Les trois Don Juan. Guillaume Apollinaire

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Les trois Don Juan - Guillaume Apollinaire


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son audacieuse rivale.

      De là, on se rendit à la maison de Pandora. Elle frappa d'une main impatiente, et sa camériste vint lui ouvrir. Alors, Juan quitta son bras et la salua respectueusement.

      «Madame, dit-il, j'ai l'honneur de vous souhaiter une bonne nuit.

      –Ah çà, reprit-elle en le regardant d'un air moqueur, comptes-tu m'épouser dans six mois?»

      Jorge partit d'un éclat de rire.

      La Magdalena poussa Juan dans l'allée et lui souhaita à son tour une bonne nuit.

      Le lendemain, Don Jorge se rendit de bonne heure chez Don Rinalte pour prendre des nouvelles du blessé.

      «Ah! ce fut un fameux coup d'épée, dit celui-ci. Les médecins n'ont pu arrêter le sang. Niceto est mort cette nuit. Venir à bout dans la même soirée du plus fameux duelliste et de la plus froide courtisane de Séville! À dix-sept ans! Votre neveu ira loin!»

      CHAPITRE III

      DON JUAN À LA COUR DE NAPLES

      En exil.—Une duchesse violée.—L'arrivée du Roi.—Intervention de Don Jorge.—L'oncle et le neveu.—La fuite.—La duchesse au secret.—Les conseils d'un valet de chambre.—Stupéfaction et fuite du duc Octavio.

      Dans les bras experts de la Pandora, Juan avait appris la volupté et tous ses raffinements. Ces leçons ne furent pas perdues. Il comprit de suite que l'amour se devait conquérir par tous les moyens, bons ou mauvais. Il était beau, il était jeune, il était fort. Les femmes seraient à lui.

      Cependant, les circonstances de la mort de Don Niceto avaient été connues peu à peu; d'autres duels, d'autres enlèvements rendirent bientôt la situation de Juan intenable à Séville, et sa famille décida de l'envoyer dans le royaume de Naples, où son oncle Jorge avait été depuis peu nommé chef de la mission militaire espagnole chargée d'inculquer aux paresseux Napolitains les secrets de l'art de la guerre.

      Juan, dans cette cour facile, reprit le cours de ses amoureux exploits. L'aventure qui lui fit quitter le royaume mérite d'être contée.

      La duchesse Isabelle, jeune veuve d'une ravissante beauté, devait épouser le duc Octavio, mais Juan en était éperdument amoureux. Dans ses pires tromperies, il y avait en ce temps une part de sincérité.

      Il n'avait abouti à rien. Il avait de plus acquis la conviction que le duc faisait à Isabelle la cour la moins platonique, désirant sans doute s'assurer de quelques gages d'amour palpable, avant que l'heure officielle de l'hyménée n'eût sonné.

      À la suite d'une fête donnée au palais royal, la duchesse s'était assoupie dans un petit boudoir retiré. Juan, qui la guettait, se glissa dans la salle mi-obscure. Il éteignit la dernière chandelle et s'assit près de la belle qui sommeillait d'un léger sommeil, agrémenté sans doute de rêves d'amour.

      «C'est Octavio, ton amant, qui t'éveille, dit-il, contrefaisant la voix du duc et la prenant par la taille.

      –Octavio! cher Octavio!» soupira la dormeuse.

      Sans autre discours, Juan mit ses lèvres sur les siennes. Ses mains chiffonnaient la dentelle. Isabelle ne résista bientôt plus.

      «Octavio, par ici, vous pourrez sortir plus sûrement, dit-elle, quand ils se furent relevés.

      –Oui, mon adorée. Ah! quand viendra le jour des épousailles?

      –Je veux aller chercher une lumière.

      –Pourquoi?

      –Pour voir encore mon très cher amour.

      –J'éteindrai la lumière.

      –Oh! ciel, qui es-tu? Cette voix! Qui es-tu?

      –Qui je suis? Un homme sans nom.

      –Au secours!… Vous n'êtes pas le duc?

      –Non.

      –Au secours! Au secours!

      –Contenez-vous, duchesse, et donnez-moi la main.

      –Ne me retiens pas, misérable! Holà! valets, au secours!»

      Le roi, qui aimait, en bon maître de maison, à faire un petit tour dans ses appartements avant que de faire ses dévotions nocturnes et se mettre au lit, accourut à ces cris de détresse. Peu mondain, du reste, il n'avait jamais remarqué la physionomie de Don Juan.

      –Que signifient ces appels désespérés? fit-il majestueusement.

      –Le roi! le roi! se lamentait Isabelle. Quelle malheureuse je suis!

      –Qui êtes-vous? reprenait d'un ton sévère le monarque.

      –Qui? Un homme et une femme», répondit Juan.

      Le roi, dont la devise était en politique aussi bien que dans le privé: «Pas d'histoires!» jugea qu'il fallait être prudent. Il fit semblant de ne point voir la duchesse et se contenta de dire:

      «Holà! mes gardes! saisissez-vous de cet homme!»

      Don Jorge, qui venait lui-même de changer la garde du palais—un bon militaire ne doit point négliger le détail—accourut à cet instant à la porte.

      «Don Jorge Tenorio, dit le roi, je vous charge de ces prisonniers. Apprenez qui ils sont. Mais agissez secrètement. Je crois à une mauvaise affaire. Je ne serai rassuré que quand je les saurai en votre pouvoir!»

      «Emparez-vous de cet homme, dit Don Jorge.

      –Qui osera? répondit Juan toujours demi caché sous son manteau.

      –Tuez-le, reprit Don Jorge, s'il résiste.

      –Je suis prêt à mourir! Je suis gentilhomme de l'ambassade d'Espagne!»

      Don Jorge à cet instant commença de se méfier. Il avait cru reconnaître la voix.

      «Éloignez-vous, dit-il à ses gardes… Retirez-vous tous dans la chambre voisine avec cette femme.

      «C'est donc toi, malheureux, dit-il à son neveu qu'il venait enfin de reconnaître. Eh bien! tu me mets dans une jolie position! Que se passe-t-il?

      –Il se passe ceci que j'ai trompé et possédé la duchesse Isabelle.

      –Et comment?

      –J'ai dû feindre d'être le duc Octavio.

      –De plus en plus grave! Tu n'as donc pas assez des filles de cour et de basse-cour? La duchesse! Écoute. Tu vas sauter par ce balcon.

      –Votre bonté me donne des ailes.

      –Et ensuite par le premier bateau tu fileras en Sicile ou ailleurs.

      –En Espagne par exemple! Allons, tout n'est pas perdu!

      –Et mon prestige? Moi, avoir laissé échapper un prisonnier, moi chef de la mission militaire extraordinaire?»

      Mais Don Juan avait déjà escaladé d'un pied agile le balcon et sauté au dehors.

      «Mes ordres sont-ils exécutés? dit le roi qui revenait.

      –J'ai exécuté, Seigneur, reprit Don Jorge, votre vigoureuse et droite justice. L'homme…

      –Est mort?

      –Non, il a échappé à la fureur des épées.

      –Et par quel moyen?

      –Voici. À peine aviez-vous donné vos ordres que, sans chercher à s'excuser, le fer à la main, il roula son manteau autour de son bras et avec une grande prestesse, attaquant les soldats, parvint jusqu'au balcon d'où, en désespéré il se jeta dans le jardin. Mes soldats le retrouvèrent à terre, baigné de sang, agonisant. Ils s'apprêtaient à l'emporter, quand, soudain, avec une telle promptitude que j'en demeurai interdit, il s'échappa…

      –C'est du joli! Et la femme?

      –La femme dont vous apprendrez le nom avec étonnement, la duchesse Isabelle, retirée dans cette chambre, assure que c'est le duc Octavio lui-même qui l'a fait tomber dans ce piège et déshonorée.

      –Je


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