La maison d'un artiste, Tome 2. Edmond de Goncourt
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Parmi les biographies générales comprenant un théâtre, rappelons pour l'Opéra: le Vol plus haut, ou l'Espion des principaux théatres de la capitale. A Memphis, chez Sincère, libraire, réfugié au puits de la Vérité, 1784. Ce volume, malgré son titre, ne concerne que l'Opéra, et donne des biographies satiriques et libertines de Mlles Arnould, Guimard, Duplant, Levasseur, Laguerre, Saint-Huberty, Théodore, Peslin, Allard, la Prairie, Dervieux, Aurore. La Comédie-Française, elle, a la vie de ses acteurs et des actrices contée bien succinctement dans la «Galerie Historique» de Lemazurier et les «Lettres sur l'ancien théâtre par un vieil amateur». Il n'existe pas de biographie générale pour les acteurs et les actrices de la Comédie-Italienne.
Quant aux spectacles des boulevards, c'est une biographie, une biographie légèrement scandaleuse des acteurs et actrices du théâtre des Variétés Amusantes, de l'Ambigu-Comique, du spectacle des Grands Danseurs, sauteurs, voltigeurs du spectacle des Associés, dans deux volumes pas assez connus: le Chroniqueur désœuvré, ou l'Espion du boulevard du Temple, contenant les annales scandaleuses et véridiques des directeurs, acteurs et saltimbanques du boulevard, avec un résumé de leur vie et mœurs par ordre chronologique, Londres, 1782, et le Désœuvré mis en œuvre, ou le Revers de la médaille 1782, pour servir d'opposition à l'Espion du boulevard du Temple et de préservatif à la prévention, Paris, 1782. Sur les théâtres des boulevards, il existe encore deux petits volumes nés pendant la Révolution, et presque introuvables aujourd'hui, deux petits in-12 à la langue obscène comme les estampes qui les décorent, mais contenant au fond de leurs ordures quelques éléments de biographie. Ce sont: les Pantins des boulevards ou B… de Thalie, Confessions paillardes des tribades et catins des tréteaux du boulevard, recueillies par le compère Mathieu. A Paris, de l'imprimerie de Nicodème dans la Lune, 1791. Cette première série comprend le Théâtre Français et Lyrique, l'Ambigu-Comique, les Délassements-Comiques. Cette première série a pour suite, la même année, une seconde série, consacrée au théâtre de Nicolet, aux Associés, aux Beaujolais, sous les aimables sous-titres de: Obscénités triviales des Danseurs de cordes, Tréteaux gaillards et crapuleux des Associés, Passe-Temps orduriers des Comédiens de Baujollois.
C'est en dernier lieu le tour des biographies particulières9, telles que l'accumulis, pendant des années, des lettres autographes, des manuscrits, des brochurettes peu communes, des procès rares, les ont faites sur les planches de la bibliothèque.
OPÉRA
Mademoiselle Arnould (Sophie). – Fragment de mémoires autographes que j'ai donnés dans ma «Sophie Arnould» publiée chez Dentu en 1877.
Lettre autographe signée, à la date du 13 floréal an IX, où la chanteuse, déjà bien malade, écrit gaiement «qu'elle travaille à raccommoder son cuvier».
«Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporains… Paris, 1813.»
Mademoiselle Bon10. – «Discours d'un ancien avocat général dans la cause du comte de (Suze) et la demoiselle (Bon), chanteuse de l'Opéra. Lyon, chez Sulpice Grabit, 1772.»
Il s'agit d'une obligation contractée en 1761 par le comte de Suze, au profit de la chanteuse, contrat de 50,000 livres, contre lequel le comte prenait des lettres de rescision.
Mademoiselle Camargo. – «Éloge de mademoiselle Camargo.» (Tiré du Nécrologe.)
Mademoiselle Cartou. – «Lettre de M. le Président D… à mademoiselle Cartou au sujet du code lyrique.»
Mademoiselle Carville. – «Sommaire signifié pour messire Jean Guillaume de Mazens, comte d'Arquian, chevalier des ordres royaux, militaires et hospitaliers de Notre-Dame de Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem, appelant contre Marie-Louise-Thérèse Carville, ci-devant danseuse à l'Opéra, intimée.»
Réclamation, par voie de rescision, du sieur d'Arquien contre deux contrats de rentes viagères de 600 livres chacun, «arrachés à la faiblesse du réclamant, dans le temps où la danseuse avait un pouvoir absolu sur son esprit», déclarant ledit réclamant, que «si la demoiselle Carville a eu des complaisances pour lui, elle a été payée par l'usage et la consommation de plus de 40,000 livres qu'il avait en effets».
Mademoiselle Coupée. – «Requeste présentée à Momus par les demoiselles Coupée et Desgranges, actrices de l'Opéra, tant pour elles que pour celles de leurs compagnes, qui se trouvent dans le cas de l'article XX du code lyrique ou règlement pour l'Opéra, imprimé au mois de juin 1743.»
Facétie faisant allusion au cas des requérantes, et commettant le sieur Soumain, le seul et unique accoucheur de l'Opéra, qui sera appelé à déclarer s'il doit être sursis aux exercices des requérantes.
Mademoiselle Dervieux. – Petite biographie manuscrite trouvée dans les papiers de Sophie Arnould.
– Une lettre autographe signée, adressée à madame Lacoste, dans laquelle elle dit:
«Madame et bien bonne amie, votre charmante lettre m'a fait éprouver le premier sentiment de plaisir que j'ai goûté depuis plus de huit mois. Une longue et cruelle maladie, suite des soins et des peines que Bellanger s'est donnés à l'occasion du mariage de M. le duc de Berry, l'a mis aux portes de la mort. Une fièvre catharale, bilieuse, quotidienne, etc., lui a fait garder le lit pendant trois mois; une rechute très grave et à sa suite une convalescence très longue, que le temps retardait encore, nous donnait encore les plus vives inquiétudes. Enfin, le ciel a exaucé mes vœux et je n'ai plus que des grâces à lui rendre pour le mieux sensible qu'éprouve mon mari…»
Le mari dont elle parle, est l'architecte Bellanger, l'ancien amant de Sophie Arnould, que la Dervieux lui avait enlevé.
La Duthé11. – Quatre lettres autographes, signées de la Duthé de 1786 à 1800, au banquier Perregaux.
Une danseuse appartenant plus à la grande prostitution qu'à l'Opéra12; une figure de courtisane dont j'étais tenté de faire, un jour, un médaillon, et sur laquelle j'avais réuni des notes, des lettres, des fragments de sa vie galante.
Un buste de Houdon (vu chez M. Miallet au mois de mars 1865) nous fait revoir, en un marbre de Paros, ses paupières lourdes, sa petite bouche en forme d'arc, son ovale grassouillet aux fossettes souriantes, sa figure ingénieusement bebête sous le désordre de cheveux, où un repentir se mêle à une coiffure grecque, et encore un bout de sein s'échappant d'une dentelle de chemise, maintenue par une bandelette, et un morceau de bras nu, sur lequel le sculpteur a posé un papillon.
Un tableau de la vente de la duchesse de Raguse (décembre 1857) nous la représente d'une manière plus intime. Près d'un bonheur du jour, sur lequel repose un petit Amour en marbre blanc, un doigt sur la bouche, sur une ottomane bleu de ciel, chargée de livres de musique, la Duthé est agenouillée d'un genou, en train d'accrocher un tableau sous le dais d'étoffe du canapé. La courtisane est toute blanche, un fichu de gaze autour du cou, et habillée d'un pierrot blanc aux petites basques retroussées et sans manches, et noué lâchement par de larges rubans d'un violet pâle, dénoués sur la poitrine. Elle a des bas avec deux raies cerise, et des souliers jaunes aux talons rouges. Ses cheveux, dans lesquels est piqué un nœud de ruban blanc, libres et flottants, semblent blonds sous leur œil de poudre, et on lui voit des sourcils châtains, des yeux noirs brillants et sourieurs, un petit nez au méplat charnu, une bouche retroussée, un front très bas13.
Or ce portrait de la vente de la duchesse de Raguse venait de son père, qui était le banquier Perregaux, de chez lequel, vendus autrefois à la livre, sont sortis les seuls documents qu'on ait sur l'existence de la maîtresse du comte d'Artois: les lettres que la Duthé écrivit à son tuteur pendant son long séjour en Angleterre.
O le curieux contraste entre l'élégante apparition de ce marbre, de cette toile, et la teneur et l'orthographe des lettres de la femme représentée!
9
Je parlerai seulement des femmes, les biographies d'hommes me conduiraient trop loin. Et cependant, les curieuses feuilles volantes émanant d'auteurs mêlés à la Révolution! Je ne citerai qu'une seule curiosité: le récit manuscrit d'un voyage dans l'intérieur de l'Ile-de-France, en 1779, par Mayeur.
10
Je ne trouve pas ce nom dans les almanachs de théâtre. Je crois Mlle Bon tout simplement une chanteuse d'opéra de province. Serait-elle par hasard la fille d'une Hollandaise nommée Gertrude Boon, qui a dansé, dans le commencement du siècle, aux foires Saint-Laurent et Saint-Germain, et dont je possède un mémoire imprimé en cassation de mariage avec un mauvais chanteur de l'Opéra, fils d'un pâtissier, nommé Gervais?
11
Son vrai nom est Catherine-Rosalie Gérard. Les
12
M. Hervey, très bien renseigné sur les choses du théâtre, la donne dans son catalogue d'autographes comme attachée à l'Opéra; pour moi, je n'ai trouvé son nom sur aucun état.
13
La peinture était attribuée à Mme Lebrun, mais je la crois plutôt d'un peintre anglais. La Duthé parle, dans une lettre à Perregaux, de l'envoi de son portrait que peint dans le moment un peintre anglais. Serait-ce le portrait de Parkes que signale plus loin sir Pimberton, et qu'elle se serait décidée à payer?