Le Piccinino. George Sand

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Le Piccinino - George Sand


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et quand je lui ai dit que c'étaient les cheveux de mon frère unique et bien-aimé, elle les a pris en me disant qu'elle me les renverrait le lendemain; et, le lendemain, elle me faisait remettre par notre père ce beau joyau plein de tes cheveux. Pourtant il en manquait. Le bijoutier qui les a enchâssés là-dedans en aura volé ou perdu.

      —Perdu, cela se peut, dit Michel en souriant, mais volé!... Ces cheveux n'ont de prix que pour toi, Mila!

       Table des matières

      PROBLÈME.

      —Mais, enfin, d'où vient cette amitié de la princesse, reprit Michel après une pause, et quel service lui as-tu jamais rendu pour qu'elle te fasse de pareils présents?

      —Aucun. Mon père, qui est bien avec elle, m'a emmenée un jour au palais pour me présenter. Je lui ai plu; elle m'a fait mille caresses; elle m'a demandé mon amitié, je la lui ai promise et donnée tout de suite. J'ai passé la journée toute seule avec elle à me promener dans sa villa et dans ses jardins. Depuis ce temps-là, j'y vais quand je veux, et je suis toujours sûre d'être bien reçue.

      —Et tu y vas souvent?

      —Je n'y suis encore retournée que deux fois, car il n'y a pas longtemps que j'ai fait connaissance avec elle. Depuis huit jours, je sais que le palais a été sens-dessus-dessous pour les apprêts de ce bal, et j'aurais craint de gêner ma chère Agathe dans un moment où elle avait sans doute beaucoup d'occupations. Mais j'irai dans deux ou trois jours.

      Mais la princesse n'était pas seule... (Page 28.) Mais la princesse n'était pas seule... (Page 28.)

      —Ainsi, voilà tout le mystère? Pourquoi te faisais-tu prier pour me le dire?

      —Ah! parce que la princesse m'a dit en me quittant: «Mila, je te prie de ne parler à personne de la bonne journée que nous avons passée ensemble, et de l'amitié que nous avons contractée. J'ai mes raisons pour te demander le secret là-dessus. Tu les sauras plus tard, et je sais que je peux compter sur ta parole, si tu veux bien me la donner.» Tu penses bien, Michel, que je ne la lui ai pas refusée?

      —Fort bien; mais tu y manques, maintenant.

      —Je n'y manque pas. Tu n'es pas un autre pour moi, et certainement la princesse n'a pas compté que j'aurais un secret pour mon frère ou pour mon père.

      —Mon père sait donc tout cela?

      —Certainement, je lui ai bien vite tout raconté.

      —Et il n'a été ni surpris ni inquiet de ce caprice de la princesse?

      —Et pourquoi surpris? C'est ta surprise qui est singulière et un peu impertinente, Michel. Est-ce que je ne peux pas inspirer de l'amitié, même à une princesse? Et pourquoi inquiet? Est-ce que l'amitié n'est pas une bonne et douce chose?

      —Mon enfant, je suis cependant, sinon inquiet, du moins étonné de cette amitié-là, moi. Dis-moi quelque chose qui me l'explique, au moins? Notre père a donc rendu quelque grand service à la princesse Agathe?

      —Il a fait beaucoup de belles peintures de décor dans le palais. Il a fait des feuillages superbes dans la salle à manger, entre autres.

      —J'ai vu tout cela; mais il est bien payé. La princesse l'a pris en amitié pour son activité et son désintéressement, n'est-ce pas?

      —Oui, cela doit être. Tous ceux qui voient mon père pendant quelque temps, ne l'aiment-ils pas?

      —C'est juste. Allons, c'est à cause de notre digne père que tu inspires tant d'intérêt à cette grande dame!

      —Oh! ce n'est pas une grande dame, va, Michel! c'est une bonne femme, une excellente personne.

      —Et qu'a-t-elle pu te dire, à toi, enfant, durant toute une journée?

      —Elle m'a fait mille questions, sur moi, sur mon père, sur toi, sur notre séjour à Rome, sur tes occupations, sur notre vie de famille, sur nos goûts. Je crois qu'elle m'a fait raconter notre histoire, jour par jour, depuis que je suis au monde; à tel point que j'étais fatiguée, le soir, d'avoir tant parlé.

      —Elle est donc terriblement curieuse, cette dame; car, que lui importe tout cela?

      —Tu m'y fais songer; oui, je la crois un peu curieuse; mais il y a du plaisir à lui répondre: elle vous écoute avec tant d'intérêt, et elle est si aimable! Tiens, ne m'en dis pas de mal, je me fâcherais contre toi!

      —Eh bien, n'en parlons plus, et Dieu me préserve de te faire connaître la méfiance et la crainte, à toi, mon beau cœur d'ange! Va te coucher; mon père m'attend. Demain, nous causerons encore de ton aventure, car c'est déjà une aventure merveilleuse dans ta vie que cette grande amitié contractée avec une belle princesse...qui ne pense pas plus à toi, à l'heure qu'il est, qu'à la dernière paire de pantoufles qu'elle a mise... N'importe! ne prends pas un air offensé. Dans un jour de solitude et de désœuvrement, il se pourra que la princesse de Palmarosa te fasse venir pour s'amuser encore de ton caquet.

      —Vous ne savez pas ce que vous dites, Michel. La princesse n'est point désœuvrée, et, si vous voulez le prendre ainsi, je vous dirai que, quoique bonne, elle passe pour être assez froide avec les gens comme nous. Les uns disent qu'elle est haute, d'autres qu'elle est timide. Le fait est qu'elle parle toujours avec douceur et politesse aux ouvriers et aux serviteurs qui l'approchent, mais qu'elle leur parle si peu, si peu!... qu'en vérité elle est renommée pour cela, et que des gens qui ont travaillé pour elle, durant des années, n'ont pas su la couleur de ses paroles et l'ont à peine vue dans sa propre maison. Ainsi, son amitié pour mon père et pour moi n'est pas banale; c'est de l'amitié véritable, et vos moqueries ne m'empêcheront pas d'y compter. Bonsoir, Michel, je ne suis pas trop contente de toi, ce soir; je ne t'ai jamais vu cet air railleur. Tu as l'air de me dire que je ne suis qu'une petite fille et qu'on ne peut pas m'aimer!

      —Ce n'est pas là ma pensée, en ce qui me concerne, toujours! puisque, toute petite fille que tu es, je t'adore!

      —Comment dis-tu cela, mon frère? Tu m'adores? c'est beau, ce mot-là. Embrasse-moi.»

      L'enfant vint se jeter dans ses bras. Michel l'y pressa tendrement, et comme elle appuyait sa belle tête brune sur son épaule, il baisa les longs cheveux qui retombaient sur le dos à demi nu de la jeune fille.

      Mais tout à coup il la repoussa avec un frémissement douloureux. Toutes les pensées brûlantes qui avaient agité son cerveau une heure auparavant se présentaient à lui comme un remords, et il lui semblait que ses lèvres n'étaient plus assez pures pour bénir sa petite sœur.

      Il se vit à peine seul, qu'il franchit tout d'un trait la porte de la vieille maison qu'il habitait, sans avoir daigné fermer celle de sa chambre. A vrai dire, il ne s'aperçut pas de la distance qu'il franchissait, et, toujours poursuivi par ses rêves, il s'imagina passer de plain-pied du palier de sa mansarde au péristyle de marbre de la villa. Il y avait pourtant un mille de chemin à peu près entre ce palais et les dernières maisons du faubourg de Catane.

      La première figure qui frappa ses regards, comme il allait entrer dans la salle, fut celle de l'inconnu qui l'avait occupé au moment d'en sortir. Ce jeune homme se retirait lentement en s'essuyant le front avec un mouchoir garni de dentelles. Michel, intrigué, et se demandant si ce n'était point une femme déguisée, l'accosta résolûment. «Eh bien! mon maître, lui dit-il, avez-vous réussi à voir la princesse Agathe?»

      L'inconnu, qui paraissait absorbé dans ses pensées, releva brusquement la tête, et lança à Michel un regard d'une défiance et même d'une malveillance si étranges, que le jeune homme en eut comme une sensation de froid. Ce n'était pas là le regard d'une


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