Les zones critiques d'une anthropologie du contemporain. Группа авторов
Читать онлайн книгу.relations interindividuelles (l’amitié, le voisinage, le lien familial, etc.) ; et modifié les foyers d’expériences aussi bien des populations des sociétés étudiées que des chercheur-e-s en quête de sens dans l’explication de l’évènement en train de se dérouler.
En laissant Jean Copans écrire la postface suivie de la présentation bibliographique de ses travaux, nous avons également souhaité laisser les choses dites et écrites à celui qui fait œuvre de témoignage à Georges Balandier, auprès de qui il a cheminé un demi-siècle durant, avec respect, admiration, exigence scientifique et esprit critique. Assurément, le lecteur trouvera de quoi lire avec profit pour une transmission raisonnée des savoirs anthropologiques dans ce monde contemporain en mouvement.
La très longue marche de Jean Copans
Itinéraires d’un universitaire hétérodoxe et d’un homme libre
Par
Momar-Coumba Diop
IFAN – Dakar (Sénégal)
Introduction
En apportant ma contribution à ce volume, je veux rendre hommage à un membre éminent de ma « famille très étendue1 » et du cercle devenu très réduit de mes véritables grands frères. Je souhaite célébrer un chercheur et un enseignant exceptionnel qui, par sa réflexion forte et soutenue dans ses domaines théoriques et empiriques privilégiés est devenu, notamment, l’une des figures majeures de l’anthropologie en France et de la recherche sur le Sénégal contemporain. Pour le faire, je vais suivre à la trace et caractériser la riche trajectoire politique et intellectuelle qui l’a conduit dans différents pays et champs thématiques. Cependant, je ne perdrai pas de vue ses préoccupations permanentes : l’anthropologie et le statut des études africaines au sein des universités françaises.
Jean a longtemps marché2 des Amériques à l’Europe, de l’URSS à l’Afrique ; il a marché d’Abidjan à Missirah, de Nairobi à Maputo et Bujumbura, de Johannesburg à Amiens. Partout où il est passé, il était à la recherche du savoir, de la connaissance, des meilleurs outils pour comprendre les sociétés africaines. Sa marche correspond au long processus de construction intellectuelle de ses principaux domaines théoriques et empiriques et des thèmes dérivés sur lesquels il a publié des articles et des livres de grande qualité dont la liste est impressionnante. Partout où il est passé, il a laissé des traces indélébiles. Car sa puissante pensée ne laisse jamais indifférents ses collègues : elle suscite, le plus souvent, admiration et respect, mais aussi, dans certains cas, des incompréhensions, des polémiques ou des rejets.
Sans vouloir me comparer à Jean, je veux montrer comment, par nos choix thématiques respectifs, nos trajectoires se sont superposées, recoupées ou éloignées. Il me semble que cette voie-là, qui s’écarte de celle de la célébration dithyrambique, est la plus appropriée pour atteindre l’objectif qui est de rendre un hommage mérité à l’un des meilleurs chercheurs de sa génération.
Jean fait partie intégrante de la communauté sénégalaise des sciences sociales. Personne ne peut lui contester ce statut. Car le Sénégal est son pays. Voilà pourquoi il s’exprime publiquement, comme il le fait à propos des sciences sociales au Sénégal, c’est-à-dire sans complaisance ni paternalisme et avec son tempérament particulier qui le pousse, en tout lieu, à dire tout haut ce qu’il pense. Car comme Amady Aly Dieng, Jean ne craint pas la solitude physique ou intellectuelle. En agissant ainsi, il ne s’est pas attiré que des amis3. Il ressort de ses papiers qu’il est passionné par l’hétérodoxie. C’est dans cette passion qu’il trouve son inspiration et sa raison de vivre ; une passion et une inspiration qui se reflètent dans son langage parfois rude, mais toujours honnête. Sa démarche et sa posture intellectuelle sont structurées par le souci constant de repérer et de réduire en cendres toute forme d’imposture. En lui rendant un hommage mérité, je sais bien que, pour ne pas le décevoir, je ne dois pas m’écarter de l’esprit qui l’anime et qu’il exprime dans ses papiers ou ses interventions dans les comités de rédaction des revues dont il est membre.
Jean a su maintenir des relations de collaboration, d’amitié et surtout de respect mutuel avec les chercheurs sénégalais de sa discipline rencontrés depuis son premier terrain. Pour d’autres, beaucoup plus jeunes, mais nombreux déjà, il a joué un rôle important dans la formation, l’encadrement des travaux et la publication de leurs résultats, notamment aux éditions Karthala, où il a été directeur de collection pendant quinze ans, dans les Cahiers d’études africaines ou dans Politique africaine.
Cette contribution est basée essentiellement sur des éléments tirés de mon long compagnonnage avec Jean Copans. Ses articles constituent aussi une autre importante source d’information. Ils proposent des mélanges de témoignage et d’analyse, comme on le voit notamment dans sa contribution au cinquantième anniversaire des Cahiers d’études africaines (198-199-200, 2010) et dans sa contribution à l’hommage posthume à Vladimir Romanovitch Arseniev. Voilà pourquoi je m’adosse à des documents publiés ou en voie de l’être, qui fournissent des données importantes sur sa trajectoire, ses cheminements intellectuels.
Pour compléter les informations ayant alimenté cette contribution, je me suis entretenu avec Jean sur sa biographie, sa formation, ses terrains et son engagement politique pendant son séjour à Dakar, en fin octobre 2019, à l’occasion d’un colloque sur « les gauches révolutionnaires en Afrique subsaharienne pendant les années 1960 et 1970 ». Il m’a ensuite proposé des documents inédits et des notes manuscrites personnelles (une soixantaine de pages) ayant servi à son intervention à l’occasion d’un séminaire organisé à Paris, en décembre 20154. Ce document étant d’une grande richesse, j’en ai extrait des passages pour éclairer certains pans de ma démonstration relative aux grandes thématiques empiriques ou théoriques qui jalonnent la trajectoire de Jean. J’aborde les principales phases, bifurcations ou dérivations de la recherche de Jean (la confrérie mouride, les classes ouvrières d’Afrique noire, le champ politique africain, le développement) en indiquant de quelle façon ils recoupent, influencent ou s’éloignent de mes centres d’intérêt. En le faisant, j’essaie de tracer, en pointillé, ce que j’ai retenu d’essentiel de la trajectoire théorique et professionnelle exceptionnelle de celui que je considère comme l’un des meilleurs anthropologues de son temps.
J’ai fait le choix délibéré de rester fidèle à l’esprit qui anime la prodigieuse production théorique de Jean, en proposant une contribution qui se veut hétérodoxe, qui raconte l’histoire de notre relation intellectuelle. Le programme est ambitieux à réaliser dans un cadre aussi étroit. Mais c’est sans hésiter que j’ai pris un tel risque. Car il faut dire maintenant à Jean, de manière très explicite, ce dont nous lui sommes redevables.
Le Sénégal de Jean Copans
Au moment où Jean Copans5 arrive au Sénégal, en 1967, pour mener ses enquêtes de terrain, le pays est soumis à d’importantes recompositions. En effet, le bouillonnement6 intellectuel et politique observé avant l’indépendance, notamment au travers des organisations politiques, syndicales, des associations d’étudiants, a favorisé l’émergence et la consolidation d’un anticolonialisme radical. Entre 1960 et 1962, le personnel politique regroupé autour de Léopold Sédar Senghor et de Mamadou Dia était divisé sur les orientations à donner à l’économie nationale. Aussi