Césarine Dietrich. George Sand

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Césarine Dietrich - George Sand


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si elle n'eût pas bien compris, et j'allais expliquer mieux ma résolution, lorsqu'elle posa sa petite main sur la mienne en me disant:

      —Je comprends très-bien, et si je suis étonnée, ce n'est pas de ce que vous êtes fière et digne, on me l'avait dit je le savais; mais je vous croyais tendre, et je m'attendais à ce que, avant tout, vous me promettriez de m'aimer.

      —Peut-on promettre son affection à qui ne vous la demande pas?

      —C'est-à-dire que j'aurais dû parler la première? Eh bien! je vous la demande, voulez-vous me l'accorder?

      Si sa physionomie eût répondu à ses paroles, je l'eusse embrassée avec effusion, cette charmante enfant; mais j'étais beaucoup sur mes gardes, et je crus lire dans ses yeux qu'elle m'examinait et me tâtait au moins autant que je l'éprouvais et j'observais pour mon compte.

      —Vous ne pouvez pas désirer mon amitié, lui dis-je, avant de savoir si je mérite la vôtre. Nous ne nous connaissons encore que par le bien qu'on nous a dit l'une de l'autre. Attendons que nous sachions bien qui nous sommes; je suis résolue à vous aimer tendrement, si vous êtes telle que vous paraissez.

      —Et qu'est-ce que je parais? reprit-elle en me regardant avec un peu de méfiance; je suis triste, et rien que triste: vous ne pouvez pas me juger.

      —Votre tristesse vous honore et vous embellit C'est le deuil que vous avez dans l'âme et dans des yeux qui m'attire vers vous.

      —Alors vous désirez pouvoir m'aimer? Je tâcherai de vous paraître aimable; j'ai besoin qu'on m'aime, moi! J'étais habituée à la tendresse, ma pauvre mère m'adorait et me gâtait. Mon père me chérit aussi, mais il ne me gâtera pas et je suis encore dans l'âge où, quand on n'est pas gâtée, on a peine à comprendre qu'on soit aimée véritablement. Est-ce que vous ne comprenez pas cela?

      —Si fait, et me voilà résolue à vous gâter.

      —Par pitié, n'est-ce pas?

      —Par besoin de ma nature. Je n'aime pas à demi, et je suis malheureuse quand je ne peux pas donner un peu de bonheur à ceux qui m'entourent; mais quand je crois voir qu'ils abusent, je m'enfuis pour ne pas leur devenir nuisible.

      —C'est-à-dire que vous croyez dangereux d'aimer trop les gens? Vous pensez donc comme mon père, qui s'imagine des choses bizarres selon moi? Il dit que l'on est au monde pour lutter et par conséquent pour souffrir, et qu'on a le tort aujourd'hui de rendre les enfants trop heureux. Il prétend que beaucoup de contrariétés et de privations leur seraient nécessaires pour les rompre au travail de la vie. Voilà les paroles de mon cher papa, je les sais par coeur; je ne me révolte pas, parce que je l'aime et le respecte, mais je ne suis pas persuadée, et, quand on est doux et tendre avec moi, j'en suis reconnaissante et heureuse, meilleure par conséquent. Vous verrez! Puisque vous ne voulez vous engager à rien, attendons, vous m'étudierez, et vous verrez bientôt que la méthode de ma pauvre chère maman était la bonne, la seule bonne avec moi.

      —Puis-je vous demander?… Mais non, vos beaux yeux se remplissent de larmes et me donnent envie de pleurer avec vous, par conséquent de vous aimer trop et trop vite.

      Elle me jeta ses bras autour du cou et pleura avec effusion. Je fus vaincue. Elle ne me disait rien, ne pouvant parler; mais il y avait tant d'abandon et de confiance dans ses pleurs sur mon épaule, elle avait tellement l'air, malgré l'énergie de sa physionomie, d'un pauvre être brisé qui demande protection, que je me mis à l'adorer dès le premier jour sans me demander si elle n'allait pas s'emparer de moi au lieu de subir mon influence.

      Cette crainte ne me vint qu'après un certain temps, car, durant les premières semaines, elle fut d'une douceur angélique et d'une amabilité vraiment irrésistible. Il est vrai que je n'exigeais pas beaucoup d'elle; elle avait encore tant de chagrin que sa santé s'en ressentait, et d'ailleurs je la voyais douée d'une telle intelligence que je ne pouvais croire à la nécessité de hâter beaucoup ses études.

      Nous vivions presque tête à tête dans ce petit palais, devenu trop grand. On avait reçu toutes les visites de condoléance, et, sauf quelques vieux amis, on ne recevait plus personne; M. Dietrich le voulait ainsi. Profondément affecté de la perte de sa femme, il aspirait au printemps, pour se retirer durant toute la belle saison à la campagne, dans une solitude plus profonde encore. Il quittait les affaires, il les eût quittées plus tôt sans les goûts dispendieux de sa femme. Il se trouvait assez riche, trop riche, disait-il, il comptait s'adonner à l'agriculture et régir lui-même sa propriété territoriale.

      Il eut même l'idée de vendre ou de louer son hôtel, et pour la première fois je vis poindre un désaccord entre lui et sa fille. Elle aimait la campagne autant que Paris, disait-elle, mais elle aimait Paris autant que la campagne, et ne voyait pas sans effroi le parti exclusif que son père voulait prendre. Elle avait dès lors des raisonnements très-serrés qui paraissaient très-justes, et qu'elle exprimait avec une netteté dont je n'eusse pas été capable à son âge. M. Dietrich, qui était fier de son intelligence, la laissait et la faisait même discuter pour avoir le plaisir de lui répondre, car il était obstiné, et ne croyait pas que personne put jamais avoir définitivement raison contre lui.

      Quand la discussion fut épuisée et qu'il crut avoir répondu victorieusement à sa fille, prenant son silence pour une défaite, il vit qu'elle pleurait. Ces grosses larmes qui tombaient sur les mains de l'enfant sans qu'elle parût les sentir le troublèrent étrangement, et je vis sur sa belle figure froide un mélange de douleur et d'impatience.

      —Pourquoi pleurez-vous donc? lui dit-il après avoir essayé durant quelques instans de ne pas paraître s'apercevoir de ce muet reproche. Voyons! dites-le, je n'aime pas qu'on boude, vous savez que cela me fait mal et me fâche.

      —Je vous le dirai, mon cher papa, répondit Césarine en allant à lui et en l'embrassant, caresse à laquelle il me parut plus sensible qu'il ne voulait le paraître; oui, je vous le dirai, puisque vous ne le devinez pas. Ma mère aimait cette maison, elle l'avait choisie, arrangée, ornée elle-même. Vous n'étiez pas toujours d'accord avec elle, vous entendiez le beau autrement qu'elle. Moi je ne m'y connais pas: je ne sais pas si notre luxe est de bon ou de mauvais goût; mais je revois maman dans tout ce qui est ici, et j'aime ce qu'elle aimait, par la seule raison qu'elle l'aimait. Vous êtes si bon que vous ne vouliez jamais la contrarier, vous lui disiez toujours: Après tout, c'est votre maison…. Eh bien! moi, je me dis:—C'est la maison de maman. Je veux bien aller à la campagne, où elle ne se plaisait pas: je m'y plairai, mon papa, parce que j'y serai avec vous; mais, à l'idée que je ne reviendrai plus ici, où que je verrai des étrangers installés dans la maison de ma mère, je pleure, vous voyez! je pleure malgré moi, je ne peux pas m'en empêcher; il ne faut pas m'en vouloir pour cela.

      —Allons, dit M. Dietrich en se levant, on ne vendra pas et on ne louera pas!

      Il sortit un peu brusquement en me faisant à la dérobée un signe que je ne compris pas bien, mais auquel je crus donner la meilleure interprétation possible en allant le rejoindre au jardin au bout de quelques instants.

      J'avais bien deviné, il voulait me parler.

      —Vous voyez, ma chère mademoiselle de Nermont, me dit-il en me tendant la main; cette pauvre enfant va continuer sa mère, elle n'entrera dans aucun de mes goûts. La sagesse de mes raisonnements entrera par une de ses oreilles et sortira par l'autre.

      —Je n'en crois rien, lui dis-je, elle est trop intelligente.

      —Sa mère aussi était intelligente. Ne croyez pas que ce fût par manque d'esprit qu'elle me contrariait. Elle savait bien qu'elle avait tort, elle en convenait, elle était bonne et charmante, mais elle subissait la maladie du siècle; elle avait la fièvre du monde, et, quand elle m'avait fait le sacrifice de quelque fantaisie, elle souffrait, elle pleurait, comme Césarine pleurait et souffrait tout à l'heure. Je sais résister à n'importe quel homme, mon égal en force et en habileté; mais comment résister aux êtres faibles, aux femmes et aux enfants?

      Je lui remontrai que l'attachement de Césarine pour la maison de sa mère n'était pas


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