Monsieur Parent, et autres histoires courtes. Guy de Maupassant

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Monsieur Parent, et autres histoires courtes - Guy de Maupassant


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impudence lui était revenue et sa haine contre cet nomme, exaspérée a présent, la poussait à l'audace, mettait en elle un besoin de défi, un besoin de bravade.

      Elle dit d'une voix claire:

      —Venez, Limousin. Puisqu'on me chasse, je vais chez vous.

      Mais Limousin ne remuait pas. Parent, qu'une colère nouvelle saisissait, se mit à crier:

      —Allez-vous-en donc!...allez-vous-en!... misérables!... ou bien!... ou bien!...

      Il saisit une chaise qu'il fit tournoyer sur sa tête.

      Alors Henriette traversa le salon d'un pas rapide, prit son amant par le bras, l'arracha du mur où il semblait scellé, et l'entraîna vers la porte en répétant: «Mais venez donc, mon ami, venez donc... Vous voyez bien que cet homme est fou... Tenez donc!...»

      Au moment de sortir, elle se retourna vers son mari, cherchant ce qu'elle pourrait faire, ce qu'elle pourrait inventer pour le blesser au coeur, en quittant cette maison. Et une idée lui traversa l'esprit, une de ces idées venimeuses, mortelles, où fermente toute la perfidie des femmes.

      Elle dit, résolue:—Je veux emporter mon enfant.

      Parent, stupéfait, balbutia:—Ton... ton... enfant?... Tu oses parler de ton enfant?... tu oses... tu oses demander ton enfant... après... après... Oh! oh! oh! c'est trop fort!... Tu oses?... Mais va-t'en donc, gueuse!... Va-t'en!...

      Elle revint vers lui, presque souriante, presque vengée déjà, et le bravant, tout près, face à face:

      —Je veux mon enfant... et tu n'as pas le droit de le garder, parce qu'il n'est pas à toi... tu entends, tu entends bien... Il n'est pas à toi... Il est à Limousin.

      Parent, éperdu, cria:—Tu mens... tu mens... misérable!

      Mais elle reprit:—Imbécile! Tout le monde le sait, excepté toi. Je te dis que voilà son père. Mais il suffit de regarder pour le voir...

      Parent reculait devant elle, chancelant. Puis brusquement, il se retourna, saisit une bougie, et s'élança dans la chambre voisine.

      Il revint presque aussitôt, portant sur son bras le petit Georges enveloppé dans les couvertures de son lit. L'enfant, réveillé en sursaut, épouvanté, pleurait. Parent le jeta dans les mains de sa femme, puis, sans ajouter une parole, il la poussa rudement dehors, vers l'escalier, où Limousin attendait par prudence.

      Puis il referma la porte, donna deux tours de clef et poussa les verrous. A peine rentré dans le salon, il tomba de toute sa hauteur sur le parquet.

       Table des matières

      Parent vécut seul, tout à fait seul. Pendant les premières semaines qui suivirent la séparation, l'étonnement de sa vie nouvelle l'empêcha de songer beaucoup. Il avait repris son existence de garçon, ses habitudes de flânerie, et il mangeait au restaurant, comme autrefois. Ayant voulu éviter tout scandale, il faisait à sa femme une pension réglée par les hommes d'affaires. Mais, peu à peu, le souvenir de l'enfant commença à hanter sa pensée. Souvent, quand il était seul, chez lui, le soir, il s'imaginait tout à coup entendre Georges crier «papa». Son coeur aussitôt commençait à battre et il se levait bien vite pour ouvrir la porte de l'escalier et voir si, par hasard, le petit ne serait pas revenu. Oui, il aurait pu revenir comme reviennent les chiens et les pigeons. Pourquoi un enfant aurait-il moins d'instinct qu'une bête?

      Après avoir reconnu son erreur, il retournait s'asseoir dans son fauteuil, et il pensait au petit. Il y pensait pendant des heures entières, des jours entiers. Ce n'était point seulement une obsession morale, mais aussi, et plus encore, une obsession physique, un besoin sensuel, nerveux de l'embrasser, de le tenir, de le manier, de l'asseoir sur ses genoux, de le faire sauter et culbuter dans ses mains. Il s'exaspérait au souvenir enfiévrant des caresses passées. Il sentait les petits bras serrant son cou, la petite bouche posant un gros baiser sur sa barbe, les petits cheveux chatouillant sa joue. L'envie de ces douces câlineries disparues, de la peau fine, chaude et mignonne offerte aux lèvres, l'affolait comme le désir d'une femme aimée qui s'est enfuie.

      Dans la rue, tout à coup, il se mettait à pleurer en songeant qu'il pourrait l'avoir, trottinant à son côté avec ses petits pieds, son gros Georget, comme autrefois, quand il le promenait. Il rentrait alors; et, la tête entre ses mains, sanglotait jusqu'au soir.

      Puis, vingt fois, cent fois en un jour il se posait cette question: «Était-il ou n'était-il pas le père de Georges?» Mais c'était surtout la nuit qu'il se livrait sur cette idée à des raisonnements interminables. A peine couché, il recommençait, chaque soir, la même série d'argumentations désespérées.

      Après le départ de sa femme, il n'avait plus douté tout d'abord: l'enfant, certes, appartenait à Limousin. Puis, peu à peu, il se remit à hésiter. Assurément, l'affirmation d'Henriette ne pouvait avoir aucune valeur. Elle l'avait bravé, en cherchant à le désespérer. En pesant froidement le pour et le contre, il y avait bien des chances pour qu'elle eût menti.

      Seul Limousin, peut-être, aurait pu dire la vérité. Mais comment savoir, comment l'interroger, comment le décider à avouer?

      Et quelquefois Parent se relevait en pleine nuit, résolu à aller trouver Limousin, à le prier, à lui offrir tout ce qu'il voudrait, pour mettre fin à cette abominable angoisse. Puis il se recouchait désespéré, ayant réfléchi que l'amant aussi mentirait sans doute! Il mentirait même certainement pour empêcher le père véritable de reprendre son enfant.

      Alors que faire? Rien!

      Et il se désolait d'avoir ainsi brusqué les événements, de n'avoir point réfléchi, patienté, de n'avoir pas su attendre et dissimuler, pendant un mois ou deux, afin de se renseigner par ses propres yeux. Il aurait dû feindre de ne rien soupçonner, et les laisser se trahir tout doucement. Il lui aurait suffi de voir l'autre embrasser l'enfant pour deviner, pour comprendre. Un ami n'embrasse pas comme un père. Il les aurait épiés derrière les portes! Comment n'avait-il pas songé à cela? Si Limousin, demeuré seul avec Georges, ne l'avait point aussitôt saisi, serré dans ses bras, baisé passionnément, s'il l'avait laissé jouer avec indifférence, sans s'occuper de lui, aucune hésitation ne serait demeurée possible: c'est qu'alors il n'était pas, il ne se croyait pas, il ne se sentait pas le père.

      De sorte que lui, Parent, chassant la mère, aurait gardé son fils, et il aurait été heureux, tout à fait heureux.

      Il se retournait dans son lit, suant et torturé, et cherchant à se souvenir des attitudes de Limousin avec le petit. Mais il ne se rappelait rien, absolument rien, aucun geste, aucun regard, aucune parole, aucune caresse suspects. Et puis la mère non plus ne s'occupait guère de son enfant. Si elle l'avait eu de son amant, elle l'aurait sans doute aimé davantage.

      On l'avait donc séparé de son fils par vengeance, par cruauté, pour le punir de ce qu'il les avait surpris.

      Et il se décidai à aller, dès l'aurore, requérir les magistrats pour se faire rendre Georget.

      Mais à peine avait-il pris cette résolution qu'il se sentait envahi par la certitude contraire. Du moment que Limousin avait été, dès le premier jour, l'amant d'Henriette, l'amant aimé, elle avait dû se donner à lui avec cet élan, cet abandon, cette ardeur qui rendent mères les femmes. La réserve froide qu'elle avait toujours apportée dans ses relations intimes avec lui, Parent, n'était-elle pas aussi un obstacle à ce qu'elle eût été fécondée par son baiser!

      Alors il allait réclamer, prendre avec lui, conserver toujours et soigner l'enfant d'un autre. Il ne pourrait pas le regarder, l'embrasser, l'entendre dire «papa» sans que cette pensée le frappât, le déchirât: «Ce n'est point mon fils.» Il allait se condamner à ce supplice de tous les instants, à cette vie de misérable! Non, il valait mieux demeurer seul, vivre seul, vieillir seul, et


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