Césarine Dietrich. George Sand

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Césarine Dietrich - George Sand


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       George Sand

      Césarine Dietrich

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066088361

       PARIS

       CÉSARINE

       II

       III

       IV

       ÉMILE COLIN—IMPRIMERIE DE LAGNY

      PAR

      GEORGE SAND

      (L.-A. AURORE DUPIN)

      VEUVE DE M. LE BARON DUDEVANT

      PARIS

       Table des matières

      CALMANN LÉVY, ÉDITEUR

      MAISON MICHEL LÉVY FRÈRES 3, RUE AUBER, 3

      1897

       Table des matières

      DIETRICH

      I

      J'avais trente-cinq ans, Césarine Dietrich en avait quinze et venait de perdre sa mère, quand je me résignai à devenir son institutrice et sa gouvernante.

      Comme ce n'est pas mon histoire que je compte raconter ici, je ne m'arrêterai pas sur les répugnances que j'eus à vaincre pour entrer, moi fille noble et destinée à une existence aisée, chez une famille de bourgeois enrichis dans les affaires. Quelques mots suffiront pour dire ma situation et le motif qui me détermina bientôt à sacrifier ma liberté.

      Fille du comte de Nermont et restée orpheline avec ma jeune soeur, je fus dépouillée par un prétendu ami de mon père qui s'était chargé de placer avantageusement notre capital, et qui le fit frauduleusement disparaître. Nous étions ruinées; il nous restait à peine le nécessaire, je m'en contentai. J'étais laide, et personne ne m'avait aimée. Je ne devais pas songer au mariage; mais ma soeur était jolie; elle fut recherchée et épousée par le docteur Gilbert, médecin estimé, dont elle eut un fils, mon filleul bien-aimé, qui fut nommé Paul; je m'appelle Pauline.

      Mon beau-frère et ma pauvre soeur moururent jeunes à quelques années d'intervalle, laissant bien peu de ressources au cher enfant, alors au collège. Je vis que tout serait absorbé par les frais de son éducation, et que ses premiers pas dans la vie sociale seraient entravés par la misère; c'est alors que je pris le parti d'augmenter mes faibles ressources par le travail rétribué. Dans une vie de célibat et de recueillement, j'avais acquis quelques talents et une assez solide instruction. Des amis de ma famille, qui m'étaient restés dévoués, s'employèrent pour moi. Ils négocièrent avec la famille Dietrich, où j'entrai avec des appointements très-honorables.

      Je me hâte de dire que je n'eus point à regretter ma résolution; je trouvai chez ces Allemands fixés à Paris une hospitalité cordiale, des égards, un grand savoir-vivre, une véritable affection. Ils étaient deux frères associés, Hermann et Karl. Leur fortune se comptait déjà par millions, sans que leur honorabilité eût jamais pu être mise en doute. Une soeur aînée s'était retirée chez eux et gouvernait la maison avec beaucoup d'ordre, d'entrain et de douceur; elle était à tous autres égards assez nulle, mais elle recevait avec politesse et discrétion, ne parlant guère et agissant beaucoup, toujours en vue du bien-être de ses hôtes.

      M. Dietrich aîné, le père de Césarine, était un homme actif, énergique, habile et obstiné. Son irréprochable probité et son succès soutenu lui donnaient un peu d'orgueil et une certaine dureté apparente avec les autres hommes. Il se souciait plus d'être estimé et respecté que d'être aimé; mais avec sa fille, sa soeur et avec moi il fut toujours d'une bonté parfaite et même délicate et courtoise.

      Je me trouvai donc aussi heureuse que possible dans ma nouvelle condition, j'y fus appréciée, et je pus envisager avec une certaine sécurité l'avenir de mon filleul.

      L'hôtel Dietrich était une des plus belles villas du nouveau Paris, dans le voisinage du bois de Boulogne et dans un retrait de jardins assez bien choisi pour qu'on n'y fût pas incommodé par la poussière et le bruit des chevaux et des voitures. Au milieu d'une population affolée de luxe et de mouvement, on trouvait l'ombre, la solitude et un silence relatif derrière les grilles et les massifs de verdure de notre petit parc. Ce n'était certes pas la campagne, et il était difficile d'oublier qu'on n'y était pas; mais c'était comme un boudoir mystérieux, séparé du tumulte par un rideau de feuilles et de fleurs.

      La défunte madame Dietrich avait aimé le monde, elle avait beaucoup reçu, donné de beaux dîners, et des bals dont parlaient encore les gens de la maison quand je m'y installai. À présent l'on était en deuil, et il n'était pas à présumer que M. Dietrich reprit jamais le brillant train de vie que sa femme avait mené. Il avait des goûts tout différents et ne souhaitait pour société qu'un choix de parents et d'amis; les grands salons étaient fermés, et, tout en me les montrant à travers l'ombre bleue des rideaux un moment entrouverts, il me dit:

      —Cela ne vaut pas la peine d'être regardé par une femme de goût et de bon sens comme vous; c'est de l'éclat, rien de plus; ma pauvre chère compagne aimait à montrer que nous étions riches. Je n'ai jamais voulu la priver de ses plaisirs; mais je ne m'y associais que par complaisance. Je désire que ma fille ait comme moi des goûts modestes, auquel cas je pourrai vieillir tranquille chez moi,—triste consolation au malheur d'être seul, mais dont il m'est permis de profiter.

      —Vous ne serez pas seul, lui dis-je, votre fille deviendra votre amie, je suis sûre qu'elle l'est déjà un peu.

      —Pas encore, reprit-il; ma pauvre enfant est trop absorbée par sa propre douleur pour songer beaucoup à la mienne. Espérons qu'elle s'en avisera plus tard.

      C'était comme un reproche involontaire à Césarine; je ne répliquai pas, ne sachant encore rien du caractère et des sentiments de cette jeune fille, que je voulais juger par moi-même et que j'eusse craint d'aborder avec une prévention quelconque.

      On nous avait présentées l'une à l'autre. Elle était admirablement jolie et même belle, car, si elle avait encore la ténuité de l'adolescence, elle possédait déjà l'élégance et la grâce. Ses traits purs et réguliers avaient le sérieux un peu imposant de la belle sculpture. Son deuil et sa tristesse lui donnaient quelque chose de touchant et d'austère, tellement qu'à première vue je m'étais sentie portée à la respecter autant qu'à la plaindre.

      Quand je fus pour la première fois seule avec elle, je crus devoir établir nos rapports avec la gravité que comportait la circonstance.

      —Je n'ai pas, lui dis-je, la prétention de remplacer, même de très-loin, auprès de vous, la mère que vous pleurez; je ne puis même vous offrir mon dévouement comme une chose qui vous paraisse désirable. On m'a dit que je vous serais utile, et je compte essayer de l'être. Soyez certaine que, si l'on s'est trompé, je m'en apercevrai la première, et tout ce que je vous


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