Le crime de Lord Arthur Savile. Wilde Oscar

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Le crime de Lord Arthur Savile - Wilde Oscar


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le présenter! s'écria la duchesse. Vous voulez donc dire qu'il est ici.

      Elle chercha autour d'elle son petit éventail en écaille de tortue et son très vieux châle de dentelle, comme pour être prête à fuir à la première alerte.

      – Naturellement il est ici. Je ne puis songer à donner une réunion sans lui. Il me dit que j'ai une main purement psychique et que si mon pouce avait été un tant soit peu plus court, j'aurais été une pessimiste convaincue et me serais enfermée dans un couvent.

      – Oh! je vois! fit la duchesse qui se sentait très soulagée. Il dit la bonne aventure, je suppose?

      – Et la mauvaise aussi, répondit lady Windermere, un tas de choses de ce genre. L'année prochaine, par exemple, je courrais grand danger, à la fois sur terre et sur mer. Ainsi il faut que je vive en ballon et que, chaque soir, je fasse hisser mon dîner dans une corbeille. Tout cela est écrit là, sur mon petit doigt ou sur la paume de ma main, je ne sais plus au juste.

      – Mais sûrement, c'est là tenter la Providence, Gladys.

      – Ma chère duchesse, à coup sûr la Providence peut résister aux tentations par le temps qui court. Je pense que chacun devrait faire lire dans sa main, une fois par mois, afin de savoir ce qu'il ne doit pas faire. Si personne n'a l'obligeance d'aller chercher M. Podgers, je vais y aller moi-même.

      – Laissez-moi ce soin, lady Windermere, dit un jeune homme tout petit, tout joli, qui se trouvait là et suivait la conversation avec un sourire amusé.

      – Merci beaucoup, lord Arthur; mais je crains que vous ne le reconnaissiez pas.

      – S'il est aussi singulier que vous le dites, lady Windermere, je ne pourrais guère le manquer. Dites seulement comment il est et, sur l'heure, je vous l'amène.

      – Soit! Il n'a rien d'un chiromancien. Je veux dire qu'il n'a rien de mystérieux, d'ésotérique, qu'il n'a pas une apparence romantique. C'est un petit homme, gros, avec une tête comiquement chauve et de grandes lunettes d'or, quelqu'un qui tient le milieu entre le médecin de la famille et l'attorney de village. J'en suis aux regrets, mais ce n'est pas ma faute. Les gens sont si ennuyeux. Tous mes pianistes ont exactement l'air de pianistes et tous mes poètes exactement l'air de poètes. Je m'en souviens, la saison dernière, j'avais invité à dîner un épouvantable conspirateur, un homme qui avait versé le sang d'une foule de gens, qui portait toujours une cotte de mailles et avait un poignard caché dans la manche de sa chemise. Eh bien! sachez que quand il est arrivé, il avait simplement la mine d'un bon vieux clergyman. Toute la soirée, il fit pétiller ses bons mots. Certes, il fut très amusant et bien de tous points, mais j'étais cruellement déçue. Quand je l'interrogeai au sujet de sa cotte de mailles, il se contenta de rire et me dit qu'elle était trop froide pour la porter en Angleterre… Ah! voici M. Podgers. Eh bien! monsieur Podgers, je voudrais que vous lisiez dans la main de la duchesse de Paisley… Duchesse, voulez vous enlever votre gant… non pas celui de la main gauche… l'autre…

      – Ma chère Gladys, vraiment je ne crois pas que ceci soit tout à fait convenable, dit la duchesse en déboutonnant comme à regret un gant de peau assez sale.

      – Jamais rien de ce qui intéresse ne l'est, dit lady Windermere: on a fait le monde ainsi3. Mais il faut que je vous présente, duchesse. Voici M. Podgers, mon chiromancien favori; monsieur Podgers, la duchesse de Paisley… et si vous dites qu'elle a un mont de la lune plus développé que le mien, je ne croirais plus en vous désormais.

      – Je suis sûre, Gladys, qu'il n'y a rien de ce genre dans ma main, dit la duchesse d'un ton grave.

      – Votre Grâce est tout à fait dans le vrai, répliqua M. Podgers en jetant un coup d'oeil sur la petite main grassouillette aux doigts courts et carrés. La montagne de la lune n'est pas développée. Cependant la ligne de la vie est excellente. Veuillez avoir l'obligeance de laisser fléchir le poignet… je vous remercie… trois lignes distinctes sur la rascette4… vous vivrez jusqu'à un âge avancé, duchesse, et vous serez extrêmement heureuse… Ambition très modérée, ligne de l'intelligence sans exagération, ligne du coeur…

      – Là-dessus soyez discret, monsieur Podgers, cria lady Windermere.

      – Rien ne me serait plus agréable, répondit M. Podgers en s'inclinant, si la duchesse y avait donné lieu, mais j'ai le regret de dire que je vois une grande constance d'affection combinée avec un sentiment très fort du devoir.

      – Veuillez continuer, monsieur Podgers, dit la duchesse dont le regard marquait la satisfaction.

      – L'économie n'est pas la moindre des vertus de votre Grâce, poursuivit M. Podgers.

      Lady Windermere éclata en rires convulsifs.

      – L'économie est une excellente chose, remarqua la duchesse avec complaisance. Quand j'ai épousé Paisley, il avait onze châteaux et pas une maison convenable où l'on pût habiter.

      – Et maintenant il a douze maisons et pas un seul château, s'écria lady Windermere.

      – Eh t ma chère, dit la duchesse, j'aime…

      – Le confort, reprit M. Podgers, et les perfectionnements modernes, et l'eau chaude amenée dans toutes les chambres. Votre Grâce a tout à fait raison. Le confort est la seule chose que notre civilisation puisse nous donner.

      – Vous avez admirablement décrit le caractère de la duchesse, monsieur Podgers. Maintenant veuillez nous dire celui de lady Flora.

      Et pour répondre à un signe de tête de l'hôtesse souriante, une petite jeune fille, aux cheveux roux d'Écossaise et aux omoplates très hauts, se leva gauchement de dessus le canapé et exhiba une longue main osseuse avec des doigts aplatis en spatule.

      – Ah! une pianiste, je vois! dit M. Podgers, une excellente pianiste et peut-être une musicienne hors ligne. Très réservée, très honnête et douée d'un vif amour pour les bêtes.

      – Voilà qui est tout à fait exact! s'écria la duchesse se tournant vers lady Windermere. Absolument exact. Flora élève deux douzaines de collies à Macloskie et elle remplirait notre maison de ville d'une véritable ménagerie si son père le lui permettait.

      – Bon! mais c'est justement là ce que je fais chez moi chaque jeudi soir, riposta en riant lady Windermere. Seulement je préfère les lions aux collies.

      – C'est là votre seule erreur, lady Windermere, dit M. Podgers avec un salut pompeux.

      – Si une femme ne peut rendre charmantes ses erreurs, ce n'est qu'une femelle, répondit-elle… Mais il faut encore que vous nous lisiez dans quelques mains… Venez, sir Thomas, montrez les vôtres à M. Podgers.

      Et un vieux monsieur d'allure fine, qui portait un veston blanc, s'avança et tendit au chiromancien une main épaisse et rude avec un très long doigt du milieu.

      – Nature aventureuse; dans le passé quatre longs voyages et un dans l'avenir… Naufragé trois fois… Non deux fois seulement, mais en danger de naufrage lors de votre prochain voyage. Conservateur acharné, très ponctuel, ayant la passion des collections de curiosités. Une maladie dangereuse entre la seizième et la dix-huitième année. A hérité d'une fortune vers la trentième. Grande aversion pour les chats et les radicaux.

      – Extraordinaire! s'exclama sir Thomas. Vous devriez lire aussi dans la main de ma femme.

      – De votre seconde femme, dit tranquillement M. Podgers qui conservait toujours la main de sir Thomas dans la sienne.

      Mais lady Marvel, femme d'aspect mélancolique, aux cheveux noirs et aux cils de sentimentale, refusa nettement de laisser révéler son passé ou son avenir.

      Aucun des efforts de lady Windermere ne put non plus amener M. de Koloff, l'ambassadeur de Russie, à consentir même à retirer ses gants.

      En réalité, bien des gens redoutaient d'affronter cet étrange petit homme au sourire stéréotypé, aux lunettes d'or et aux yeux d'un brillant de perle, et quand il dit


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<p>3</p>

En français dans le texte.

<p>4</p>

En français dans le texte.