Le parfum de la Dame en noir. Гастон Леру

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Le parfum de la Dame en noir - Гастон Леру


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n'est changé!…»

      Un vieux chien, sans couleur, sur le seuil du libraire, allongeait son museau paresseux sur ses pattes gelées.

      «C'est Cham! fit Rouletabille. Oh! je le reconnais bien!…

      C'est Cham! C'est mon bon Cham!»

      Et il l'appela:

      «Cham! Cham!…»

      Le chien se souleva, tourné vers nous, écoutant cette voix qui l'appelait. Il fit quelques pas difficiles, nous frôla, et retourna s'allonger sur son seuil, indifférent.

      «Oh! dit Rouletabille, c'est lui!… Mais il ne me reconnaît plus…»

      Il m'entraîna dans une ruelle qui descendait une pente rapide, pavée de cailloux pointus. Il me tenait par la main et je sentais toujours sa fièvre. Nous nous arrêtâmes bientôt devant un petit temple de style jésuite qui dressait devant nous son porche orné de ces demi-cercles de pierre, sortes de «consoles renversées», qui sont le propre d'une architecture qui n'a contribué en rien à la gloire du dix-septième siècle. Ayant poussé une petite porte basse, Rouletabille me fit entrer sous une voûte harmonieuse au fond de laquelle sont agenouillées, sur la pierre de leurs tombeaux vides, les magnifiques statues de marbre de Catherine de Clèves et de Guise le Balafré.

      «La chapelle du collège», me dit tout bas le jeune homme.

      Il n'y avait personne dans cette chapelle.

      Nous l'avons traversée en hâte. Sur la gauche, Rouletabille poussa très doucement un tambour qui donnait sur une sorte d'auvent.

      «Allons, fit-il tout bas, tout va bien. Comme cela nous serons entrés dans le collège et le concierge ne m'aura pas vu. Certainement, il m'aurait reconnu!

      – Quel mal y aurait-il à cela?»

      Mais justement, un homme, tête nue, un trousseau de clefs à la main, passa devant l'auvent et Rouletabille se rejeta dans l'ombre.

      «C'est le père Simon! Ah! comme il a vieilli! Il n'a plus de cheveux. Attention!… c'est l'heure où il va balayer l'étude des petits… Tout le monde est en classe en ce moment… Oh! nous allons être bien libres! Il ne reste plus que la mère Simon dans sa loge, à moins qu'elle ne soit morte… En tout cas, d'ici elle ne nous verra pas… Mais attendons!… Voilà que le père Simon revient!…»

      Pourquoi Rouletabille tenait-il tant à se dissimuler? Pourquoi? Décidément, je ne savais rien de ce garçon que je croyais si bien connaître! Chaque heure passée avec lui me réservait toujours une surprise. En attendant que le père Simon nous laissât le champ libre, Rouletabille et moi parvînmes à sortir de l'auvent sans être aperçus et, dissimulés dans le coin d'une petite cour-jardin, derrière des arbrisseaux, nous pouvions maintenant, penchés au- dessus d'une rampe de briques, contempler à l'aise, au-dessous de nous, les vastes cours et les bâtiments du collège que nous dominions de notre cachette. Rouletabille me serrait le bras comme s'il avait peur de tomber…

      «Mon Dieu! fit-il, la voix rauque… tout cela a été bouleversé! On a démoli la vieille étude «où j'ai retrouvé le couteau», et le préau dans lequel «il avait caché l'argent» a été transporté plus loin… Mais les murs de la chapelle n'ont point changé de place, eux!… Regardez, Sainclair, penchez-vous; cette porte qui donne dans les sous-sols de la chapelle, c'est la porte de la petite classe. Je l'ai franchie combien de fois, mon Dieu! Quand j'étais tout petit enfant… Mais jamais, jamais je ne sortais de là aussi joyeux, même aux heures des plus folles récréations, que lorsque le père Simon venait me chercher pour aller au parloir où m'attendait la Dame en noir!… Pourvu, mon Dieu! qu'on n'ait point touché au parloir!…»

      Et il risqua un coup d'oeil en arrière, avança la tête.

      «Non! non!… Tenez, le voilà, le parloir!… À côté de la voûte… c'est la première porte à droite… c'est là qu'elle venait… c'est là… Nous allons y aller tout à l'heure, quand le père Simon sera descendu…»

      Et il claquait des dents…

      «C'est fou, dit-il, je crois que je vais devenir fou… Qu'est-ce que vous voulez? C'est plus fort que moi, n'est-ce pas?… L'idée que je vais revoir le parloir… où elle m'attendait… Je ne vivais que dans l'espoir de la voir, et, quand elle était partie, malgré que je lui promettais toujours d'être raisonnable, je tombais dans un si morne désespoir que, chaque fois, on craignait pour ma santé. On ne parvenait à me faire sortir de ma prostration qu'en m'affirmant que je ne la verrais plus si je tombais malade. Jusqu'à la visite suivante, je restais avec son souvenir et avec son parfum. N'ayant jamais pu distinctement voir son cher visage, et m'étant enivré jusqu'à en défaillir, lorsqu'elle me serrait dans ses bras, de son parfum, je vivais moins avec son image qu'avec son odeur. Les jours qui suivaient sa visite, je m'échappais de temps en temps, pendant les récréations, jusqu'au parloir, et, lorsque celui-ci était vide, comme aujourd'hui, j'aspirais, je respirais religieusement cet air qu'elle avait respiré, je faisais provision de cette atmosphère où elle avait un instant passé, et je sortais, le coeur embaumé… C'était le plus délicat, le plus subtil et certainement le plus naturel, le plus doux parfum du monde et j'imaginais bien que je ne le rencontrerais plus jamais, jusqu'à ce jour que je vous ai dit, Sainclair… vous vous rappelez… le jour de la réception à l'Élysée…

      – Ce jour-là, mon ami, vous avez rencontré Mathilde Stangerson…

      – C'est vrai!…» répondit-il d'une voix tremblante…

      … Ah! si j'avais su à ce moment que la fille du professeur Stangerson, lors de son premier mariage en Amérique, avait eu un enfant, un fils qui aurait dû, s'il était vivant encore, avoir l'âge de Rouletabille, peut-être, après le voyage que mon ami avait fait là-bas et où il avait été certainement renseigné, peut- être eussé-je enfin compris son émotion, sa peine, le trouble étrange qu'il avait à prononcer ce nom de Mathilde Stangerson dans ce collège où venait autrefois la Dame en noir!

      Il y eut un silence que j'osai troubler.

      «Et vous n'avez jamais su pourquoi la Dame en noir n'était plus revenue?

      – Oh! fit Rouletabille, je suis sûr que la Dame en noir est revenue… Mais c'est moi qui étais parti!…

      – Qui est-ce qui était venu vous chercher?

      – Personne!… je m'étais sauvé!…

      – Pourquoi?… Pour la chercher?

      – Non! non!… pour la fuir!… pour la fuir, vous dis-je, Sainclair!… Mais elle est revenue!… je suis sûr qu'elle est revenue!…

      – Elle a dû être désespérée de ne plus vous retrouver!…»

      Rouletabille leva les bras vers le ciel, secoua la tête.

      «Est-ce que je sais?… Peut-on savoir?… Ah! je suis bien malheureux!… Chut! mon ami!… chut!… le père Simon… là… Il s'en va… enfin!… Vite!… au parloir!…»

      Nous y fûmes en trois enjambées. C'était une pièce banale, assez grande, avec de pauvres rideaux blancs à ses fenêtres nues. Elle était meublée de six chaises de paille alignées contre les murailles, d'une glace au-dessus de la cheminée et d'une pendule. Il faisait là-dedans assez sombre.

      En entrant dans cette pièce, Rouletabille se découvrit avec un de ces gestes de respect et de recueillement que l'on n'a, à l'ordinaire, qu'en pénétrant dans un endroit sacré. Il était devenu très rouge, s'avançait à petits pas, très embarrassé, roulant sa casquette de voyage entre ses doigts. Il se tourna vers moi et, tout bas, plus bas encore qu'il ne m'avait parlé dans la chapelle…

      «Oh! Sainclair! le voilà, le parloir!… Tenez, touchez mes mains, je brûle… je suis rouge, n'est-ce pas?… J'étais toujours rouge quand j'entrais ici et que je savais que j'allais l'y trouver!… Certainement, j'ai couru… je suis essoufflé… Je n'ai pas pu attendre, n'est-ce pas?… Oh! mon coeur, mon coeur qui bat comme quand j'étais tout petit… Tenez, j'arrivais ici… là, là!… à la porte, et puis je m'arrêtais, tout honteux…


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