Tamaris. Жорж Санд

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Tamaris - Жорж Санд


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servi. Mademoiselle Roque, parlant patois et vêtue à la française, grave, froide et polie, s'expliqua, et je vis alors, à ses discours, qu'elle me prenait pour vous.

      – Pour moi?

      – Oui. Elle avait appris vaguement, le lendemain de la mort de son père, qu'elle n'héritait que de la moitié de son avoir, qu'un parent avait droit au reste et viendrait probablement bientôt s'occuper de vente. Elle avait supposé que l'étranger arrivé si brusquement chez elle vers minuit ne pouvait être qu'un héritier pressé de réclamer, et, ne sachant pas si vous ne lui contesteriez point la bastide, elle vous suppliait de la lui laisser.

      »Quand j'eus réussi à lui faire comprendre que je n'étais pas vous, mais que je vous connaissais, elle me pria de vous parler d'elle. Il me semblait avoir entendu dire que la maison lui était spécialement réservée; mais je n'en étais pas sûr, et je promis de le lui faire savoir le lendemain. Quant à elle, consternée et comme stupéfiée par le suicide de son père, elle n'avait absolument rien compris à la communication qui lui avait été faite du testament, et elle avait peut-être regardé comme indigne de sa fierté de se faire expliquer quoi que ce soit. Je questionnai Aubanel comme par rapport à vous, et, sans lui rien dire de mes deux entrevues avec mademoiselle Roque, je sus qu'elle n'avait rien à craindre de ce qu'elle redoutait, et je pensai à lui écrire; mais je ne sais pas écrire en indien, et j'avais découvert qu'elle ne savait pas lire le français. On n'a aucune idée de l'abandon intellectuel où son père l'a laissée vivre. Sans sa mère, qui lui a appris le peu qu'elle sait, et les enfants du fermier, qui lui ont parlé provençal, elle n'eût su, je crois, s'exprimer dans aucune langue.

      – Elle parle pourtant un français assez correct.

      – Elle est fort intelligente à certains égards, et sa douceur cache une grande force de volonté. Elle a toujours compris le français, mais elle s'obstiqait à ne pas le parler. Quand elle a vu que je ne trouvais pas grand charme à notre dialecte méridional, dont la musique est si rude et les intonations si vulgaires, elle s'est résolue à parler français, et ceci a été l'affaire de quelques jours, une sorte de prodige qu'elle n'a pas su m'expliquer et dont je n'ai pu me rendre compte.

      – L'amour?

      – Oui, l'amour! C'est très-ridicule à dire, mais il faut bien que je le dise, puisque je suis ici pour confesser et demander la vérité!

      »Je n'écrivis donc pas, je revins la voir. Cette troisième fois, je ne me le reproche pas, je n'étais poussé que par un sentiment de compassion pour cette malheureuse fille abandonnée de tous, n'inspirant d'intérêt à personne, livrée aux soins d'une vieille négresse à demi en enfance, et réduite à chérir le triste asile dont les passants se détournaient avec terreur et dégoût. Oui, mon cher ami, je vous jure qu'il n'y avait pas en moi autre chose. Mademoiselle Roque en robe et en bottines, parlant comme les femmes du pays, dépouillée de tout son prestige oriental et ne disant que des choses niaises ou insensées eu égard à la vie pratique, n'avait plus pour moi aucune espèce d'attrait.

      »Ce qui acheva de me glacer, c'est l'engouement subit et spontanément avoué dont cette créature hybride, demi-bourgeoise et demi-sauvage, se prit pour moi. Elle s'imagina tout d'un coup que mon obligeance pour elle cachait un autre sentiment, et que j'allais l'épouser et l'emmener sur mon beau navire. Voilà où elle en était de son appréciation des choses du monde.

      »Je me promettais bien de ne plus retourner chez elle; j'aurais dû ne jamais repasser devant sa maison, mais le hasard m'y ramena, et la vieille négresse, se traînant comme une panthère blessée et sortant de derrière la haie, me força de prendre un billet en caractères hiéroglyphiques. Je ne pus le lire, je le brûlai pour n'être pas tenté de me le faire traduire; mais j'appris par Aubanel que cette pauvre fille était très-malade et qu'elle ne voulait voir personne. Madame Aubanel, mue par un sentiment de charité, n'avait pu pénétrer chez elle. La femme du fermier se mourait, et, au milieu de tous ces désastres, on craignait que mademoiselle Roque n'eût hérité de la fatalité du suicide.

      »Je crus qu'il serait lâche de l'abandonner; j'y courus le premier soir dont je pus disposer. La négresse me fit attendre, puis elle m'introduisit dans ce salon asiatique que vous avez vu, où l'on avait exhibé tous les objets curieux et précieux rassemblés par M. Roque au temps de son amour pour la mère de Nama. On avait fait de l'ordre et de la propreté, brûlé des parfums, débarrassé la fenêtre de son épais rideau. Vous n'avez pas remarqué sans doute que de cette fenêtre on voit la mer et les montagnes. Un store transparent, à demi baissé et éclairé par la lune, jetait sur la muraille une mosaïque pâle et d'un effet charmant. Il y avait des fleurs partout. Nama parut, vêtue à la manière des almées, dans les riches atours qui lui venaient de sa mère. Elle était superbe; elle parlait français pour la première fois. Elle se plaignait de mon abandon, elle pleurait, elle aimait avec une complète innocence et surtout avec une hardiesse de cœur qui me tourna la tête. Elle flattait par son courage et sa foi ma manière de voir et de sentir la vie, et elle agissait ainsi sans le savoir, ce qui la rendait bien puissante.

      »Eh bien, mon cher ami, je fus très-fort, et je suis encore étonné d'avoir pu résister à l'emportement de ma nature. Non-seulement je lui refusai un baiser, non-seulement je m'acharnai à lui faire comprendre mon devoir et le danger de sa confiance, mais encore je la quittai brusquement sans lui dire: Je t'aime. Je l'aimais pourtant diablement dans ce moment-là.

      »Le lendemain, je n'étais pas dégrisé. Croyez-moi si vous voulez, j'ai passé plusieurs nuits sans fermer l'œil. Je voyais toujours cette belle fille chaste et même froide me regarder d'un air de reproche et se jeter dans le sein de sa négresse en disant:

      » – Il ne veut pas m'aimer!

      »Je ne l'ai donc jamais trompée! Non, pas un instant! mais elle m'a vu ému malgré moi. Elle n'a pas compris l'espèce de combat dont je voulais triompher. Elle ne sait pas la différence qui existe entre le cœur et l'imagination. Elle n'y comprendra jamais rien. Elle croit que je l'aime, mais qu'un autre engagement me défend de le lui dire. Elle espère toujours. Elle croit que mes rares et courtes visites sont aussi un engagement que j'ai contracté avec elle. Elle me dispute à une rivale imaginaire. Elle est malade et abattue quand elle ne me voit pas; elle préfère mes duretés et ma froideur à mon absence. Je l'ai revue encore une ou deux fois. Aujourd'hui, elle m'a dit qu'elle ne se marierait jamais qu'avec moi, et qu'elle se tuerait si j'en épousais une autre. Il n'y a rien de plus stupide qu'un homme qui croit à ces menaces-là et qui les raconte: pourtant voyez la situation exceptionnelle de cette fille! Songez à la fin horrible de son père, à l'hérédité possible de certaines affections du cerveau, à l'abominable influence de la bastide Roque… Voilà où j'en suis; dites-moi ce que vous feriez à ma place…

      – Je ne sais pas, répondis-je.

      – Comment, vous ne savez pas?

      – Non, il m'est impossible de me mettre à votre place, précisément parce que je ne m'y serais pas mis. Je ne serais pas retourné chez mademoiselle Roque, si je m'étais senti inflammable comme vous l'êtes!

      – Mais ce n'est pas moi qui suis inflammable, c'est elle qui a pris feu comme l'éther!

      – On s'enflamme pour vous parce que le feu vous sort par les yeux. Ces aventures-là n'arrivent qu'à certains hommes. Voyons, vous n'êtes pas plus laid ni plus sot qu'un autre, je le sais bien; mais vous n'êtes pas un dieu, et vous ne faites pas boire de philtres à vos clientes! D'où vient donc que vous avez partout des amourettes et que vous passez pour un homme à bonnes fortunes? C'est que cela vous plaît, allez! et que vos regards, vos manières, vos paroles trahissent, même malgré vous, cette inquiétude fiévreuse que vous avez de dépenser toute votre vie dans un jour!

      En parlant ainsi à la Florade, j'étais irrité, j'étais cent fois plus fou que lui; je me disais qu'avec son fluide électro-magnétique et la naïveté de ses émotions, aussi vives à vingt-huit ans, après une vie orageuse, que celles d'un jeune écolier, il pourrait bien plaire à la marquise, si elle venait à le rencontrer. J'étais donc jaloux de cette femme, dont il ne savait pas le nom et qu'il n'avait pas encore vue.

      Ma vivacité le fit rire. Il prétendit que


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