Elle et lui. George Sand

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Elle et lui - George Sand


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la fièvre: il n'en est que le résultat fatal.

      —Alors quel fébrifuge me proposez-vous?

      —Je ne sais: le mariage, peut-être.

      —Horreur! s'écria Laurent en éclatant de rire.

      Et il ajouta, en riant toujours et sans trop savoir pourquoi lui venait ce correctif:

      —A moins que ce ne soit avec vous, Thérèse. Eh! c'est une idée, cela!

      —Charmante, répondit-elle, mais tout à fait impossible.

      La réponse de Thérèse frappa Laurent par sa tranquillité sans appel, et ce qu'il venait de dire par manière de saillie lui parut tout à coup un rêve enterré, comme s'il eût pris place dans son esprit. Ce puissant et malheureux esprit était ainsi fait que, pour désirer quelque chose, il lui suffisait du mot impossible, et c'est justement ce mot-là que Thérèse venait de dire.

      Aussitôt ses velléités d'amour pour elle lui revinrent, et en même temps ses soupçons, sa jalousie et sa colère. Jusque-là, ce charme d'amitié l'avait bercé et comme enivré; il devint tout à coup amer et glacé.

      —Ah! oui, au fait, dit-il en prenant son chapeau pour s'en aller, voilà le mot de ma vie qui revient à propos de tout, au bout d'une plaisanterie comme au bout de toute chose sérieuse: impossible! Vous ne connaissez pas cet ennemi-là, Thérèse; vous aimez tout tranquillement. Vous avez un amant ou un ami qui n'est pas jaloux, parce qu'il vous connaît froide ou raisonnable! Ça me fait penser que l'heure s'avance, et que vos trente-sept cousins sont peut-être là, dehors, qui attendent ma sortie.

      —Qu'est-ce que vous dites donc? lui demanda Thérèse stupéfaite; quelles idées vous viennent? Avez-vous des accès de folie?

      —Quelquefois, répondit-il en s'en allant. Il faut me les pardonner.

       Table des matières

      Le lendemain, Thérèse reçut de Laurent la lettre suivante:

      «Ma bonne et chère amie, comment vous ai-je quittée hier? Si je vous ai dit quelque énormité, oubliez-la, je n'en ai pas eu conscience. J'ai eu un éblouissement qui ne s'est pas dissipé dehors; car je me suis trouvé à ma porte, en voiture, sans pouvoir me rappeler comment j'y étais monté.

      «Cela m'arrive bien souvent, mon amie, que ma bouche dise une parole quand mon cerveau en dit une autre. Plaignez-moi, et pardonnez-moi. Je suis malade, et vous aviez raison, la vie que je mène est détestable.

      «De quel droit vous ferais-je des questions? Rendez-moi cette justice que, depuis trois mois que vous me recevez intimement, c'est la première que je vous adresse: Que m'importe que vous soyez fiancée, mariée ou veuve?… Vous voulez que personne ne le sache; ai-je cherché à le savoir? Vous ai-je demandé?… Ah! tenez, Thérèse, il y a encore ce matin du désordre dans ma tête, et pourtant je sens que je mens, et je ne veux pas mentir avec vous. J'ai eu vendredi soir mon premier accès de curiosité à votre égard, celui d'hier était déjà le second; mais ce sera le dernier, je vous jure, et, pour qu'il n'en soit plus jamais question, je veux me confesser de tout. J'ai donc été l'autre jour à votre porte, c'est-à-dire à la grille de votre jardin. J'ai regardé, je n'ai rien vu; j'ai écouté, j'ai entendu! Eh bien, que vous importe? je ne sais pas son nom, je n'ai pas vu sa figure; mais je sais que vous êtes ma soeur, ma confidente, ma consolation, mon soutien. Je sais qu'hier je pleurais à vos pieds, et que vous avez essuyé mes yeux avec votre mouchoir, en disant: «Que faire, que faire, mon pauvre enfant?» Je sais que, sage, laborieuse, tranquille, respectée, puisque vous êtes libre, aimée, puisque vous êtes heureuse, vous trouvez le temps et la charité de me plaindre, de savoir que j'existe, et de vouloir me faire mieux exister. Bonne Thérèse, qui ne vous bénirait serait un ingrat, et, tout misérable que je suis, je ne connais pas l'ingratitude. Quand voulez-vous me recevoir, Thérèse? Il me semble que je vous ai offensée. Il ne me manquerait plus que cela? Irai-je ce soir chez vous? Si vous dites non, oh! ma foi, j'irai au diable!».

      Laurent reçut, par le retour de son domestique, la réponse de Thérèse. Elle était courte: Venez ce soir. Laurent n'était ni roué ni fat, bien qu'il méditât ou fût tenté souvent d'être l'un et l'autre. C'était, on l'a vu, un être plein de contrastes, et que nous décrivons sans l'expliquer, ce ne serait pas possible; certains caractères échappent à l'analyse logique.

      La réponse de Thérèse le fit trembler comme un enfant. Jamais elle ne lui avait écrit sur ce ton. Était-ce son congé motivé qu'elle lui ordonnait de venir chercher? était-ce à un rendez-vous d'amour qu'elle l'appelait? Ces trois mots secs ou brûlants avaient-ils été dictés par l'indignation ou par le délire?

      M. Palmer arriva, et Laurent dut, tout agité et tout préoccupé, commencer son portrait. Il s'était promis de l'interroger avec une habileté consommée, et de lui arracher tous les secrets de Thérèse. Il ne trouva pas un mot pour entrer en matière, et, comme l'Américain posait en conscience, immobile et muet comme une statue, la séance se passa presque sans desserrer les lèvres de part ni d'autre.

      Laurent put donc se calmer assez pour étudier la physionomie placide et pure de cet étranger. Il était d'une beauté accomplie; ce qui, au premier abord, lui donnait l'air inanimé propre aux figures régulières. En l'examinant mieux, on découvrait de la finesse dans son sourire et du feu dans son regard. En même temps que Laurent faisait ces observations, il étudiait l'âge de son modèle.

      —Je vous demande pardon, lui dit-il tout à coup, mais je voudrais et je dois savoir si vous êtes un jeune homme un peu fatigué ou un homme mûr extraordinairement conservé. J'ai beau vous regarder, je ne comprends pas bien ce que je vois.

      —J'ai quarante ans, répondit simplement M. Palmer.

      —Salut! reprit Laurent; vous avez donc une fière santé?

      —Excellente! dit Palmer.

      Et il reprit sa pose aisée et son tranquille sourire.

      —C'est la figure d'un amant heureux, se disait l'artiste, ou celle d'un homme qui n'a jamais aimé que le roastbeef.

      Il ne put résister au désir de lui dire encore:

      —Alors vous avez connu mademoiselle Jacques toute jeune?

      —Elle avait quinze ans quand je l'ai vue pour la première fois.

      Laurent ne se sentit pas le courage de demander en quelle année. Il lui semblait qu'en parlant de Thérèse, le rouge lui montait au visage. Que lui importait au fond l'âge de Thérèse? C'est son histoire qu'il aurait voulu apprendre. Thérèse ne paraissait pas avoir trente ans; Palmer pouvait n'avoir été pour elle autrefois qu'un ami. Et puis il avait la voix forte et la prononciation vibrante. Si c'eût été à lui que Thérèse se fût adressée en disant: Je n'aime plus que vous, il aurait fait une réponse quelconque que Laurent eût entendue.

      Enfin le soir arriva, et l'artiste, qui n'avait pas coutume d'être exact, arriva avant l'heure où Thérèse le recevait habituellement. Il la trouva dans son jardin, inoccupée contre sa coutume, et marchant avec agitation. Dès qu'elle le vit, elle alla à sa rencontre; et, lui prenant la main avec plus d'autorité que d'affection:

      —Si vous êtes un homme d'honneur, lui dit-elle, vous allez me dire tout ce que vous avez entendu à travers ce buisson. Voyons, parlez; j'écoute.

      Elle s'assit sur un banc, et Laurent, irrité de cet accueil inusité, essaya de l'inquiéter en lui faisant des réponses évasives; mais elle le domina par une attitude de mécontentement et une expression de visage qu'il ne lui connaissait pas. La crainte de se brouiller avec elle sans retour lui fit dire tout simplement la vérité.

      —Ainsi, reprit-elle, voilà tout ce que vous avez entendu? Je disais à une personne que vous n'avez pas


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