Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau
Читать онлайн книгу.moins en flagrant délit de mensonge, comment finalement il s’était décidé à les faire arrêter.
Il parlait debout, la tête rejetée en arrière, avec une emphase verbeuse, s’écoutant, triant les expressions. Et à chaque instant, les mots de: «Nous, maire d’Orcival» ou de: «Ensuite de quoi» revenaient dans son discours. Enfin, il s’épanouissait dans l’exercice de ses fonctions, et le plaisir de parler le dédommageait un peu de ces angoisses.
—Et maintenant, conclut-il, je viens d’ordonner les plus exactes perquisitions qui, sans nul doute, nous feront retrouver le cadavre du comte. Cinq hommes, par moi requis et tous les gens de la maison battent le parc. Si leurs recherches ne sont pas couronnées de succès, j’ai sous la main des pêcheurs qui sonderont la rivière.
Le juge d’instruction se taisait, hochant simplement la tête de temps à autre en signe d’approbation. Il étudiait, il pesait les détails qui lui étaient communiqués, bâtissant déjà dans sa tête un plan d’instruction.
—Vous avez fort sagement agi, monsieur le maire, dit-il enfin. Le malheur est immense, mais je crois comme vous que nous sommes sur la trace des coupables. Ces maraudeurs que nous tenons, ce jardinier qui n’a pas reparu doivent être pour quelque chose dans ce crime abominable.
Depuis quelques minutes déjà, le père Plantat dissimulait tant bien que mal, plutôt mal que bien, des signes d’impatience.
—Le malheur est, dit-il, que si Guespin est coupable, il ne sera pas assez sot pour se présenter ici.
—Oh! nous le trouverons, répondit M. Domini; avant de quitter Corbeil, j’ai envoyé à Paris, à la préfecture de police, une dépêche télégraphique pour demander un agent de la police de la Sûreté, et il sera, je l’imagine, ici avant peu.
—En attendant, proposa le maire, vous désireriez peut-être, monsieur le juge d’instruction, visiter le théâtre du crime.
M. Domini eut un geste comme pour se lever et se rassit aussitôt.
—Au fait, non, dit-il, autant ne rien voir avant l’arrivée de notre agent. Mais j’aurais bien besoin de renseignements sur le comte et la comtesse de Trémorel.
Le digne maire triompha de nouveau.
—Oh! je puis vous en donner, répondit-il vivement, et mieux que personne. Depuis leur arrivée dans ma commune, j’étais, je puis le dire, un des meilleurs amis de monsieur le comte et madame la comtesse. Ah! monsieur, quels gens charmants! et excellents, et affables, et dévoués!...
Et, au souvenir de toutes les qualités de ses amis, M. Courtois éprouva une certaine gêne dans la gorge.
—Le comte de Trémorel, reprit-il, était un homme de trente-quarante ans, beau garçon, spirituel jusqu’au bout des ongles. Il avait bien, parfois, des accès de mélancolie pendant lesquels il ne voulait voir personne, mais il était d’ordinaire si aimable, si poli, si obligeant, il savait si bien être noble sans morgue, que tout le monde dans ma commune l’estimait et l’adorait.
—Et la comtesse? demanda le juge d’instruction.
—Un ange! monsieur, un ange sur la terre! Pauvre femme! Vous allez voir ses restes mortels tout à l’heure, et certes vous ne devinerez pas qu’elle a été la reine du pays, par la beauté.
—Le comte et la comtesse étaient-ils riches?
—Certes! Ils devaient réunir à eux deux plus de cent mille francs de rentes; oh! oui, beaucoup plus; car, depuis cinq ou six mois, le comte, qui n’avait pas pour la culture les aptitudes de ce pauvre Sauvresy, vendait les terres pour acheter de la rente.
—Étaient-ils mariés depuis longtemps?
M. Courtois se gratta la tête; c’était son invocation à la mémoire.
—Ma foi, répondit-il, c’est au mois de septembre de l’année dernière; il y a juste dix mois que je les ai mariés moi-même. Il y avait un an que ce pauvre Sauvresy était mort.
Le juge d’instruction abandonna ses notes pour regarder le maire d’un air surpris.
—Quel est, demanda-t-il, ce Sauvresy dont vous nous parlez?
Le père Plantat, qui se mordillait furieusement les ongles dans son coin, étranger en apparence à ce qui se passait, se leva vivement.
—M. Sauvresy, dit-il, était le premier mari de Mme de Trémorel; mon ami Courtois avait négligé ce fait...
—Oh! riposta le maire d’un ton blessé, il me semble que dans les conjonctures présentes...
—Pardon, interrompit le juge d’instruction, il est tel détail qui peut devenir précieux bien qu’étranger à la cause, et même insignifiant au premier abord.
—Hum! grommela le père Plantat, insignifiant étranger!...
Son ton était à ce point singulier, son air si équivoque, que le juge d’instruction en fut frappé.
—Ne partageriez-vous pas, monsieur, demanda-t-il, les opinions de monsieur le maire sur le compte des époux Trémorel?
Le père Plantat haussa les épaules.
—Je n’ai pas d’opinions, moi, répondit-il, je vis seul, je ne vois personne; que m’importent toutes ces choses. Cependant...
—Il me semble, exclama M. Courtois, que nul mieux que moi ne doit connaître l’histoire de gens qui ont été mes amis et mes administrés.
—C’est qu’alors, répondit sèchement le père Plantat, vous la contez mal.
Et comme le juge d’instruction le pressait de s’expliquer, il prit sans façon la parole, au grand scandale du maire rejeté ainsi au second plan, esquissant à grands traits la biographie du comte et de la comtesse.
La comtesse de Trémorel, née Berthe Lechaillu, était la fille d’un pauvre petit instituteur de village.
À dix-huit ans, sa beauté était célèbre à trois lieues à la ronde, mais comme elle n’avait pour toute dot que ses grands yeux bleus et d’admirables cheveux blonds, les amoureux—c’est-à-dire les amoureux pour le bon motif—ne se présentaient guère.
Déjà Berthe, sur les conseils de sa famille, se résignait à coiffer sainte Catherine et sollicitait une place d’institutrice—triste place pour une fille si belle—lorsque l’héritier d’un des plus riches propriétaires du pays eut occasion de la voir et s’éprit d’elle.
Clément Sauvresy venait d’avoir trente ans; il n’avait plus de famille et possédait près de cent mille livres de rentes en belles et bonnes terres absolument libres d’hypothèques. C’est dire que mieux que personne il avait le droit de prendre femme à son gré.
Il n’hésita pas. Il demanda la main de Berthe, l’obtint, et, un mois après, il l’épousait en plein midi, au grand scandale des fortes têtes de la contrée, qui allaient répétant:
—Quelle folie! À quoi sert d’être riche, si ce n’est à doubler sa fortune par un bon mariage!
Un mois avant la noce, à peu près, Sauvresy avait mis les ouvriers au Valfeuillu, et, en moins de rien, il y avait dépensé, en réparations et en mobilier, la bagatelle de trente mille écus. C’est ce beau domaine que les époux choisirent pour passer leur lune de miel.
Ils s’y trouvèrent si bien qu’ils s’y installèrent tout à fait, à la grande satisfaction de tous ceux qui étaient en relation avec eux. Ils conservèrent seulement un pied à terre à Paris.
Berthe était de ces femmes qui naissent tout exprès, ce semble, pour épouser les millionnaires.
Sans gêne ni embarras, elle passa sans transition de la misérable salle d’école, où elle secondait son père, au superbe salon de Valfeuillu. Et