Les etranges noces de Rouletabille. Гастон Леру

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Les etranges noces de Rouletabille - Гастон Леру


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de lui crier, à lui, à lui qui avait vu la chose énorme, elle avait eu le cynisme de lui jurer qu'elle voulait, de sa propre main, offrir à sa patrie, comme première victime expiatoire, la tête de Gaulow!… Comment ne lui avait-il pas éclaté de rire au nez? Comment n'avait-il pas craché au visage de cette petite fille barbare, sanguinaire et menteuse…

      Comment avait-il eu le courage de retenir la généreuse fureur qui gonflait ses veines de jeune amant bafoué et d'ami trahi jusqu'à la mort, car de cette trahison ils avaient failli tous mourir!… Comment?… Pourquoi ne lui avait-il pas dit: «J'ai vu!… Tais-toi!… J'ai vu!… je t'ai vu le sauver de tes mains, et si tu cours après lui c'est pour tomber dans ses bras?» Oh! d'abord simplement parce qu'elle ne lui en avait pas laissé le temps; ensuite parce qu'il était vraiment curieux de voir jusqu'où pouvait aller Ivana dans le mensonge et dans le crime!… Et puis aussi, parce que, le coeur plein de rage, il rêvait à son tour d'une vengeance ou tout au moins de quelque juste châtiment!…

      C'est que peut-être encore, au plus obscur de lui-même, commençaient à se poser les termes du problème psychologique le plus curieux qu'il eut jamais à démêler et aussi le plus mystérieux en même temps que le plus bizarre.

      Enfin, s'il l'avait suivie dans cette course insensée vers le Sud, c'est qu'il se souvenait qu'il était correspondant de guerre et qu'il avait grand'hâte de trouver, maintenant qu'il était délivré, un bureau de poste avant de tomber sous la censure féroce des Bulgares!… Entre les deux armées, toujours!… ni dans l'une ni dans l'autre…, est-ce que telle n'était pas sa formule, celle qu'il avait toujours prônée à Vladimir et à La Candeur?… Est-ce que, dès Sofia, tel n'avait pas été son plan? Plan dangereux sans doute, mais qui ne l'en séduisait que davantage!… Aussi quand, dans cette fuite insensée de la Karakoulé, La Candeur, qui avait par miracle retrouvé son mecklembourgeois, lui demandait derrière lui, secoué sur sa selle: «Où allons-nous?» avait-il pu lui répondre: «Faire du reportage!…»

      Ainsi ils n'avaient même pas attendu les troupes!… La félonie d'Ivana les traînait en trombe derrière elle…

      Oui, félonie! félonie!… C'est à cela que Rouletabille revenait sans cesse, bien que son esprit cherchât ailleurs… mais il était trop irrité pour ne plus retomber à cela: félonie! Il ne voulait plus douter que l'amour dont il n'avait jamais encore jusqu'à ce jour mesuré la force, eût accompli l'abominable miracle de transformer une héroïne en une pauvre fille, capable de tout pour satisfaire sa folle passion.

      Cette ignoble conversion avait dû se produire pendant ces moments d'absence que le reporter avait trouvés souvent inexplicables: Ivana les passait certainement auprès du prisonnier, dans le cachot du souterrain! Que de fois ne s'était-il pas étonné de ne point la voir à son côté, au plus fort du combat! et avec quelle singulière figure elle réapparaissait tout à coup, racontant qu'elle avait pris la garde pour laisser reposer le katerdjibaschi. Enfin, elle ne sortait pas de ce souterrain, sous un prétexte ou sous un autre!… Et Rouletabille, qui avait redouté que ce fût pour s'y livrer à quelque abominable torture, se reprochait de s'être laissé tromper comme un enfant!

      Il se rappelait la phrase turque prononcée en dernier par Kara-Selim délivré, et adressée par lui (avec quel hideux sourire de remerciement!) à Ivana surprise, sans qu'elle s'en fût aperçue, par Rouletabille sur la tour. Le reporter se retourna sur sa selle et demanda à Vladimir:

      –Que signifient ces mots: Benem ilé guel!

      –Cela veut dire, répondit Vladimir: «Viens avec moi!… Viens me rejoindre!»

      –Parbleu! gronda Rouletabille!… moi aussi, je vais avec elle!… je vais avec eux! et si Dieu est juste, il me permettra de leur faire expier leur crime!

* * * * *

      Il pouvait être cinq heures du soir quand ils virent poindre les toits d'un gros village en avant d'Almadjik…

      La route qu'ils avaient prise commençait de montrer certaines particularités qui les étonna tout d'abord mais auxquelles, par la suite, ils devaient facilement s'habituer chaque fois qu'ils eurent à pénétrer dans un village, bourg ou bourgade, enfin dans ce qui avait été, à un titre quelconque une «agglomération»: sur les côtés du chemin tout était dévasté. Les cabanes des paysans paraissaient avoir été éventrées par quelque cataclysme qui s'était acharné à défoncer portes et fenêtres et avait çà et là allumé des incendies.

      Sur le seuil de ces sinistres chaumières, il n'était point rare d'apercevoir des cadavres de femmes et d'enfants qui gisaient parmi des mares de sang et dans le plus pitoyable état.

      D'autres corps privés de vie jonchaient également la route et faisaient trébucher à chaque instant les chevaux; de telle sorte qu'en fait «d'agglomération», il y avait surtout là agglomération de cadavres.

      Et toutes ces dépouilles toutes fraîches étaient celles des paysans d'origine bulgare, bien reconnaissables à leurs costumes. Certains avaient dû se réfugier chez eux pour attendre l'arrivée des troupes du Nord, dont la venue avait été signalée; d'autres étaient sortis du village pour courir au-devant d'elles, mais les uns et les autres avaient été rejoints et atteints par les Turcs du village même et de la contrée environnante, lesquels, avant de se retirer devant l'envahisseur, faisaient place nette et passaient au fil de l'épée ou du pal tout ce qui appartenait à la race ennemie…

      Un petit ruisseau roulait, en chantant joyeusement, des troncs sans tête…

      Mais ce fut en entrant dans le village même que nos jeunes gens qui, à chaque instant, laissaient échapper des cris d'horreur, purent juger de l'importance du massacre et de l'ampleur prise par le sacrifice que MM. les Turcs avaient offert, en guise d'adieu, au Dieu de la guerre! Têtes abattues, troncs empalés, femmes éventrées, enfants embrochés, mamelles coupées, rien n'avait manqué à cette fête du sang.

      –C'est horrible!… c'est abominable!… hurlait La Candeur, derrière Rouletabille qui ne disait rien et qui avait été préparé à toutes ces horreurs par ce qu'il avait vu de près, au Maroc et au Caucase, particulièrement à Bakou et à Balakani, lors des massacres entre Tatares et Arméniens.

      Il n'avait d'yeux que pour une silhouette cavalière qui venait de surgir au coin d'une ruelle… Ivana!… C'était elle!… Il ne pouvait en douter, c'était elle!… Les avait-elle vus? Elle était soudain partie dans un galop de folie et avait enlevé son cheval par-dessus un monceau de décombres et de cadavres fumants…

      En même temps elle avait jeté un grand cri sauvage, tiré son sabre du fourreau et, le brandissant dans un moulinet stupéfiant au-dessus de sa tête, avait disparu au coin d'une autre ruelle qui conduisait à la place de la Mosquée, dont on apercevait le haut minaret enveloppé de flammes.

      Rouletabille demanda un suprême effort à son cheval qui, depuis quelques instants, montrait des signes de fatigue… Il voulut l'enlever, lui aussi; mais la bête buta au milieu des décombres et le reporter roula sur le sol avec sa monture, contre laquelle vinrent donner La Candeur, Vladimir et Tondor. Ce fut une chute générale et fort brutale dont les reporters, ainsi que leur domestique, se relevèrent assez éclopés.

      Rouletabille néanmoins se mit à courir dans la direction suivie par Ivana.

      Ses camarades le suivirent cahin-caha.

      On entendit alors des coups de feu et un certain tumulte du côté de la place du village. Ils allaient déboucher sur celle-ci quand ils ne furent pas peu surpris d'être arrêtés par Ivana elle-même qui se trouvait à pied comme eux tous. Sa bête fumante tombée auprès d'elle, au milieu de la rue, ruait des quatre fers, en agonie, le poitrail frappé d'une balle. Un bruit de bataille, le crépitement de la mousqueterie éclatait à quelques pas et des projectiles vinrent siffler à leurs oreilles.

      Ivana était dans une agitation extraordinaire.

      Elle leur ordonna, les bras étendus, de ne pas aller plus loin!

      –Les Turcs massacrent tout! Ils n'ont pas encore abandonné le village; méfions-nous… ils ne nous épargneraient pas!

      –Et Gaulow?


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