La maison d'un artiste, Tome 2. Edmond de Goncourt

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La maison d'un artiste, Tome 2 - Edmond de Goncourt


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les Hopitaux par Tenon, professeur de pathologie au collège de Chirurgie, relié en maroquin vert myrte, avec des colombes se becquetant sur le dos, vous fait frissonner, en vous ouvrant ces lits de l'Hôtel-Dieu bondés de trois, quatre, cinq et six malades; heureux encore qu'on ne les mette plus sur le ciel-de-lit, comme cela se passait quelques années auparavant.

      Et sur les cimetières, le «Rapport sur les exhumations du cimetière et de l'église des SS. Innocens par Thouret» nous fait assister au transfèrement des vingt mille cadavres, à la clarté des flambeaux et des cordons de feu, jetant des lueurs funèbres sur les croix et les pierres tombales, au milieu desquelles les ouvriers semblaient «se mouvoir comme des ombres».

      Les Almanachs, les Guides, les Indicateurs épuisés, au Paris statistique succède un Paris que j'appellerai le Paris moral, un Paris montré dans ses mœurs, par les livres, les brochures, les feuilles volantes contemporaines.

      Commençons la revue de ces documents par la rare brochure intitulée «Lettre d'un Silicien (sic) à un de ses amis, contenant une agréable critique de Paris et des François. A Chambéri, Pierre Maubal, 1710.» Le Silicien représente les maisons de Paris comme grossières au dehors et n'ayant de rare au dedans que la magnificence des tapisseries qui décorent les murs, les hôtelleries comme remplissant la ville de cuisines qui fument toujours, et les femmes toutes entourées de petits chiens, et les rues pleines de boutiques de fripiers, et le temps changeant à toute minute; et après avoir parlé des théâtres, du Pont-Neuf, de la Foire Saint-Germain, de la promenade des Tuileries, des perruques blondes, des grosses montres, des lettres à trois cachets, de la cherté de sa chambre d'hôtel, décorée d'un lit, d'une table, de quelques chaises, d'un miroir, d'un portrait du Roi, il termine ainsi: «J'ai vu un dimanche, dans une seule paroisse, faire soixante-cinq mariages. On dit qu'il y a ici jusqu'à quatre mille vendeurs d'huîtres, que l'on y mange chaque jour quinze cents gros bœufs et plus de seize mille moutons, veaux ou cochons, outre une prodigieuse quantité de volaille et de gibier. On compte cinquante mille maisons, dans chacune desquelles les familles sont si nombreuses, qu'elles logent depuis le grenier jusqu'à la cave; on y compte aussi cinq cents grandes rues, outre une infinité de petites, dix places, plusieurs marchés, dix-sept portes, neuf ponts, avec autant de fauxbourgs, et plus de trente hôpitaux.» Suit le curieux livre qui a pour titre: «Séjour de Paris, c'est-à-dire Instructions fidèles pour les voyageurs de condition. Comme ils se doivent conduire s'ils veulent faire un bon usage de leur temps et argent durant leur séjour à Paris… par le sieur J. C. Nemeitz, conseiller de S. A. S. mon seigneur le prince de Waldeck… A Leide, 1727.» Deux volumes ornés de vues et de plans de Paris. On arrive ordinairement à Paris, dit notre voyageur, avec le chariot ordinaire, qui a ses auberges particulières, ou bien avec des chevaux de poste; dans ce dernier cas, il faut se faire conduire Hôtel Impérial, rue du Four, Hôtel d'Espagne, rue de Seine, Hôtel d'Anjou, rue Dauphine, Hôtel de Hambourg, rue de la Boucherie, Hôtel d'Orléans, rue Mazarine, Hôtel de Modène, rue Jacob. Maintenant, au bout du séjour d'une quinzaine ou d'une huitaine dans l'hôtellerie, il s'agit du choix d'une chambre meublée que Nemeitz engage à prendre dans le faubourg Saint-Germain, où l'air est plus pur que dans les autres quartiers, où se trouvent toutes les académies et manèges qui sont à Paris, où l'on a la Comédie-Française, où l'on jouit, au printemps, de la Foire Saint-Germain, et d'où même il est très facile de se rendre à l'Opéra de la rue Saint-Honoré, en traversant la Seine dans un esquif. Il indique avant tout, dans la rue de Tournon, le grand Hôtel d'Antragues, malheureusement très cher et habité par des évêques, des princes étrangers et autres grands seigneurs, qui y logent, quand ils ne prennent pas une maison à part, et, à défaut de l'Hôtel d'Antragues, l'Hôtel de Treville ou le petit Hôtel de Bourgogne. Ici une plainte sur la nourriture de tous les hôtels meublés, qui est toujours la même, et qui consiste dans une soupe, un bouilli, une prétendue entrée de ragoût, une fricassée de veau ou de côtelettes, du rôti, un peu de légumes, et pour le dessert, du lait, du fromage, de petits biscuits et des fruits selon la saison. Puis les conseils pratiques pour s'habiller: il dissuade ses compatriotes de faire comme les Anglais, qui gardent leurs courts justaucorps, leurs petites cravates, leurs petits chapeaux, leurs perruques étrangement façonnées, et qui doivent à leur costume d'être la proie des décroteurs, cochers de fiacre et gueux de tout genre; donc il les engage à s'habiller légèrement à la française et à se faire faire un habit chamarré à la mode, une veste de drap d'or ou d'argent, et un surtout d'écarlate, bon quand il pleut. Après l'habit, c'est le tour du valet qu'il est tout à fait d'avis de prendre français, parce que le valet français est prompt et alerte, ce que ne sont pas les Allemands, parce qu'il défend son maître s'il a une querelle, et que si par hasard il vole, il est très facile de le faire pendre. Là-dessus nous arrivons aux spectacles, un morceau dans lequel heureusement il veut bien ne pas examiner la controverse: S'il est permis à un chrétien d'aller voir les jeux publics, et où il nous apprend qu'un homme de qualité ne peut prendre place que sur le théâtre ou dans une des premières loges, et non aux secondes, qui sont pour les bourgeois; il fait toutefois exception pour l'amphithéâtre de l'Opéra qui a rang de première loge. A propos des représentations de l'Opéra, des Italiens, de la Comédie-Française, il ne manque pas de signaler les écoliers des Jésuites jouant au mois d'août, avec beaucoup d'appareil, au collège Louis-le-Grand, une tragédie en latin, dont les actes sont entremêlés de ballets dansés par les premiers sujets, sous la direction de M. Blondi.

      Après les théâtres, les cafés. C'est une mode presque générale à Paris que de prendre une tasse de café, après son dîner, dit Nemeitz, et il parle des deux endroits à la mode, où on va le prendre alors: le café de la veuve Laurent, rue Dauphine, appelé le café des Beaux Esprits et le café de Poincelet à la descente du Pont-Neuf, cafés où l'on ne fume pas, comme dans les cafés de l'étranger: très peu de personnes de condition aimant l'odeur du tabac en France. Au chapitre des cafés succède le chapitre des relations et de la conversation avec les Dames, que notre astucieux Germain recommande et préconise, en ce qu'elle «vous apprend la langue, vous rend galant, vous fait prendre insensiblement un bon pli», tout en faisant la remarque que cette conversation est très dangereuse pour ceux qui sont de complexion amoureuse. Et aussitôt de mettre en garde ses compatriotes contre certaines maisons, qui ont l'air d'être de distinction, mais qui ne sont, dit-il, que de fameux b… où Madame a sur la paille de jeunes g… quelquefois aussi des femmes mariées, toutes prêtes pour de l'argent. Et après le chapitre des relations, le chapitre des promenades à pied et en carrosse, et des promenades à la foire Saint-Laurent, la foire des campagnards et des petites gens, des promenades à la foire Saint-Germain, la foire du grand monde, où il voit la Tourneuse anglaise, une jeune femme tournant comme une toupie, avec six épées nues dans les mains, les pointes tournées contre elle.

      Dans son «Séjour de Paris», Nemeitz signale les tragédies latines mêlées de ballets du collège Louis-le-Grand. Je possède un recueil factice de ces représentations de 1737 à 1755. Et voici: le Pouvoir de la Fable, ballet qui sera dansé au collège de Louis-le-Grand et servira d'intermède à la tragédie de Maurice Martyr, pour la distribution des prix fondés par Sa Majesté, le mercredi deuxième jour d'août mil sept cent cinquante, à midi précis. La première entrée figure «les Dangers de la volupté pour la jeunesse». Télémaque est jeté par la tempête dans l'île de Chypre. Les habitants s'empressent de le couronner de roses et de myrte. Leur parure et leur démarche, leurs amusements et leurs maximes respirent un air empoisonné. Télémaque est d'abord saisi d'horreur, mais il s'accoutume insensiblement aux douceurs de ce funeste séjour. Le sage Mentor paraît. Sa présence écarte les plaisirs séducteurs. Il ordonne à Télémaque de fuir promptement ce lieu dangereux, où tous les plaisirs se réunissent pour aveugler la Raison et pour séduire l'Innocence.

      Télémaque: M. de Choiseul.

      Habitans de l'Isle de Chypre, MM. Duclusel, Massigni, Dupré, Vauzelet, Carvaille, la Martinière, Barrau, Radix, Mercier, Chavannes, Deludre, Chaalons de la Rivière, Dalban, Geoffroi, Bonvoust.

      Jeunes gens avec des guirlandes: MM. Hennequin Duplessis, Lebreton, Sainte-Colombe, Grandpré, Lablache, Desmazure, de Ris.

      Mentor, M. Palasne.

      Danseront ensemble:


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