Une Confédération Orientale comme solution de la Question d'Orient. Unknown

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Une Confédération Orientale comme solution de la Question d'Orient - Unknown


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sous peine de se voir enlever la prééminence sur l'Adriatique, que l'Autriche-Hongrie établisse sa suprématie en Albanie. Le gouvernement de Rome est décidé à y défendre sa sphère d'intérêts. Les Italiens ne peuvent oublier que la mer Adriatique s'appelait, aux quinzième et seizième siècles, il golfo di Venezia ou même «il Golfo» tout court, et qu'au Congrès de Berlin il avait été déjà question de leur laisser occuper l'Albanie, comme compensation du magnifique territoire livré à l'Autriche en Bosnie-Herzégovine.

      La ligne qui fonctionnera directement entre Vienne et Salonique inquiète surtout l'Italie, qui craint de voir détourner le trafic de la malle des Indes de Brindisi, où elle passe depuis 1871. La nouvelle voie (Ostende, l'Allemagne, l'Autriche et la Bosnie) raccourcirait en effet d'une quinzaine d'heures le trajet entre Londres et Port-Saïd. Cette concurrence éventuelle, inquiétante pour les intérêts français et italiens, appelle donc comme réponse la ligne de l'Adriatique au Danube, qui intéresserait également la Russie et les peuples balkaniques.

      Cette dernière ligne partirait de Cladova en Serbie, sur le Danube (au-dessous des Portes de Fer), passerait par Nisch (Serbie), Prischtina, Ipek (Turquie), Podgoritza (Monténégro), pour aboutir à Scutari d'Albanie; de là, une voie d'intérêt monténégrin rejoindrait Antivari (Monténégro) et un second embranchement aboutirait sur le territoire ottoman à Médua. La longueur totale de cette ligne ne dépasserait guère 500 kilomètres; elle permettrait à l'Italie d'entrer en communication directe avec la Serbie, la Roumanie et la Russie, sans recourir aux lignes austro-hongroises, et de contrebalancer les avantages que la monarchie dualiste retirera bientôt du chemin de fer de Salonique. Une autre ligne, que nous conseillerons comme intéressant au premier chef l'Italie et les pays balkaniques du sud, serait celle qui partirait de Vallona en Albanie, pour rejoindre à Monastir la ligne unissant cette dernière ville à Salonique et à Constantinople.

      La voie de Bosnie à Salonique ne servira, en effet, que les intérêts de l'Allemagne et de l'Autriche. La Vieille Serbie subit déjà la tutelle autrichienne et l'Albanie est menacée du même sort. Ainsi, après avoir échappé au danger de l'invasion moscovite, les peuples d'Orient seraient menacés de tomber au rang de satellites économiques et peut-être politiques de la plus grande Allemagne!

      L'Autriche-Hongrie occupe les côtes dalmates jusqu'à la frontière monténégrine; si elle possédait de plus Durazzo et Vallona, en face de Brindisi et d'Otrante, cela constituerait une menace intolérable pour l'Italie, qui devrait renoncer pour longtemps à voir ses ports de Venise et de Bari dans une situation florissante.

      Aussi Rome ne néglige-t-elle rien afin d'être prête à toute éventualité; et, d'autre part, l'importance des crédits militaires et maritimes récemment approuvés par les Délégations, à Vienne, serait de nature à faire croire que l'Autriche-Hongrie envisage, parmi les obstacles qui pourraient lui barrer la route de Salonique, non seulement les peuples slaves balkaniques, mais peut-être encore son actuelle alliée latine.

      Et il ne s'agit pas pour celle-ci d'un caprice ou d'un besoin nouvellement senti: déjà, dans ses discours, le grand Cavour avait souvent témoigné de tout l'intérêt qu'il attachait à la question d'Orient et en particulier à la question adriatique.

      Comme l'a fort bien dit M. Charles Loiseau, dans son remarquable ouvrage intitulé l'Équilibre adriatique: «La seule affinité géographique convie à un rapprochement Italiens et «Balkaniens». La rareté de leurs relations commerciales est une offense à la nature qui les unit par un mince bras de mer. Leur intérêt commun est manifestement de disputer à l'Autriche-Hongrie la route de Salonique.»

      «Il importe à la Serbie, au Monténégro, même à la Bulgarie, que le gouvernement de Rome fasse sentir son influence de l'autre côté du canal d'Otrante. Et réciproquement, il importe à l'Italie que, par leur poids spécifique, ces petits États contribuent à l'équilibre albano-macédonien.»

      On voit donc qu'il existe de nombreux points noirs à l'horizon du côté des grandes puissances, soit alliées, soit temporairement associées dans un but de réformes à établir. Il n'y a pas longtemps que les menées et les soulèvements bulgares, l'anarchie et la terreur répandue par les fameux comitadjis, ont failli compromettre le classique équilibre européen et provoquer des complications internationales. Et voici qu'un comité macédonien-hellène vient de se constituer en Grèce pour lutter, en Macédoine, contre cette terreur révolutionnaire répandue par les Bulgares et venger tous les meurtres de Grecs dans ces régions. On ne calomnie peut-être pas ce nouveau comité en lui prêtant d'autres visées; dans tous les cas, composé lui-même d'éléments révolutionnaires, il ne saurait faire de l'ordre avec du désordre.

      C'est le mouvement slave et les représailles turques, qui en furent la conséquence, qui ont précisément remis sur le tapis la question d'Orient.

      Cette fois, la Russie et l'Autriche-Hongrie, en tant que mandataires de l'Europe, ont réussi à réaliser un des points principaux du programme de Murszteg: une gendarmerie internationale a été créée. Des officiers étrangers, de nationalités diverses, ayant à leur tête le général italien De Georgis, déploient une activité très méritoire qui ne peut manquer de donner quelques résultats favorables6. Il va sans dire que la Turquie n'accepte qu'à son corps défendant ce contrôle européen qui l'atteint dans son autorité souveraine, son prestige et même sa sécurité; mais elle cède devant l'insistance particulièrement menaçante de l'Autriche-Hongrie.

      Cette réforme aboutira-t-elle complètement, et les petits États intéressés à se partager le domaine européen des Turcs laisseront-ils ceux-ci, en les supposant même sincères, persévérer dans la voie des réformes? Nous ne le croyons pas.

      Car, à l'imitation et à l'incitation de certaines grandes puissances, les États balkaniques gravitent, de leur côté, autour de la politique de conquête, chacun mettant des bornes, dans le présent, à son idéal particulier, avec l'espoir de le réaliser plus complètement dans l'avenir. Il faudra donc que cette question soit une fois tranchée, et l'on serait peut-être déjà entré dans cette voie, si les événements d'Extrême-Orient n'avaient concouru au maintien de l'équilibre oriental européen, en appelant l'Empire moscovite sur les champs de bataille de la Mandchourie et en enlevant l'espoir de son intervention à certains éléments turbulents des Balkans.

      Mais si les Bulgares ont cherché pour l'instant à améliorer leurs rapports avec la Turquie, il n'en est pas moins vrai que la liquidation de l'Empire ottoman en Europe sera reprise aussitôt que les événements le permettront. On sait sur quel ton menaçant le comte Goluchowski, dans son dernier discours aux Délégations, s'est exprimé à l'adresse de la Turquie, pour le cas où les réformes ne seraient pas strictement appliquées. Or celle-ci ne saurait appliquer des réformes sérieuses et devenir un État dans l'acception occidentale du terme, sans renverser les bases mêmes de sa constitution monarchique absolue.

      Si, aujourd'hui, de grands États comme l'Autriche-Hongrie conservent péniblement leur équilibre à la suite du réveil des nationalités, comment espérer que les chrétiens de Turquie, opprimés depuis cinq siècles, puissent vivre en harmonie et coopérer à une oeuvre de régénération avec les Turcs, dont les éloigne une haine nationale et religieuse?

      Rien ne pourra donc adoucir les rapports entre Turcs et chrétiens; de nombreux mouvements révolutionnaires, à commencer par ceux de 1821 et de 1854, puis de 1876, et enfin les récents soulèvements bulgares, en sont la preuve.

      C'est une chimère de croire que «l'homme malade» pourrait entrer en convalescence; que la Turquie pourrait s'établir sur de nouvelles bases politiques, attirer les peuples chrétiens comme des satellites dans l'orbite de son système de gouvernement, et appeler tous ses sujets à une existence de liberté et de fraternité. Comment concilier ces idées avec la doctrine mahométane, qui creuse un abîme entre les «croyants» et les infidèles? Ne sont-elles pas en opposition formelle avec la conception de l'État ottoman, qui découle des principes mêmes du Koran?

      La Turquie a promis des réformes avant 1896, en 1878 et en 1888, sans jamais tenir parole, soit qu'elle ne voulut point les opérer, soit aussi qu'elle fut sourdement contrecarrée dans ses efforts par


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<p>6</p>

L'action de la gendarmerie européenne en Macédoine a été répartie en cinq secteurs: les Autrichiens sont à Uskub, les Italiens à Monastir, les Anglais à Kavala, les Français à Serrès et les Russes à Salonique.