Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9). Жорж Санд

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Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9) - Жорж Санд


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et mes poulets tout en se gaussant de moi.» Ce discours tenu à haute voix au milieu d'un silence dont le bon curé ne se doutait pas, mit Hippolyte dans un grand embarras; mais voyant que l'archevêque et le grand-vicaire en riaient aux éclats, il prit le parti de rire aussi, et on quitta la table, à la grande satisfaction de l'Amphytrion et de Manette qui, croyant cacher leurs pensées, les disaient tout haut, à la barbe de leurs illustres hôtes.

      Vers la fin de sa vie, notre curé eut une émotion qui dut la hâter. Il avait la manie de cacher son argent comme beaucoup de vieillards qui n'osent le placer, et qui se créent un tourment avec les économies destinées à faire la sécurité de leurs vieux jours. Il avait mis les siennes dans son grenier. Un voisin, qu'il avait pourtant, dit-on, comblé de bienfaits, se laissa tenter, grimpa la nuit par les toits, pénétra par une lucarne, et s'empara du trésor de M. l'abbé. Quand celui-ci vit ses écus dénichés, il eut tant de colère et de chagrin qu'il faillit devenir fou. Il était au lit, il avait presque le délire quand le procureur du roi vint, sur sa requête, prendre des informations et recevoir sa plainte. Ce qui ajoutait à la douleur et à l'indignation du vieillard, c'est qu'il avait deviné l'auteur du délit; mais, au moment de le désigner aux poursuites de la justice, il fut pris de compassion pour cet homme qu'il avait aimé, et peut-être aussi d'un remords de chrétien pour cet amour de l'argent qui l'avait trop dominé. «Faites votre besogne, dit-il au magistrat qui l'interrogeait; j'ai été volé, c'est vrai, mais si j'ai des soupçons, je n'en dois compte qu'au bon Dieu, et il ne m'appartient pas de punir le coupable.» On le pressa vainement. «Je n'ai rien à vous dire, fit-il en tournant le dos avec humeur. Je pourrais me tromper. C'est vous autres, magistrats, de prendre cela sur votre conscience. C'est votre état et non le mien.»

      La nuit suivante, l'argent fut reporté dans le grenier, et Manette, en furetant avec désespoir, le retrouva dans la cachette d'où on l'avait soustrait. Le voleur, pris de repentir et touché de la générosité du curé, s'était exécuté à l'instant même. Le curé, pour faire cesser les investigations de la justice et les commentaires de la paroisse, donna à entendre qu'il avait rêvé la perte de son argent, ou que sa servante, pour le mieux cacher, l'avait changé de place et ne s'en était pas souvenue le lendemain, à cause de son grand âge, qui lui avait fait perdre la mémoire. On raconta donc de diverses manières l'aventure du curé, et plusieurs versions courent encore à cet égard. Mais il m'a raconté lui-même ce que je raconte ici à son honneur, et même à l'honneur de son voleur, car le sentiment chrétien qui estime le repentir plus agréable à Dieu que la persévérance, est un beau sentiment dont la justice humaine ne tient guère de compte.

      Ce vieux curé avait beaucoup d'amitié pour moi. J'avais quelque chose comme trente-cinq ans qu'il disait encore de moi: «L'Aurore est un enfant que j'ai toujours aimé.» Et il écrivait à mon mari, supposant apparemment qu'il pouvait lui donner de l'ombrage: «Ma foi, monsieur, prenez-le comme vous voudrez, mais j'aime tendrement votre femme.»

      Le fait est qu'il agissait tout paternellement avec moi. Pendant vingt ans, il n'a pas manqué un dimanche de venir dîner avec moi après vêpres. Quelquefois j'allais le chercher en me promenant. Un jour, je me fis mal au pied en marchant, et je n'aurais su comment revenir, car, dans ce temps-là, il ne fallait pas parler de voitures dans les chemins de Saint-Chartier, si le curé ne m'eût offert de me prendre en croupe sur sa jument; mais j'aurais mieux fait de prendre en croupe le curé, car il était si vieux alors qu'il s'endormait au mouvement du cheval. Je rêvassais en regardant la campagne, lorsque je m'aperçus que la bête, après avoir progressivement ralenti son allure, s'était arrêtée pour brouter, et que le curé ronflait de tout son cœur. Heureusement l'habitude l'avait rendu solide cavalier, même dans son sommeil; je jouai du talon, et la jument, qui savait son chemin, nous conduisit à bon port, malgré qu'elle eût la bride sur le cou.

      Après le dîner, où il mangeait et buvait copieusement, il se rendormait au coin du feu, et, de ses ronflemens, faisait trembler les vitres. Puis il s'éveillait et me demandait un petit air de clavecin ou d'épinette: il ne pouvait pas dire piano, l'expression lui semblant trop nouvelle. A mesure qu'il vieillissait, il n'entendait plus les basses; les notes aiguës de l'instrument lui chatouillaient encore un peu le tympan. Un jour il me dit: «Je n'entends plus rien du tout. Allons, me voilà vieux!» Pauvre homme! il y avait longtemps qu'il l'était. Et pourtant, il montait encore à cheval à dix heures du soir, et s'en retournait, en plein hiver à son presbytère, sans vouloir être accompagné. Quelques heures avant de mourir, il dit au domestique, que j'avais envoyé savoir de ses nouvelles: «Dites à Aurore qu'elle ne m'envoie plus rien; je n'ai plus besoin de rien; et dites-lui aussi que je l'aime bien, ainsi que ses enfans.»

      Il me semble que la plus grande preuve d'attachement qu'on puisse revendiquer, c'est d'avoir occupé les dernières pensées d'un mourant. Peut-être aussi y a-t-il là quelque chose de prophétique qui doit inspirer de la confiance ou de l'effroi. Lorsque la supérieure de mon couvent mourut, de soixante pensionnaires qui l'intéressaient toutes à peu près également, elle ne songea qu'à moi, à qui pourtant elle n'avait jamais témoigné une sollicitude particulière. «Pauvre Dupin, dit-elle à plusieurs reprises dans son agonie, je la plains bien de perdre sa grand'mère.» Elle rêvait que c'était ma grand'mère qui était malade et mourante à sa place. Cela me laissa une grande inquiétude et une sorte d'appréhension superstitieuse de quelque malheur imminent.

      Ce fut vers l'âge de sept ans que je commençai à subir le préceptorat de Deschartres. Je fus assez longtemps sans avoir à m'en plaindre, car, autant il était rude et brutal avec Hippolyte, autant il fut calme et patient avec moi dans les premières années. C'est pour cela que je fis de rapides progrès avec lui, car il démontrait fort clairement et brièvement quand il était de sang-froid; mais dès qu'il s'animait, il devenait diffus, embarrassé dans ses démonstrations, et la colère le faisant bégayer, le rendait tout à fait inintelligible. Il maltraitait et rudoyait horriblement le pauvre Hippolyte, qui pourtant avait de la facilité et une mémoire excellente. Il ne voulait pas tenir compte du besoin d'activité d'une robuste nature que de trop longues leçons exaspéraient. J'avoue bien, malgré mon amitié pour mon frère, que c'était un enfant insupportable. Il ne songeait qu'à briser, à détruire, à taquiner, à jouer de mauvais tours à tout le monde. Un jour, il lançait des tisons enflammés dans la cheminée, sous prétexte de sacrifier aux dieux infernaux et il mettait le feu à la maison. Un autre jour, il mettait de la poudre dans une grosse bûche pour qu'elle fît explosion dans le foyer et lançât le pot-au-feu au milieu de la cuisine. Il appelait cela étudier la théorie des volcans. Et puis il attachait une casserole à la queue des chiens et se plaisait à leur fuite désordonnée et à leurs cris d'épouvante à travers le jardin. Il mettait des sabots aux chats, c'est à dire qu'il leur engluait les quatre pieds dans des coquilles de noix et qu'il les lançait ainsi sur la glace ou sur les parquets, pour les voir glisser, tomber, et retomber cent fois avec des juremens épouvantables. D'autres fois il disait être Calchas, le grand-prêtre des Grecs, et, sous prétexte de sacrifier Iphigénie sur la table de la cuisine, il prenait le couteau destiné à de moins illustres victimes: et, s'évertuant à droite et à gauche, il blessait les autres ou lui-même.

      Je prenais bien quelquefois un peu de part à ses méfaits dans la mesure de mon tempérament qui était moins fougueux. Un jour que nous avions vu tuer un cochon gras dans la basse-cour, Hippolyte s'imagina de traiter comme tels les concombres du jardin. Il leur introduisait une petite brochette de bois dans l'extrémité qui, selon lui, représentait le cou de l'animal: puis, pressant du pied ces malheureux légumes, il en faisait sortir tout le jus. Ursule le recueillait dans un vieux pot à fleurs pour faire le boudin, et j'allumais gravement un feu fictif à côté pour faire griller le porc, c'est à dire le concombre, ainsi que nous l'avions vu pratiquer au boucher. Ce jeu nous plut tellement que, passant d'un concombre à l'autre, choisissant d'abord les plus gras, et finissant par les moins rebondis, nous dévastâmes lestement une couche, objet des sollicitudes du jardinier. Je laisse à penser quelle fut sa douleur quand il vit cette scène de carnage. Hippolyte, au milieu des cadavres, ressemblait à Ajax immolant dans son délire les troupeaux de l'armée des Grecs. Le jardinier porta plainte, et nous fûmes punis: mais cela ne fit pas revivre les concombres, et on n'en mangea pas cette année-là.

      Un


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