OEuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 09. Guy de Maupassant

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OEuvres complètes de Guy de Maupassant - volume 09 - Guy de Maupassant


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oublier, en une seconde, les conseils prudents de mon camarade; mais, soudain, m’étant tourné vers la toilette, je vis toutes choses dans l’état où je les avais laissées; et je m’assis, tout à fait anxieux, torturé par l’irrésolution.

      Certes, je suis resté là longtemps, fort longtemps, une heure peut-être, sans me décider à rien, ni à l’audace ni à la fuite. La retraite d’ailleurs m’était impossible, et il me fallait soit passer la nuit sur un siège, soit me coucher à mon tour, à mes risques et périls.

      Quant à dormir ici ou là, je n’y devais pas songer, j’avais la tête trop agitée et les yeux trop occupés.

      Je remuais sans cesse, vibrant, enfiévré, mal à l’aise, énervé à l’excès. Puis je me fis un raisonnement de capitulard: «Ça ne m’engage à rien de me coucher. Je serai toujours mieux, pour me reposer, sur un matelas que sur une chaise.»

      Et je me déshabillai lentement; puis passant par-dessus la dormeuse, je m’étendis contre la muraille, en offrant le dos à la tentation.

      Et je demeurai encore longtemps, fort longtemps sans dormir.

      Mais, tout à coup, ma voisine se réveilla. Elle ouvrit des yeux étonnés et toujours mécontents, puis s’étant aperçue qu’elle était nue, elle se leva et passa tranquillement sa chemise de nuit, avec autant d’indifférence que si je n’avais pas été là.

      Alors... ma foi... je profitai de la circonstance, sans qu’elle parût d’ailleurs s’en soucier le moins du monde. Et elle se rendormit placidement, la tête posée sur son bras droit.

      Et je me mis à méditer sur l’imprudence et la faiblesse humaines. Puis je m’assoupis enfin.

      Elle s’habilla de bonne heure, en femme habituée aux travaux du matin. Le mouvement qu’elle fit en se levant m’éveilla; et je la guettai entre mes paupières à demi closes.

      Elle allait, venait, sans se presser, comme étonnée de n’avoir rien à faire. Puis elle se décida à se rapprocher de la table de toilette et elle vida, en une minute, tout ce qui restait de parfums dans mes flacons. Elle usa aussi de l’eau, il est vrai, mais peu.

      Puis quand elle se fut complètement vêtue, elle se rassit sur sa malle, et, un genou dans ses mains, elle demeura songeuse.

      Je fis alors semblant de l’apercevoir, et je dis: «Bonjour, Francesca.»

      Elle grommela, sans paraître plus gracieuse que la veille: «Bonjour.»

      Je demandai: «Avez-vous bien dormi?»

      Elle fit oui de la tête sans répondre; et sautant à terre, je m’avançai pour l’embrasser.

      Elle me tendit son visage d’un mouvement ennuyé d’enfant qu’on caresse malgré lui. Je la pris alors tendrement dans mes bras (le vin étant tiré, j’eus été bien sot de n’en plus boire) et je posai lentement mes lèvres sur ses grands yeux fâchés qu’elle fermait, avec ennui, sous mes baisers, sur ses joues claires, sur ses lèvres charnues qu’elle détournait.

      Je lui dis: «Vous n’aimez donc pas qu’on vous embrasse?»

      Elle répondit: «Mica.»

      Je m’assis sur la malle à côté d’elle, et passant mon bras sous le sien: «Mica! mica! mica! pour tout. Je ne vous appellerai plus que mademoiselle Mica.»

      Pour la première fois, je crus voir sur sa bouche une ombre de sourire, mais il passa si vite que j’ai bien pu me tromper.

      — Mais si vous répondez toujours «mica» je ne saurai plus quoi tenter pour vous plaire. Voyons, aujourd’hui, qu’est-ce que nous allons faire?

      Elle hésita comme si une apparence de désir eût traversé sa tête, puis elle prononça nonchalamment: «Ça m’est égal, ce que vous voudrez.

      — Eh bien, mademoiselle Mica, nous prendrons une voiture et nous irons nous promener.»

      Elle murmura: «Comme vous voudrez.»

      Paul nous attendait dans la salle à manger avec la mine ennuyée des tiers dans les affaires d’amour. J’affectai une figure ravie et je lui serrai la main avec une énergie pleine d’aveux triomphants.

      Il demanda: «Qu’est-ce que tu comptes faire?»

      Je répondis: «Mais nous allons d’abord parcourir un peu la ville, puis nous pourrons prendre une voiture pour voir quelque coin des environs.»

      Le déjeuner fut silencieux, puis on partit par les rues, pour la visite des musées. Je traînai à mon bras Francesca de palais en palais. Nous parcourûmes le palais Spinola, le palais Doria, le palais Marcello Durazzo, le palais Rouge et le palais Blanc. Elle ne regardait rien ou bien levait parfois sur les chefs-d’œuvre son œil las et nonchalant. Paul exaspéré nous suivait en grommelant des choses désagréables. Puis une voiture nous promena par la campagne, muets tous les trois.

      Puis on rentra pour dîner.

      Et le lendemain ce fut la même chose, et le lendemain encore.

      Paul, le troisième jour, me dit: «Tu sais, je te lâche, moi, je ne vais pas rester trois semaines à te regarder faire l’amour avec cette grue-là?»

      Je demeurais fort perplexe, fort gêné, car, à ma grande surprise, je m’étais attaché à Francesca d’une façon singulière. L’homme est faible et bête, entraînable pour un rien, et lâche toutes les fois que ses sens sont excités ou domptés. Je tenais à cette fille que je ne connaissais point, à cette fille taciturne et toujours mécontente. J’aimais sa figure grogneuse, la moue de sa bouche, l’ennui de son regard; j’aimais ses gestes fatigués, ses consentements méprisants, jusqu’à l’indifférence de sa caresse. Un lien secret, ce lien mystérieux de l’amour bestial, cette attache secrète de la possession qui ne rassasie pas, me retenait près d’elle. Je le dis à Paul, tout franchement. Il me traita d’imbécile, puis me dit: «Eh bien, emmène la.»

      Mais elle refusa obstinément de quitter Gênes sans vouloir expliquer pourquoi. J’employai les prières, les raisonnements, les promesses; rien n’y fit.

      Et je restai.

      Paul déclara qu’il allait partir tout seul. Il fit même sa malle, mais il resta également.

      Et quinze jours se passèrent encore.

      Francesca, toujours silencieuse et d’humeur irritée, vivait à mon côté plutôt qu’avec moi, répondant à tous mes désirs, à toutes mes demandes, à toutes mes propositions par son éternel «che mi fa» ou par son non moins éternel «mica».

      Mon ami ne dérageait plus. A toutes ses colères, je répondais: «Tu peux t’en aller si tu t’ennuies. Je ne te retiens pas.»

      Alors il m’injuriait, m’accablait de reproches, s’écriait: «Mais où veux-tu que j’aille maintenant. Nous pouvions disposer de trois semaines, et voilà quinze jours passés! Ce n’est pas à présent que je peux continuer ce voyage? Et puis, comme si j’allais partir tout seul pour Venise, Florence et Rome! Mais tu me le payeras, et plus que tu ne penses. On ne fait pas venir un homme de Paris pour l’enfermer dans un hôtel de Gênes avec une rouleuse italienne!»

      Je lui disais tranquillement: «Eh bien, retourne à Paris, alors.» Et il vociférait: «C’est ce que je vais faire et pas plus tard que demain.»

      Mais le lendemain il restait comme la veille, toujours furieux et jurant.

      On nous connaissait maintenant par les rues, où nous errions du matin au soir, par les rues étroites et sans trottoirs de cette ville qui ressemble à un immense labyrinthe de pierre, percé de corridors pareils à des souterrains. Nous allions dans ces passages où soufflent de furieux courants d’air, dans ces traverses resserrées entre


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