Le secrétaire intime. Жорж Санд

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Le secrétaire intime - Жорж Санд


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craintif quand je fus bien convaincu que je n'avais point affaire à une intrigante, mais à une personne d'un rang et d'un esprit supérieurs. Ma timidité lui plut sans doute; car elle redevint folâtre et même provocante.»

      Saint-Julien rougit, et le voyageur s'en apercevant, lui dit d'un air plus grave et un visage plus pâle que de coutume:

      «Vous me trouvez peut-être fat, Monsieur, et pourtant ce que je vous disais en confidence est de la plus exacte vérité. Je n'ai l'air ni fanfaron, ni mauvais plaisant, n'est-il pas vrai?

      – Non, certainement, répliqua Julien. Je vous écoute, veuillez continuer.

      – C'était une étrange créature, grave, diserte, railleuse, haute et digne, insolente, et, vous dirai-je tout? un peu effrontée. Après m'avoir imposé silence avec autorité pour un mot hasardé, elle disait les choses les plus comiques et les moins chastes du monde.

      – En vérité? dit Julien saisi de dégoût.

      – Il n'est que trop vrai, poursuivit le voyageur. Eh bien, malgré ces bizarreries, et peut-être à cause de ces bizarreries, j'en devins éperdument amoureux, non de cet amour idéal et pur dont votre âge est capable, mais d'un amour inquiet, dévorant comme un désir. Enfin, Monsieur, je fus, ce soir-là, le plus heureux des hommes, et je sollicitai avec ardeur la faveur de la voir le lendemain; elle me le promit à la condition que je ne chercherais à savoir ni son nom, ni sa demeure. Je jurai de respecter ses volontés. Elle me banda de nouveau les yeux, me conduisit dehors, et me fit remonter en voiture. Au bout d'une demi-heure on m'en fit descendre. Au moment où j'étais sur le marchepied, une joue douce et parfumée, que je reconnus bien, effleura la mienne, et une voix, que je ne pourrai jamais oublier, me glissa ces mots dans l'oreille: À demain. J'arrachai le bandeau; mais on me poussa sur le pavé, et la portière se referma précipitamment derrière moi. La voiture n'avait point de lanternes et partit comme un trait. J'étais dans une des plus sombres allées des Champs-Élysées. Je ne vis rien, et j'eus bientôt cessé d'entendre le bruit de la voiture, quelques efforts que je fisse pour la suivre. Il faisait un verglas affreux; je tombais à chaque pas, et je pris le parti de rentrer chez moi.

      – Et le lendemain? dit Julien.

      – Je n'ai jamais revu mon inconnue, si ce n'est tout à l'heure, à une des fenêtres qui donnent sur la cour de cette auberge; et c'est la princesse Quintilia Cavalcanti.

      – Vous en êtes sûr, Monsieur? dit Julien triste et consterné.

      – J'en ai une autre preuve, dit le voyageur en tirant de son sein une montre fort élégante et en l'ouvrant: regardez ce chiffre; n'est-ce pas celui de Quintilia Cavalcanti, avec cette abréviation Pra, c'est-à-dire principessa? Maudite abréviation qui m'a tant fait chercher!

      – Comment avez-vous cette montre? dit Julien.

      – Par un hasard étrange, j'en avais une absolument semblable, et je l'avais posée sur la cheminée du boudoir où je fus conduit par mon masque. La cherchant précipitamment, je pris celle-ci qui était suspendue à côté, et ce ne fut qu'au bout de quelques jours que je m'aperçus du chiffre gravé dans l'intérieur.

      – Je ne sais si je rêve, dit Saint-Julien en regardant la montre; mais il me semble que j'en ai vu tout à l'heure une semblable dans les mains de cette femme.

      – Une montre de platine russe, travaillée en Orient, dit le voyageur, avec des incrustations d'or émaillé!

      – Je crois que oui, dit Julien.

      – Eh bien, ouvrez-la, Monsieur, et vous y trouverez le nom de Charles de Dortan; faites-le, au nom du ciel!

      – Comment voulez-vous que j'aille demander à la princesse de voir sa montre? et d'ailleurs qu'y gagnerez-vous?

      – Oh! je veux lui reprocher son effronterie; on ne se joue pas ainsi d'un homme de bonne foi qui s'est soumis à tant de précautions mystérieuses. Il faut démasquer une infâme coquette, ou bien il faut qu'elle me tienne ses promesses, et je garderai à jamais le silence sur cette aventure; car, après tout, Monsieur, je suis encore capable d'en être amoureux comme un fou.

      – Je vous en fais mon compliment, dit froidement Saint-Julien; pour moi, je hais cette sorte de femmes, et je…

      – Voici la voiture qui va partir! s'écria le voyageur: je veux l'attendre au passage, lui crier mon nom aux oreilles, la terrasser de mon regard… Mais de grâce, Monsieur, allez d'abord lui dire que je veux lui parler, que je suis Charles de Dortan; elle sait très-bien mon nom, elle me l'a demandé. Et d'ailleurs elle a ma montre…»

      Le majordome de la princesse vint appeler Julien; celui-ci obéit, et trouva le page, la duègne et les autres installés dans les voitures de suite et prêts à partir. La princesse parut bientôt avec la Ginetta; elles étaient coiffées de grands voiles noirs pour se préserver de la poussière de la route. La princesse avait levé le sien; mais quand elle vit sa voiture entourée de curieux, elle sembla éprouver un sentiment d'impatience et d'ennui, et baissa son voile sur son visage. En ce moment le voyageur pâle s'élançait pour la voir; il s'élança trop tard et ne la vit pas.

      Alors, n'osant adresser la parole à cette femme dont il ne distinguait pas les traits, il prit le bras de Saint-Julien et dit d'un ton d'instance:

      «De grâce, dites mon nom.»

      Saint-Julien céda machinalement et dit à la princesse:

      «Madame, voici M. Charles de Dortan.

      – Je n'ai pas l'honneur de le connaître, répondit la princesse, et je le salue. Allons, Messieurs, en voiture; dépêchons-nous!»

      À ce ton absolu, les serviteurs de la princesse écartèrent précipitamment les curieux, et Quintilia monta en voiture sans que le voyageur pâle osât lui parler. Saint-Julien le vit serrer les poings et s'élancer avec anxiété sur un banc pour regarder dans la voiture.

      – Qu'est-ce que c'est que cet homme-là qui nous regarde tant? dit nonchalamment la princesse en s'étendant à demi au fond de la voiture, dont Saint-Julien et la Ginetta occupaient le devant.

      – Je ne sais pas, Madame, répondit la Ginetta avec candeur en relevant son voile.

      – C'est M. Charles de Dortan, dit Saint-Julien indigné.

      – N'est-ce pas un horloger?» dit la princesse avec tant de calme, que Saint-Julien ne put savoir si c'était une question de bonne foi ou une plaisanterie effrontée.

      La princesse releva aussi son voile, se tourna vers Dortan, et lui dit d'un ton froid et impératif:

      «Monsieur, reculez-vous; on ne regarde pas ainsi une femme.

      Dortan devint pâle comme la lune et resta fasciné à sa place.

      La voiture partit au galop.

      «Ces Français sont insolents! dit la Ginetta au bout d'un instant.

      – Pourquoi? dit la princesse, qui avait déjà oublié l'incident.

      – Il faut, pensa Julien, que ce Dortan soit un imbécile ou un fou.»

      Les manières tranquilles de la princesse le subjuguèrent bientôt, et il lui sembla avoir rêvé l'histoire de Dortan. Pendant ce temps le chemin se dérobait sous les pieds des chevaux, et Avignon s'effaçait dans la poussière de l'horizon.

      IV

      Les journées de ce voyage passèrent comme un songe pour Julien. La princesse s'était faite homme pour lui parler. Elle avait un art infini pour tirer de chaque question tout le parti possible, pour la simplifier, l'éclaircir et la revêtir ensuite de tout l'éclat de sa pensée vaste et brillante. Toutes ses opinions révélaient une âme forte, une volonté implacable, une logique âpre et serrée. Ce caractère viril éblouissait le jeune comte. Une chose seule l'affligeait, c'était de n'y pas voir percer plus de sensibilité; un peu plus d'entraînement, un peu moins de raison, l'eussent rendu plus séduisant sans lui ôter peut-être sa puissance. Mais Saint-Julien ne savait pas encore précisément s'il se trompait en augurant de la beauté de l'intelligence plus que de la bonté du cœur. Peut-être cette


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