Tamaris. Жорж Санд

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Tamaris - Жорж Санд


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de la véritable bruyère blanche arborescente, qui, au mois d'avril, embaume tous les bois du pays.

      J'avais pris une barque pour aller par mer à Tamaris. C'est le plus court chemin quand le vent est propice. J'abordai à la côte juste au pied de la bastidette de M. Pasquali. Je trouvai un homme entre deux âges, d'une aimable figure, d'une grande franchise et d'une obligeance extrême. Il avait peu connu le vieux parent dont j'héritais.

      – C'était une espèce de maniaque, me dit-il; il ne sortait plus depuis longtemps, et vivait là avec une espèce de fille naturelle…

      – Qui a droit, je le sais, à la moitié du petit héritage. Il n'y aura pas contestation de ma part. Si elle veut acquérir l'autre moitié, je ne lui ferai certes pas payer ce qu'on appelle la convenance. C'est pour savoir en toute équité la valeur de cette portion de terrain que je suis venu vous consulter.

      – Eh bien, puisque vous êtes un bon garçon et un honnête homme, je prendrai les intérêts des deux parties. Cela vaut quinze mille francs. Mademoiselle Roque a de quoi payer comptant une portion de la somme. Avec le temps, elle acquittera le reste.

      – C'est une honnête personne?

      – Vous ne la connaissez donc pas?

      – Pas plus que je ne connais la propriété.

      – Vous n'êtes pas curieux!

      – On m'a dit que l'endroit était triste et laid, et, quant à la fille, j'aurais cru manquer au savoir-vivre en allant faire une sorte d'expertise chez elle.

      – Oui, vous avez raison; je vois que la Florade m'avait dit la vérité sur votre compte.

      – Vous connaissez donc la Florade?

      – Pardieu, si je le connais! il est mon filleul. Un charmant enfant, n'est-ce pas? une diable de tête! Mais, à son âge, je raisonnais un peu comme lui! Me voilà vieux, j'aime la pêche, je m'y donne tout entier. Vous, vous aimez la science… Au bout du compte, chacun en ce monde court à ce qui lui plaît, et il n'y a que les hypocrites qui s'y rendent en cachette.

      Là-dessus, le franc marin me força d'accepter un verre d'excellent vin où il me fit tremper un pain frais de biscuit de mer.

      – Je n'ai pas d'autre gala à vous offrir, me dit-il; car je n'ai pu aller à la pêche ce matin. Il y avait encore trop de ressac dans mes eaux. Il faut aussi vous dire que je ne couche presque jamais ici. J'ai ma demeure au port de la Seyne, à une demi-heure de marche, sur l'autre versant de la presqu'île. Je viens tous les jours de grand matin visiter mes appâts et explorer mon quartier de pêche. Je fais une sieste, je fume une pipe, je me remets en pêche quand le temps est bon, et, au coucher du soleil, je retourne à la ville.

      – Et vous ne laissez ici personne? Votre propriété est respectée durant la nuit?

      – Oui, grâce aux douaniers et gardes-côtes qui sont échelonnés sur le rivage. Les gens du pays sont généralement honnêtes; mais nos sentiers déserts, nos bastides isolées les unes des autres par de vastes vergers sans clôture, tentent ce ramassis de bandits étrangers que la mer, les grands ateliers et les chemins de fer nous amènent. Vous voyez que tous nos rez-de-chaussée sont grillés comme des fenêtres de prison, et, si vous demeuriez ici, vous sauriez qu'on ne sort pas la nuit sans être bien accompagné ou bien armé. Malgré tout cela, on vole et on assassine; mais, avec un bon revolver et un bon casse-tête, on peut aller partout.

      – Vous ne me donnez pas grand regret d'avoir dans vos parages une propriété à vendre au plus vite. Je n'aimerais pas à vivre sur ce pied de guerre avec mes semblables.

      – Les bandits ne sont pas nos semblables, reprit-il. Mais venez donc jeter un coup d'œil sur nos rivages, et puis nous irons voir votre propriété.

      Le terrain de la plage assez vaste qui se prolongeait vers le sud était plat et coupé d'une multitude de cultures à peu près toutes semblables: des plantations de vigne basse rayées de plantations d'oliviers et de larges sillons de céréales hâtives et souffreteuses; dans chaque enclos, une bastide généralement laide et décrépite. Celle de M. Pasquali était agréable et confortable; mais, placée au niveau de la mer, elle n'avait pas de vue, et, comme j'en faisais la remarque, il me dit:

      – Vous ne connaissez pas le pays. Là où nous sommes, il ne paye pas de mine; mais vous ne le voyez pas. Je me suis planté au ras du flot, parce que j'y suis abrité du mistral par la colline, et parce que tout ce que j'aime dans la campagne, c'est l'eau salée, c'est le roc submergé et les intéressants animaux qui s'y cachent et qui me font ruser et chercher. Cependant, si vous aimez les belles vues, faisons deux cents pas un peu en roideur, et vous ne regretterez pas votre peine.

      Nous gravîmes un escalier rustique formé de dalles mal assorties qui, de terrasse en terrasse, nous conduisit au sommet de la colline, tout près d'une maison basse assez grande et assez jolie pour le pays. Le toit de tuiles roses se perdait sous les vastes parasols d'un large bouquet de pins d'Alep négligemment mais gracieusement jeté sur la colline. Au premier abord, ce dôme de sombre verdure enveloppait tout; mais, en faisant le tour du parc, si l'on peut appeler parc une colline fruste, herbue, crevée de roches, et où rien n'adoucissait les caprices du sentier, on saisissait de tous côtés, à travers les tiges élancées des arbres, de magnifiques échappées de vue sur la mer, les golfes et les montagnes: au nord, une colline boisée que dépassait la cime plus éloignée du Coudon, une belle masse de calcaire blanc et nu brusquement coupée en coude, comme son nom semble l'indiquer; à l'est, des côtes ocreuses et chaudes festonnées de vieux forts dans le style élégant de la renaissance; puis l'entrée de la petite rade de Toulon et quelques maisons de la ville, dont heureusement un petit cap me cachait la triste et interminable ligne blanche sans épaisseur et sans physionomie; puis la grande rade, s'enfonçant à perte de vue dans les montagnes et finissant à l'horizon par les lignes indécises de la presqu'île de Giens et les masses vaporeuses des îles d'Hyères. De ce côté, la vue, heureusement encadrée par les pins-parasols et les buissons fortement découpés, était si bien composée et d'un ton si pur et si frais, que je restai un instant comme en extase; je n'avais rien trouvé de plus beau sur les rivages de Naples et de la Sicile. La grande rade, ainsi vue de haut, et partout tout entourée de collines d'un beau plan et d'une forme gracieuse, avait les tons changeants du prisme. La houle soulevait encore quelques lignes blanches sur les fonds bleus du côté de la pleine mer; mais, à mesure qu'elle venait mourir dans des eaux plus tranquilles, elle passait par les nuances vertes jusqu'à ce que, s'éteignant sous nos pieds dans le petit golfe du Lazaret, elle eût pris sur les algues des bas-fonds l'irisation violette des mers de Grèce.

      – Voici, dis-je à mon guide, une des plus belles marines que j'aie jamais vues. Qui donc habite cette maison si bien située?

      – Une jeune veuve avec un enfant malade a loué Tamaris pour la saison; car c'est ici le véritable endroit, jadis appelé le Tamarisc, qui a donné son nom au quartier. La petite villa appartient à un de mes amis; mais, dans nos pays, on ne loue aux étrangers que pour la mauvaise saison, puisque les étrangers ont la simplicité de croire à nos printemps, et on ne prend sa propre villégiature qu'à la fin de l'été.

      J'observai que, si la nature était belle en ce lieu, le climat m'y semblait effectivement bien âpre, et mal approprié aux délicats organes d'une femme et d'un enfant.

      – C'est rude mais sain, reprit M. Pasquali. L'enfant s'en trouve bien, à ce qu'il paraît. Quant à la mère, elle ne m'a pas semblé malade. C'est une jolie femme très-douce et très-aimable. Et tenez! la voilà qui nous fait signe d'approcher.

      En effet, une des fenêtres du rez-de-chaussée s'était ouverte, et, à travers les barreaux de fer, une gracieuse main blanche s'offrait à la main du vieux marin; une voix douce l'appela du titre de cher voisin, et on échangea des politesses cordiales. L'enfant sortit au même moment, et, comme je me tenais discrètement à l'écart, il vint autour de moi, ainsi qu'un oiseau curieux, babiller tout seul, faire des grâces, et finalement répondre à mes avances en grimpant sur mes épaules. La mère s'inquiéta sans doute, car j'entendis M. Pasquali lui dire:

      – Oh! soyez tranquille; s'il


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