LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан

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LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur - Морис Леблан


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Ce sont les accidents de la guerre. N’y pensons pas. Rien n’est perdu. Au contraire ! Dolorès était l’écueil, puisque Pierre Leduc l’aimait. Dolorès est morte. Donc Pierre Leduc m’appartient. Et il épousera Geneviève, comme je l’ai décidé ! Et il régnera ! Et je serai le maître ! Et l’Europe, l’Europe est à moi ! »

      Il s’exaltait, rasséréné, plein d’une confiance subite, tout fiévreux, gesticulant sur la route, faisant des moulinets avec une épée imaginaire, l’épée du chef qui veut, qui ordonne, et qui triomphe.

      « Lupin, tu seras roi ! Tu seras roi, Arsène Lupin. »

      Au village de Bruggen, il s’informa et apprit que Pierre Leduc avait déjeuné la veille à l’auberge. Depuis, on ne l’avait pas vu.

      – Comment, dit Lupin, il n’a pas couché ?

      – Non.

      – Mais où est-il parti après son déjeuner ?

      – Sur la route du château.

      Lupin s’en alla, assez étonné. Il avait pourtant prescrit au jeune homme de fermer les portes et de ne plus revenir après le départ des domestiques.

      Tout de suite il eut la preuve que Pierre lui avait désobéi : la grille était ouverte.

      Il entra, parcourut le château, appela. Aucune réponse.

      Soudain, il pensa au chalet. Qui sait ! Pierre Leduc, en peine de celle qu’il aimait, et dirigé par une intuition, avait peut-être cherché de ce côté. Et le cadavre de Dolorès était là !

      Très inquiet, Lupin se mit à courir.

      À première vue, il ne semblait y avoir personne au chalet.

      – Pierre ! Pierre ! cria-t-il.

      N’entendant pas de bruit, il pénétra dans le vestibule et dans la chambre qu’il avait occupée.

      Il s’arrêta, cloué sur le seuil.

      Au-dessus du cadavre de Dolorès, Pierre Leduc pendait, une corde au cou, mort.

      – 3 –

      Impassible, Lupin se contracta des pieds à la tête. Il ne voulait pas s’abandonner à un geste de désespoir. Il ne voulait pas prononcer une seule parole de violence. Après les coups atroces que la destinée lui assenait, après les crimes et la mort de Dolorès, après l’exécution de Massier, après tant de convulsions et de catastrophes, il sentait la nécessité absolue de conserver sur lui-même tout son empire. Sinon, sa raison sombrait…

      – Idiot ! fit-il en montrant le poing à Pierre Leduc… triple idiot, tu ne pouvais pas attendre ? Avant dix ans, nous reprenions l’Alsace-Lorraine.

      Par diversion, il cherchait des mots à dire, des attitudes, mais ses idées lui échappaient, et son crâne lui semblait près d’éclater.

      – Ah ! Non, non, s’écria-t-il, pas de ça, Lisette ! Lupin, fou, lui aussi ! Ah ! Non, mon petit ! Flanque-toi une balle dans la tête si ça t’amuse, soit, et, au fond, je ne vois pas d’autre dénouement possible. Mais Lupin gaga, en petite voiture, ça, non ! En beauté, mon bonhomme, finis en beauté !

      Il marchait en frappant du pied et en levant les genoux très haut, comme font certains acteurs pour simuler la folie. Et il proférait :

      – Crânons, mon vieux, crânons, les dieux te contemplent. Le nez en l’air ! Et de l’estomac, crebleu ! Du plastron ! Tout s’écroule autour de toi !… Qu’èque ça t’fiche ? C’est le désastre, rien ne va plus, un royaume à l’eau, je perds l’Europe, l’univers s’évapore ?… Eh ben, après ? Rigole donc ! Sois Lupin ou t’es dans le lac… Allons, rigole ! Plus fort que ça… À la bonne heure… Dieu que c’est drôle ! Dolorès, une cigarette, ma vieille !

      Il se baissa avec un ricanement, toucha le visage de la morte, vacilla un instant et tomba sans connaissance.

      Au bout d’une heure il se releva. La crise était finie, et, maître de lui, ses nerfs détendus, sérieux et taciturne, il examinait la situation.

      Il sentait le moment venu des décisions irrévocables. Son existence s’était brisée net, en quelques jours, sous l’assaut de catastrophes imprévues, se ruant les unes après les autres à la minute même où il croyait son triomphe assuré. Qu’allait-il faire ? Recommencer ? Reconstruire ? Il n’en avait pas le courage. Alors ?

      Toute la matinée il erra dans le parc, promenade tragique où la situation lui apparut en ses moindres détails et où, peu à peu, l’idée de la mort s’imposait à lui avec une rigueur inflexible.

      Mais, qu’il se tuât ou qu’il vécût, il y avait tout d’abord une série d’actes précis qu’il lui fallait accomplir. Et ces actes, son cerveau, soudain apaisé, les voyait clairement.

      L’horloge de l’église sonna l’Angélus de midi.

      – À l’œuvre, dit-il, et sans défaillance.

      Il revint vers le chalet, très calme, rentra dans sa chambre, monta sur un escabeau, et coupa la corde qui retenait Pierre Leduc.

      – Pauvre diable, dit-il, tu devais finir ainsi, une cravate de chanvre au cou. Hélas ! Tu n’étais pas fait pour les grandeurs… J’aurais dû prévoir ça, et ne pas attacher ma fortune à un faiseur de rimes.

      Il fouilla les vêtements du jeune homme et n’y trouva rien. Mais, se rappelant le second portefeuille de Dolorès, il le prit dans la poche où il l’avait laissé.

      Il eut un mouvement de surprise. Le portefeuille contenait un paquet de lettres dont l’aspect lui était familier, et dont il reconnut aussitôt les écritures diverses.

      – Les lettres de l’Empereur ! murmura-t-il. Les lettres au vieux Chancelier !… tout le paquet que j’ai repris moi-même chez Léon Massier et que j’ai donné au comte de Waldemar… Comment se fait-il ?… Est-ce qu’elle l’avait repris à son tour à ce crétin de Waldemar ?

      Et, tout à coup, se frappant le front :

      – Eh non, le crétin, c’est moi. Ce sont les vraies lettres, celles-là ! Elle les avait gardées pour faire chanter l’Empereur au bon moment. Et les autres, celles que j’ai rendues, sont fausses, copiées par elle évidemment, ou par un complice, et mises à ma portée… Et j’ai coupé dans le pont, comme un bleu ! Fichtre, quand les femmes s’en mêlent…

      Il n’y avait plus qu’un carton dans le portefeuille, une photographie. Il regarda. C’était la sienne.

      – Deux photographies… Massier et moi… ceux qu’elle aima le plus sans doute… Car elle m’aimait… Amour bizarre, fait d’admiration pour l’aventurier que je suis, pour l’homme qui démolissait à lui seul les sept bandits qu’elle avait chargés de m’assommer. Amour étrange ! Je l’ai senti palpiter en elle l’autre jour quand j’ai dit mon grand rêve de toute-puissance ! Là, vraiment, elle eut l’idée de sacrifier Pierre Leduc et de soumettre son rêve au mien. S’il n’y avait pas eu l’incident du miroir, elle était domptée. Mais elle eut peur. Je touchais à la vérité. Pour son salut, il fallait ma mort, et elle s’y décida.

      Plusieurs fois, il répéta pensivement :

      – Et pourtant, elle m’aimait… Oui, elle m’aimait, comme d’autres m’ont aimé… d’autres à qui j’ai porté malheur aussi… Hélas ! Toutes celles qui m’aiment meurent… Et celle-là meurt aussi, étranglée par moi… À quoi bon vivre ?…

      À voix basse, il redit :

      – À quoi bon vivre ? Ne vaut-il pas mieux les rejoindre, toutes ces femmes qui m’ont aimé ?… et qui sont mortes de leur amour, Sonia, Raymonde, Clotilde Destange, miss Clarke ?…

      Il


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