Les quatre filles du docteur Marsch. Louisa May Alcott

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Les quatre filles du docteur Marsch - Louisa May Alcott


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était émouvante, personne ne pût la voir pleurer.

      Dans ces temps de guerre, toutes les lettres étaient touchantes, et surtout celles des pères à leurs enfants. Celle-ci était non pas gaie, mais pleine d’espoir; elle contenait des descriptions animées de la vie des camps et quelques nouvelles militaires. Il pensait. que cette guerre, plus funeste qu’aucune autre, puisqu’elle avait le malheur d’ être une guerre civile, prendrait fin plus tôt qu’on n’avait osé l’espérer. A la dernière page seulement le cœur de l’écrivain se desserrait tout à fait, et le désir de revoir sa femme et ses petites filles y débordait,

      «Donnez-leur à toutes de bons baisers, dites-leur que je pense à elles tous les jours et que chaque soir je prie pour elles. De tout temps, leur affection a été ma plus grande joie, et un an de séparation c’est bien cruel; mais rappelez-leur que nous devons tous travailler et faire profit même de ces jours de tristesse. J’espère qu’elles se souviennent de tout ce que je leur ai dit. Elles sont de bonnes filles pour vous; elles remplissent fidèlement leurs devoirs; elles n’oublient pas de combattre leurs ennemis intérieurs, et auront remporté de telles victoires sur elles-mêmes, que, quand je reviendrai, je serai plus fier encore de «mes petites femmes» et que je leur devrai de les aimer encore plus si c’est possible.»

      Elles se mouchaient toutes pour cacher leurs larmes lorsque leur mère lut ce passage. Jo ne fut pas honteuse de la grosse larme qui avait élu domicile au bout de son nez, et Amy ne craignit pas de défriser ses cheveux lorsque, tout en pleurs, elle se cacha sur l’épaule de sa mère, en s’écriant

      Je suis très égoïste; mais je tâcherai réellement d’être meilleure, pour que notre père ne soit pas désappointé en me revoyant.

      –Nous tâcherons toutes, s’écria Meg; je ne penserai plus autant à ma toilette, et, si je peux, j’aimerai le travail.

      –Et moi j’essayerai d’être ce qu’il aime à m’appeler: une petite femme; je ne serai pas brusque et impatiente, et je ferai mon devoir ici au lieu de désirer être ailleurs,» dit Jo, qui pensait que ne pas se mettre en colère était bien plus difficile que de combattre une douzaine de rebelles.

      Beth ne dit rien; mais elle essuya ses larmes et se mit à tricoter de toutes ses forces, faisant tout de suite son devoir le plus proche, et prenant, dans sa tranquille petite âme, la résolution d’être, lorsque arriverait le jour tant désiré du retour de son père, tout ce qu’il désirait qu’elle fût.

      Mme Marsch rompit la première le silence qui avait suivi les paroles de Jo, en disant de sa voix joyeuse.

      «Vous rappelez-vous comment vous jouiez aux «Pèlerins en route pour le paradis», lorsque vous étiez toutes petites? Rien ne vous faisait tant de plaisir que quand je vous mettais sur le dos des sacs remplis de vos péchés; que je vous donnais de grands chapeaux, des bâtons et des rouleaux de papier et que je vous permettais de voyager dans la maison, depuis la cave, qui était le séjour des coupables, jusqu’au grenier, où vous aviez mis tout ce que vous aviez pu trouver de plus joli et que vous appeliez la cité céleste.

      –J’aimais bien quand nos sacs, pleins de choses lourdes comme nos fautes, tombaient par terre et dégrin: golaient tout seuls jusqu’au bas des escaliers, dit Megon n’avait plus besoin de les porter.

      –Si je n’étais pas trop âgée pour jouer encore à tous ces jeux-là, cela m’amuserait de recommencer, dit Amy, qui, à l’âge mûr de onze ans, commençait à parler de renoncer aux choses enfantines.

      –On n’est jamais trop âgé pour ce jeu-là, mon enfant, car on y joue toute sa vie, d’une manière ou d’une autre. Nous avons toujours nos fardeaux qu’il faut porter, nos fautes qu’il faut réparer.

      –Où sont donc nos fardeaux, maman? demanda Amy, qui ne saisissait pas facilement les allégories.

      –Toutes, vous les avez désignés tout à l’heure, excepté Beth, ce qui me fait croire qu’elle n’en a pas, répondit Mme Marsch.

      –Oh! si, j’en ai; c’est d’avoir des assiettes à essuyer, de la poussière à ôter, d’être jalouse des petites filles qui ont de beaux pianos, et d’avoir peur de tout le monde.»

      Le fardeau de Beth était si drôle qu’elles eurent toutes envie de rire; mais elles se retinrent, car leur gaieté aurait fait de la peine à leur très timide petite sœur.

      «Il faudrait, dit Meg d’un air très réfléchi, être si sage, qu’on n’ait plus rien à porter. Mais comment faire? Je vois trop que, malgré notre désir, nous oublions toujours nos bonnes résolutions.

      –Regardez sous votre oreiller, le jour de Noël, en vous éveillant; vous y trouverez chacune un livre qui vous aidera à reconnaître votre chemin.»

      En ce moment, la vieille servante Hannah annonça qu’elle avait débarrassé la table. Les quatre sœurs prirent alors leurs quatre petits paniers à ouvrage et se mirent à coudre des draps pour la tante Marsch. C’était un ouvrage peu intéressant; mais, ce soir-là, personne ne murmura, et Jo ayant proposé de partager les longs surjets en quatre parties, qu’elles nommèrent: Europe, Asie, Afrique et Amérique, elles s’amusèrent beaucoup à parler des pays au milieu desquels elles passaient en cousant.

      A neuf heures, elles plièrent leur ouvrage, et, comme c’était leur habitude, avant d’aller se coucher, elles chantèrent un cantique. C’était leur prière du soir. La soirée se terminait toujours ainsi.

       UN JOYEUX NOEL

       Table des matières

      Ce fut Jo qui s’éveilla la première le jour de Noël; elle n’aperçut ni bas ni souliers sur la cheminée, et, pendant un instant, elle se sentit aussi désappointée que lorsque, bien des années auparavant, elle avait cru que son bon petit bas s’était envolé, parce que, surchargé de bonbons et de jouets, il était tombé à terre. Mais bientôt elle se rappela la promesse de sa mère, et, glissant sa main sous son oreiller, elle découvrit un petit livre rouge. C’était un livre où une mère très intelligente avait rassemblé tous les conseils de sagesse, de ceux qu’on a désignés sous le nom de Morale familière, qui pouvaient être utiles à ses enfants. Jo sentit que c’était là le vrai guide dont elle avait besoin. Elle éveilla Meg en lui donnant un coup de coude, et, lui souhaitant un joyeux Noël, l’avertit de regarder sous son oreiller. Meg y trouva un petit livre vert, ayant au commencement la même gravure que celui de sa sœur, et, sur la première page de chacun des deux livres, leur mère avait écrit de sa main quelques mots qui rendaient leurs cadeaux très précieux à leurs yeux.

      Bientôt Beth et Amy s’éveillèrent et découvrirent aussi leurs petits livres, dont l’un était relié en bleu et l’autre en brun; les premiers rayons du jour les trouvèrent assises sur leur lit, occupées à examiner leurs livres et à en parler.

      Marguerite avait, malgré ses petites vanités, une nature douce et pieuse qui lui donnait une grande influence sur ses sœurs et particulièrement sur Jo, qui l’aimait tendrement et lui obéissait toujours, tant ses avis étaient donnés gentiment.

      «Mesdemoiselles, leur dit-elle sérieusement, maman désire que nous lisions ces livres, que nous les aimions et que nous nous souvenions de nos lectures; il faut commencer tout de suite. Autrefois nous ne manquions jamais à notre lecture du matin; mais, depuis que papa est parti et que la guerre nous occupe, nous avons négligé beaucoup de bonnes habitudes. Vous ferez comme vous voudrez; mais, quant à moi, je placerai mon livre sur la table près de mon lit, et, tous les matins, en m’éveillant, j’en lirai un chapitre; je sais que cela me fera du bien pour toute la journée.»

      Puis elle ouvrit son livre neuf et se mit à lire; Jo, mettant son bras autour d’elle et sa joue contre la sienne, lut aussi, et sa figure mobile prit une expression tranquille qu’on y voyait rarement.


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