j'ai forcé ce feu à sortir de cette pierre, il faut que je force Lucrèce à céder à mon désir.»

      XXVII. – Ici, pâle de crainte, il réfléchit aux dangers de sa coupable entreprise, et discute dans le secret de son coeur les malheurs qui peuvent s'ensuivre; et puis, d'un regard plein de dédain, il méprise l'armure nue de la débauche, et adresse ces justes reproches à ses injustes pensées.

      XXVIII. – «Torche brillante, consume ta clarté, ne la prête pas pour noircir celle dont l'éclat surpasse le tien; profanes pensées, mourez avant de salir de votre infamie ce qui est divin; offrez un encens pur sur un si pur autel; que l'humanité abhorre un forfait qui souille la fleur modeste de l'amour, blanche comme la neige.

      XXIX. – «Honte à la chevalerie et aux armes étincelantes! déshonneur au tombeau de ma famille! acte impie qui comprend tous les attentats! Un brave guerrier être l'esclave d'une tendre passion! La véritable valeur devrait se respecter elle-même. Oh! mon crime sera si vil et si lâche qu'il restera gravé sur mon front.

      XXX. – «Oui, j'aurai beau mourir, le déshonneur me survivra, et sera une tache sur l'or de ma cotte d'armes. Le héraut trouvera quelque honteux écusson pour attester ma folle passion, si bien que mes enfants, déshonorés par ce souvenir, maudiront mes cendres, et ne croiront pas être coupables en souhaitant que leur père n'eût jamais existé.

      XXXI. – «Qu'est-ce que je gagne, si j'obtiens ce que je cherche? un rêve, un souffle, un plaisir fugitif qui achète la joie d'une minute pour gémir une semaine, ou qui vend l'éternité pour acquérir une bagatelle? Quel est celui qui, pour une douce grappe, voudrait détruire la vigne; ou quel est le mendiant insensé qui, pour toucher seulement une couronne, consentirait à se laisser frapper à mort par le sceptre?

      XXXII. – «Si Collatin rêve de mon intention, ne se réveillera-t-il pas; et dans sa fureur désespérée n'accourra-t-il pas ici pour prévenir ma honteuse entreprise, ce siége qui menace son hymen, cette tache pour la jeunesse, cette douleur pour le sage, cette vertu mourante, cette honte éternelle, et ce crime suivi d'un blâme sans fin?

      XXXIII. – «Oh! quelle excuse pourrai-je inventer, quand tu m'accuseras de ce noir attentat? ma langue ne sera-t-elle pas muette, mes faibles membres ne frémiront-ils pas? mes yeux n'oublieront-ils pas de voir, et mon perfide coeur ne saignera-t-il pas? Quand le forfait est grand, la crainte le surpasse encore, et l'extrême crainte ne peut ni combattre ni fuir; mais comme un lâche, elle meurt tremblante de terreur.

      XXXIV. – Si Collatin avait tué mon fils ou mon père, ou bien dressé des embûches contre mes jours; s'il n'était pas mon ami, mon désir de corrompre sa femme aurait quelque excuse dans la vengeance ou les représailles; mais il est mon parent et mon fidèle ami, ce qui rend ma honte et mon crime à jamais inexcusables.

      XXXV. – C'est un crime honteux, – oui, si le fait est connu, il est odieux: – Mais il n'y a point de crime à aimer. Je lui demanderai son amour; mais elle ne s'appartient pas; le pire sera un refus et des reproches: ma volonté est ferme, et la faible raison ne saurait l'ébranler. Celui qui craint une sentence ou la morale d'un vieillard se laissera intimider par une tapisserie.»

      XXXVI. – C'est ainsi que l'infâme balance entre sa froide conscience et sa brûlante passion; il congédie enfin ses bonnes pensées, dont il cherche même à détourner le sens à son avantage; ce qui, dans un moment, confond et détruit l'influence de la vertu; et il va si loin, que ce qui est une lâcheté lui paraît une action vertueuse.

      XXXVII. – «Elle m'a pris tendrement par la main, se dit-il, interrogeant mes yeux passionnés, dans la crainte d'apprendre de mauvaises nouvelles de l'armée dont son bien-aimé Collatin fait partie. Oh! comme la crainte lui donnait des couleurs! d'abord ses joues étaient rouges comme les roses que nous possédons sur une blanche mousseline, et puis blanches comme cette mousseline elle-même.

      XXXVIII. – «Puis sa main, serrée dans la mienne, la forçait de trembler de ses craintes fidèles; ce qui la frappa de tristesse, et la fit encore frémir davantage jusqu'à ce qu'elle apprît que son époux était sain et sauf: alors elle sourit avec tant de grâce, que si Narcisse l'avait aperçue en ce moment, l'amour de lui-même ne l'eût jamais poussé à se noyer.

      XXXIX. – «Qu'ai-je besoin de chercher des prétextes ou des excuses? Tous les orateurs sont muets quand la beauté plaide; les pauvres malheureux éprouvent le remords après de légers méfaits. L'amour ne prospère pas dans le coeur qui craint les ombres: l'Amour est mon capitaine, et il me conduit; – lorsque sa bannière éclatante est déployée, le lâche lui-même combat, et ne veut pas être vaincu.

      XL. – «Loin de moi, crainte puérile! finissez, vains débats, respect et raison, soyez le partage de la vieillesse ridée. Mon coeur ne contrariera jamais mes yeux, la triste tentation et les réflexions profondes conviennent au sage; mon rôle, c'est la jeunesse, et je dois les bannir du théâtre. Le désir est mon


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