Le Tour du Monde; Scandinavie. Various
Читать онлайн книгу.p>Le Tour du Monde; Scandinavie / Journal des voyages et des voyageurs; 2. sem. 1860
Costumes norvégiens d'Hitterdal.—Dessin de Pelcoq d'après le peintre norvégien Tiedeman.
VOYAGE DANS LES ÉTATS SCANDINAVES,
PAR M. PAUL RIANT
En 1736, la France envoya, sous les ordres de M. de Maupertuis, une expédition scientifique au cercle polaire. L'abbé Outhier, chargé de la relation du voyage, fait partir l'expédition en carrosse de voiture. On déjeune à Louvres, on soupe à Senlis, et le long du chemin on ne perd pas une seule des curiosités de la Picardie et de l'Artois.
En 1860, devant les affiches des chemins de fer qui vous mènent de Paris à Copenhague en trente-six heures, il faut faire comme la vapeur et rayer d'un trait de plume ces distances qui n'en sont plus. Bientôt même la vieille terre des Goths et des Normands aura achevé son réseau de voies ferrées: les solitudes Scandinaves, à peine troublées par le «shooting» et le «fishing» britanniques, verront aux vacances s'abattre par légions les touristes du continent et il ne sera plus permis d'écrire sur le Nord d'autre livre que le Guide du voyageur. Pour ceux qui aiment à trouver de l'imprévu, à découvrir des sites ignorés, il faut se hâter: les vieilles idées qui assignaient pour patrie aux ours la banlieue de Copenhague s'en vont peu à peu et le canal de Gotha menace de devenir aussi banal que le Rhin ou la Loire.
Seuls, les fjelds (monts, plateaux) norvégiens feront peut-être exception pendant quelques années: l'âpreté particulière du sol, la configuration générale des montagnes, la longueur des distances, l'absence du confort le plus élémentaire, interdiront encore longtemps, aux touristes pressés, certaines excursions de longue haleine à la recherche de sites fameux par leur éloignement même.
Les deux parties de la Norvége qui offrent à la fois le plus de grandeur dans les paysages, le plus d'originalité dans les mœurs, sont le Télémark et l'évêché de Bergen.
La Norvége, longue et étroite bande de côtes qui étreint la Suède depuis le golfe de Varanger jusqu'à Gothembourg, se renfle dans la partie méridionale: c'est le centre de cette presqu'île secondaire qu'occupe le Télémark, avec ses grands lacs solitaires, ses montagnes abruptes, ses chutes immenses, et son peuple aux costumes bariolés.
… Arrivés à Christiania dans les premiers jours de juin après un voyage assez long à travers les immenses forêts du Vermland et le long de la noble vallée de la Glommen, nous avions employé près d'un mois à parcourir les environs immédiats de la métropole norvégienne, admirablement assise au fond d'un des plus beaux fjords (golfes) de la côte, au pied de montagnes verdoyantes et à une heure des grands lacs de l'intérieur, grâce à quelques kilomètres de chemin de fer qu'on pourra prolonger plus tard.
Christiania, comme Stockholm, comme presque toutes les villes bâties en panorama, devrait n'être vue que de loin. Au bout de huit jours passés dans ses rues désertes, le long de ses bazars dégarnis, on a hâte de quitter cet immense village, aux monuments prétentieux, et on se prend à en vouloir aux habitants du désenchantement que l'on éprouve: ils ont presque gâté la nature.
Huit jours pourtant ne sont pas de trop avant de partir pour le Télémark, surtout si l'on veut, tout en parcourant le pays, se livrer aux divertissements favoris des Anglais, la chasse et la pêche. Comme on est sûr d'avance de ne trouver le long du chemin que du lait caillé et de la farine, il est nécessaire de se pourvoir de tout ce qui doit suppléer à l'insuffisance de ce menu quotidien.
Une petite voiture nationale non-suspendue, nommée du nom défiguré de «karriol» (et la seule que l'orgueil norvégien consente à raccommoder en cas d'accident), doit contenir votre personne et vos bagages. Le siège, en forme de sabot, repose sur une petite traverse en avant de l'essieu; le cheval, attelé d'une façon particulière, tire à l'extrémité des brancards; une forte malle est attachée à l'autre bout sur une planche, le gamin (skydskarl), qui ramène le cheval de poste, s'assied dessus. Entre ces deux points d'appui, le voyageur est mieux suspendu que dans bien des voitures à ressorts et l'on finit par s'habituer si bien à ce genre de locomotion qu'on arrive à faire des journées de seize ou dix-huit heures sans excès de fatigue.
On voudrait d'ailleurs voyager autrement qu'on serait obligé forcément d'y renoncer: les distances sont trop longues pour le voyage à pied; les petits chevaux, habitués à tirer ces légers véhicules, se refusent au poids plus gênant du cavalier. Quant aux voitures civilisées, les routes en feraient bientôt raison.
La poste, du reste, n'est pas d'une cherté exorbitante et, n'étaient certains règlements parfaitement défavorables aux voyageurs, on n'aurait aucun droit de s'en plaindre1.
Aussi, le 27 juin à cinq heures du matin, notre itinéraire étant arrêté pour huit jours, nos «forbuds2» étant envoyés et nos sacs chargés de la menue monnaie indispensable dans les montagnes, nous roulions sur la route de Télémark avec le projet d'aller le soir coucher à Kongsberg, chef-lieu du département de Bratsberg, l'un des plus riches de la Norvége en mines et en bois. La route qui y mène, admirablement percée en pleine montagne est, à quelques passages près, un chef-d'œuvre, chose rare dans le Nord, où l'on passe subitement de voies construites à grands frais à d'abominables traverses.
La route que nous suivons longe la rive droite du fjord de Christiania, dans un pays qui partout ailleurs serait un véritable parc: de grandes prairies semées de bouquets de pins et de frênes descendent jusqu'à la mer; à droite des fermes rouges et blanches s'étagent sur la montagne, perdues dans la nappe indéfinie des sapins; à gauche se découpent les mille bras du fjord. Chaque crique cache un petit débarcadère de bois avec quelque bateau à demi chargé. Le ciel est pur comme un ciel du midi, de grands églantiers couverts de fleurs bordent le chemin et s'accrochent aux rochers. À chaque chaumière, au bruit des chevaux, des marmots jambes nues accourent pour vous offrir des fraises. On se croirait sur quelque côte fleurie de la Méditerranée à deux pas de Nice ou d'Hyères, et l'on est en réalité sous le soixante-unième degré de latitude.
Carte du HAUT TÉLÉMARK (Norwège méridionale) d'après Mr Paul Riant.
Gravé chez Erhard. R. Bonaparte 42.
À Sandviken, petit port en miniature avec huit ou dix petits vaisseaux à l'ancre, la route quitte le fjord, qu'on n'aperçoit plus que dans un lointain bleuâtre, le paysage est toujours splendide, de longues files de paysans nous croisent avec de grands seaux pleins de lait et des charretées de légumes. Ils saluent en passant, mais de cette façon fière qui distingue les hommes libres des montagnes norvégiennes.
La vallée de Boskesjö.—Dessin de Doré d'après M. Riant.
C'est à trois lieues de Sandviken que commence la côte du Paradis, «Paradise Bakke,» ainsi nommée de l'admirable vue dont on jouit à son sommet; de là l'œil embrasse à la fois le fjord et le lac Tiri unis par la vallée de Drammen, riche, cultivée, animée par des scieries, par des fermes opulentes.
Costumes du Télémark.—Dessin de Pelcoq.
Au fond est la ville de Drammen. Après une descente d'une demi-heure, on en touche les faubourgs. Drammen, bâtie sur les deux rives d'un large cours d'eau, est un des entrepôts de bois les plus importants de la Norvége. La ville consiste en deux longues rues parallèles, bordées pendant trois kilomètres de maisons neuves en bois peint et découpé; le feu a passé par là, et en Norvége c'est un bienfait. Presque toutes les villes de Norvége payent à l'élément destructeur un tribut périodique. Tout brûle, mais tout est assuré, immeuble et mobilier: les compagnies anglaises payent les victimes en argent comptant, denrée rare en Norvége. Chacun rebâtit sa demeure au goût du jour, et Troie renaît de ses cendres, plus florissante que jamais. Le fait est que Drammen a un aspect
1
Le relais est une ferme tenue de loger les voyageurs et de leur fournir des chevaux pour un prix déterminé. Si la ferme reçoit une subvention de l'État, le fermier est obligé de fournir les chevaux sans faire attendre les voyageurs: c'est la station fixe. Mais le plus souvent la station est «non fixe.» La fourniture des chevaux est un impôt; chaque fermier doit, dans chaque paroisse, le payer à son tour. Il faut donc aller à trois ou quatre lieues chercher le cheval qui vous arrive au bout de trois heures d'attente, délai accordé au fermier. L'animal est fatigué, souvent à peine dressé ou vicieux; son maître fait le relais avec vous et le défend contre le fouet avec une âpreté naïve qui se traduit en apostrophes interminables.
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Quand on veut avoir ses chevaux prêts et faire un peu plus de trois relais par jour, il faut envoyer d'avance un courrier nommé forbudman, muni d'un certain nombre d'avis; il vous précède d'une journée, et vous pouvez voyager à peu près tranquillement. Mais gare à vous si vous changez quoi que ce soit à votre itinéraire, si vous vous attardez à déjeuner; les retards s'accumulent et se traduisent en indemnités désagréables.