Le Piccinino. George Sand

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Le Piccinino - George Sand


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ans, et il étudiait la peinture à Rome. Son père, Pier-Angelo Lavoratori, était un simple barbouilleur à la colle, peintre en décors, mais fort habile dans sa partie. Et l'on sait qu'en Italie les artisans chargés de couvrir de fresques les plafonds et les murailles sont presque des artistes. Soit tradition, soit goût naturel, ils produisent des ornements fort agréables; et dans les plus modestes demeures, jusque dans de pauvres auberges, l'œil est réjoui par des guirlandes et des rosaces d'un charmant style, ou seulement par des bordures, dont les couleurs sont heureusement opposées à celle de la teinte plate des panneaux et des lambris. Ces fresques sont parfois aussi parfaitement exécutées que nos papiers de tenture, et elles sont bien supérieures, en ce que l'on y sent le laisser aller des ouvrages faits à la main. Rien de triste comme les ornements d'une régularité rigoureuse que produisent les machines. La beauté des vases, et en général des ouvrages chinois, tient à cet abandon capricieux que la main humaine peut seule donner à ses œuvres. La grâce, la liberté, la hardiesse, l'imprévu, et même la maladresse naïve sont, dans l'ornementation, des conditions de charme qui se perdent chaque jour chez nous, où tout s'obtient au moyen des mécaniques et des métiers.

      Pier-Angelo était un des plus expéditifs et des plus ingénieux parmi ces ouvriers ornateurs (adornatori). Natif de Catane, il y avait élevé sa famille jusqu'à la naissance de Michel, époque où il quitta brusquement son pays pour aller se fixer à Rome. Le motif qu'il donna à cet exil volontaire fut que sa famille augmentait, qu'il s'établissait à Catane une trop grande concurrence, que son travail par conséquent devenait insuffisant; enfin qu'il allait chercher fortune ailleurs. Mais on disait tout bas qu'il avait fui les ressentiments de certains patriciens tout-puissants, et tout dévoués à la cour de Naples.

      On sait la haine que ce peuple conquis et opprimé porte au gouvernement de l'autre côté du détroit. Fier et vindicatif, le Sicilien gronde sans cesse comme son volcan et s'agite parfois. On disait que Pier-Angelo avait été compromis dans un essai de conspiration populaire, et qu'il avait dû fuir, emportant ses pinceaux et ses pénates. Pourtant, son caractère enjoué et bienveillant semblait démentir une telle supposition; mais il fallait bien aux vives imaginations des habitants du faubourg de Catane un motif extraordinaire à la brusque disparition de cet artisan aimé et regretté de tous ses confrères.

      A Rome, il ne fut guère plus heureux, car il y eut la douleur de perdre tous ses enfants, excepté Michel, et peu de temps après, sa femme mourut en donnant le jour à une fille, dont le jeune frère fut parrain, et qui reçut le nom de Mila, contraction de Michel'Angela.

      Réduit à ces deux enfants, Pier-Angelo, plus triste, fut du moins plus aisé, et il vint à bout, en travaillant avec ardeur, de faire donner à son fils une éducation très-supérieure à celle qu'il avait reçue lui-même. Il montra pour cet enfant une prédilection qui allait jusqu'à la faiblesse, et, quoique pauvre et obscur, Michel fut un véritable enfant gâté.

      Ainsi, Pier-Angelo avait poussé ses autres fils au travail et leur avait communiqué de bonne heure cette ardeur qui le dévorait. Mais, soit qu'ils eussent succombé à un excès de labeur pour lequel ils n'avaient pas reçu du ciel la même force que leur père, soit que Pier-Angelo, voyant sa famille réduite à trois personnes, lui compris, ne jugeât plus nécessaire de se faire aider, il sembla s'attacher à ménager la santé de son dernier fils, plus qu'à se hâter de lui donner un gagne-pain.

      Néanmoins, l'enfant aimait la peinture, et il créait, en se jouant, des fruits, des fleurs et des oiseaux d'un coloris charmant. Un jour, il demanda à son père pourquoi il ne plaçait pas des figures dans ses fresques.

      «Oui-da! des figures! répondit le bonhomme plein de sens: il faut les faire fort belles, ou ne s'en point mêler. Ceci dépasse le talent que j'ai pu acquérir, et, tandis qu'on approuve mes guirlandes et mes arabesques, je serais bien sûr de faire rire les connaisseurs si je m'avisais de faire danser des amours boiteux ou des nymphes bossues sur mes plafonds.

      —Et si j'essayais, moi! dit l'enfant qui ne doutait de rien.

      —Essaie sur du papier, et quelque succès que tu aies pour ton âge, tu verras bientôt qu'avant de savoir il faut apprendre.»

      Michel essaya. Pierre montra les croquis de son fils à des amateurs et même à des peintres, qui reconnurent que l'enfant avait beaucoup de dispositions et qu'il serait heureux pour lui de n'être pas trop enchaîné à la tâche du manœuvre. Dès lors, Pier-Angelo résolut d'en faire un peintre, l'envoya dans un des premiers ateliers de Rome, et le dispensa entièrement de préparer les couleurs et de barbouiller les murailles.

      «De deux choses l'une, se disait-il avec raison; ou cet enfant deviendra un maître, ou, s'il n'a qu'un faible talent, il reviendra à la peinture d'ornement avec des connaissances que je n'ai pas, et il sera un ouvrier de premier ordre dans sa partie. De toute façon il aura une existence plus libre et plus aisée que la mienne.»

      Ce n'est pas que Pier-Angelo fût mécontent de son sort. Il était doué de cette imprévoyance, et même de cette insouciance qu'ont les hommes très-laborieux et très-robustes. Il comptait toujours sur la destinée, peut-être parce qu'il comptait surtout sur ses bras et sur son courage. Mais, comme il était fort intelligent et fin observateur, il avait déjà vu poindre chez Michel une étincelle d'ambition que ses autres enfants n'avaient jamais eue. Il en conclut que le bonheur dont il s'arrangeait, lui, ne suffirait pas à cette organisation plus exquise. Tolérant à l'excès, et bien convaincu que chaque homme a des aptitudes que nul autre ne peut mesurer exactement, il respecta les instincts et les penchants de Michel comme des volontés du ciel, et, en cela, il fut aussi imprudent que généreux.

      Car il devait résulter, et il résulta en effet de cette condescendance aveugle, que Michel-Ange s'habitua à ne jamais souffrir, à ne jamais être contrarié, et à regarder sa personnalité comme plus importante et plus intéressante que celle des autres. Il prit souvent ses fantaisies pour des volontés, et ces volontés pour des droits. De plus, il fut atteint de bonne heure de la maladie des gens heureux, c'est-à-dire de la crainte de n'être pas toujours heureux; et au milieu de ses progrès, il fut souvent paralysé par la crainte d'échouer. Une vague inquiétude s'empara de lui, et, comme il était naturellement énergique et audacieux, elle le rendit parfois chagrin et irritable...

      Mais nous pénétrerons plus avant encore son caractère, en le suivant dans les réflexions qu'il fit lui-même aux portes de Catane, dans la petite chapelle où il venait de s'arrêter.

       Table des matières

      L'HISTOIRE DU VOYAGEUR.

      J'ai oublié de vous dire, et il est urgent que vous sachiez pourquoi, depuis un an, Michel était séparé de son père et de sa sœur.

      Quoiqu'il gagnât fort bien sa vie à Rome, et malgré son heureux caractère, Pier-Angelo n'avait jamais pu s'habituer à vivre à l'étranger, loin de sa chère patrie. En véritable insulaire qu'il était, il regardait la Sicile comme une terre privilégiée du ciel sous tous les rapports, et le continent comme un lieu d'exil. Quand les Catanais parlent de ce volcan terrible qui les écrase et les ruine si souvent, ils poussent l'amour du sol jusqu'à dire: Notre Etna. «Ah! disait Pier-Angelo le jour qu'il passa près des laves du Vésuve, si vous aviez vu notre fameuse lame de Catane! c'est cela qui est beau et grand! Vous n'oseriez plus parler des vôtres!» Il faisait allusion à cette terrible éruption de 1669 qui apporta, au centre même de la ville, un fleuve de feu, et détruisit la moitié de la population et des édifices. La destruction d'Herculanum et de Pompeïa lui semblait une plaisanterie. «Bah! disait-il avec orgueil, j'ai vu bien d'autres tremblements de terre! C'est chez nous qu'il faut aller pour savoir ce que c'est!»

      Enfin il soupirait sans cesse après le moment où il pourrait revoir sa chère fournaise et sa bouche d'enfer bien-aimée.

      Lorsque Michel et Mila, qui étaient habitués à sa bonne humeur, le voyaient rêveur et abattu, ils s'affligeaient et s'inquiétaient, comme il arrive toujours


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