LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
Читать онлайн книгу.allaient se séparer. Altenheim s’arrêta.
– Ah ! Un mot encore, prince. Emporte tes armes.
– Pourquoi ?
– J’ai quatre domestiques, et tu seras seul.
– J’ai mes poings, dit Sernine, la partie sera égale.
Il lui tourna le dos, puis, le rappelant :
– Ah ! Un mot encore, baron. Engage quatre autres domestiques.
– Pourquoi ?
– J’ai réfléchi. Je viendrai avec ma cravache.
– 2 –
À une heure exactement, un cavalier franchissait la grille de la villa Dupont, paisible rue provinciale dont l’unique issue donne sur la rue Pergolèse, à deux pas de l’avenue du Bois.
Des jardins et de jolis hôtels la bordent. Et tout au bout elle est fermée par une sorte de petit parc où s’élève une vieille et grande maison contre laquelle passe le chemin de fer de Ceinture.
C’est là, au numéro 29, qu’habitait le baron Altenheim.
Sernine jeta la bride de son cheval à un valet de pied qu’il avait envoyé d’avance, et lui dit :
– Tu le ramèneras à deux heures et demie.
Il sonna. La porte du jardin s’étant ouverte, il se dirigea vers le perron où l’attendaient deux grands gaillards en livrée qui l’introduisirent dans un immense vestibule de pierre, froid et sans le moindre ornement. La porte se referma derrière lui avec un bruit sourd, et, quel que fût son courage indomptable, il n’en eut pas moins une impression pénible à se sentir seul, environné d’ennemis, dans cette prison isolée.
– Vous annoncerez le prince Sernine.
Le salon était proche. On l’y fit entrer aussitôt.
– Ah ! Vous voilà, mon cher prince, fit le baron en venant au-devant de lui… Eh bien ! Figurez-vous… Dominique, le déjeuner dans vingt minutes… D’ici là qu’on nous laisse. Figurez-vous, mon cher prince, que je ne croyais pas beaucoup à votre visite.
– Ah ! Pourquoi ?
– Dame, votre déclaration de guerre, ce matin, est si nette que toute entrevue est inutile.
– Ma déclaration de guerre ?
Le baron déplia un numéro du Grand Journal et signala du doigt un article ainsi conçu : Communiqué.
« La disparition de M. Lenormand n’a pas été sans émouvoir Arsène Lupin. Après une enquête sommaire, et, comme suite à son projet d’élucider l’affaire Kesselbach, Arsène Lupin a décidé qu’il retrouverait M. Lenormand vivant ou mort, et qu’il livrerait à la justice le ou les auteurs de cette abominable série de forfaits. »
– C’est bien de vous, ce communiqué, mon cher prince ?
– C’est de moi, en effet.
– Par conséquent, j’avais raison, c’est la guerre.
– Oui.
Altenheim fit asseoir Sernine, s’assit, et lui dit d’un ton conciliant :
– Eh bien, non, je ne puis admettre cela. Il est impossible que deux hommes comme nous se combattent et se fassent du mal. Il n’y a qu’à s’expliquer, qu’à chercher les moyens : nous sommes faits pour nous entendre.
– Je crois au contraire que deux hommes comme nous ne sont pas faits pour s’entendre.
L’autre réprima un geste d’impatience et reprit :
– Écoute, Lupin… À propos, tu veux bien que je t’appelle Lupin ?
– Comment t’appellerai-je, moi ? Altenheim, Ribeira, ou Parbury ?
– Oh ! Oh ! Je vois que tu es encore plus documenté que je ne croyais ! Peste, tu es d’attaque… Raison de plus pour nous accorder.
Et, se penchant vers lui :
– écoute, Lupin, réfléchis bien à mes paroles, il n’en est pas une que je n’aie mûrement pesée. Voici… Nous sommes de force tous les deux… Tu souris ? C’est un tort… Il se peut que tu aies des ressources que je n’ai pas, mais j’en ai, moi, que tu ignores. En plus, comme tu le sais, pas beaucoup de scrupules… de l’adresse… et une aptitude à changer de personnalité qu’un maître comme toi doit apprécier. Bref, les deux adversaires se valent. Mais il reste une question : Pourquoi sommes-nous adversaires ? Nous poursuivons le même but, diras-tu ? Et après ? Sais-tu ce qu’il en adviendra de notre rivalité ? C’est que chacun de nous paralysera les efforts et détruira l’œuvre de l’autre, et que nous le raterons tous les deux, le but ! Au profit de qui ? D’un Lenormand quelconque, d’un troisième larron… C’est trop bête.
– C’est trop bête, en effet, confessa Sernine, mais il y a un moyen.
– Lequel ?
– Retire-toi.
– Ne blague pas. C’est sérieux. La proposition que je vais te faire est de celles qu’on ne rejette pas sans les examiner. Bref, en deux mots, voici : Associons-nous.
– Oh ! Oh !
– Bien entendu, nous resterons libres, chacun de notre côté, pour tout ce qui nous concerne. Mais pour l’affaire en question nous mettons nos efforts en commun. Ça va-t-il ? La main dans la main, et part à deux.
– Qu’est-ce que tu apportes ?
– Moi ?
– Oui. Tu sais ce que je vaux, moi ; j’ai fait mes preuves. Dans l’union que tu me proposes, tu connais pour ainsi dire le chiffre de ma dot… Quelle est la tienne ?
– Steinweg.
– C’est peu.
– C’est énorme. Par Steinweg, nous apprenons la vérité sur Pierre Leduc. Par Steinweg, nous savons ce qu’est le fameux projet Kesselbach.
Sernine éclata de rire.
– Et tu as besoin de moi pour cela ?
– Comment ?
– Voyons, mon petit, ton offre est puérile. Du moment que Steinweg est entre tes mains, si tu désires ma collaboration, c’est que tu n’as pas réussi à le faire parler. Sans quoi tu te passerais de mes services.
– Et alors ?
– Alors, je refuse !
Les deux hommes se dressèrent de nouveau, implacables et violents.
– Je refuse, articula Sernine. Lupin n’a besoin de personne, lui, pour agir. Je suis de ceux qui marchent seuls. Si tu étais mon égal, comme tu le prétends, l’idée ne te serait jamais venue d’une association. Quand on a la taille d’un chef, on commande. S’unir, c’est obéir. Je n’obéis pas !
– Tu refuses ? Tu refuses ? répéta Altenheim, tout pâle sous l’outrage.
– Tout ce que je puis faire pour toi, mon petit, c’est de t’offrir une place dans ma bande. Simple soldat, pour commencer. Sous mes ordres, tu verras comment un général gagne une bataille et comment il empoche le butin, à lui tout seul, et pour lui tout seul. Ça colle, pioupiou ?
Altenheim grinçait des dents, hors de lui. Il mâchonna :
– Tu as tort, Lupin… tu as tort… Moi non plus je n’ai besoin de personne, et cette affaire-là ne m’embarrasse pas plus qu’un tas d’autres que j’ai menées jusqu’au bout… Ce que j’en disais, c’était pour arriver plus vite au but, et sans se gêner.