Souvenirs d'égotisme autobiographie et lettres inédites publiées par Casimir Stryienski. Stendhal

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Souvenirs d'égotisme autobiographie et lettres inédites publiées par Casimir Stryienski - Stendhal


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      C’était pour Beyle un apprentissage, que cette vie de Paris, dans ces mondes très différents. Il se révéla causeur plein d’idées nouvelles et de formules inédites, chez les uns; chez les autres—contre-partie naturelle—il fut jugé homme dangereux et révolutionnaire en morale autant qu’en politique.

      Pour lui la question n’était pas là. Il laissait dire, et se contentait d’observer, préoccupé constamment de trouver «la théorie du cœur humain» et de «peindre ce cœur par la littérature.»

      Il s’essayait sur ce public restreint, ne se donnant pas tout entier; il conservait toute son indépendance.

      Jamais il ne voulut cultiver un salon, cela contrariait trop ses habitudes. Il faisait des apparitions et n’était jamais assidu. Il ne songeait pas à s’assurer une situation, comme on l’a dit, il n’était déjà plus ambitieux que littérairement. Aussi sacrifia-t-il tout à cette passion dominante. En ne se mêlant pas trop aux coteries, il sut garder toute son originalité pour le jour où, enfin, maître de lui-même, il se résume en une œuvre—une œuvre capitale qui ne pouvait être pensée et conçue qu’après une longue expérience.

      C’est en 1830 qu’il écrira le Rouge et le Noir, avant de s’exiler à Civita-Vecchia, avant d’aller occuper son poste modeste de consul de France dans cette triste ville italienne.

      Stendhal dira, en 1835, après avoir réfléchi à la situation qu’il aurait pu obtenir, s’il avait su profiter de ses relations: «Je regrette peu l’occasion perdue. Au lieu de dix, j’aurais vingt mille, au lieu de chevalier, je serais officier de la Légion d’honneur, mais j’aurais pensé trois ou quatre heures par jour à ces platitudes d’ambition qu’on décore du nom de politique; j’aurais fait beaucoup de bassesses.....

      «La seule chose que je regrette, c’est le séjour de Paris.»

      Et il se reprend bien vite: «Mais je serais las de Paris, en 1836, comme je suis las de ma solitude, parmi les sauvages de Civita-Vecchia[23].»

      Ainsi, il a le bonheur de garder un plus agréable souvenir de ses années passées dans les cercles littéraires de Paris, car il ne croyait pas qu’il n’est pire misère que de se rappeler les temps heureux dans les jours de douleur; comme Alfred de Musset, il reniait cette pensée du poète florentin.

      Casimir Stryienski.

      Jersey, septembre 1892.

      CHAPITRE PREMIER[24]

       Table des matières

      Mero[25], 20 juin 1832.

      Pour employer mes loisirs dans cette terre étrangère, j’ai envie d’écrire un petit mémoire de ce qui m’est arrivé pendant mon dernier voyage à Paris, du 21 juin 1821 au... novembre 1830; c’est un espace de neuf ans et demi. Je me gronde moi-même depuis deux mois, depuis que j’ai digéré la nouvelleté de ma position pour entreprendre un travail quelconque. Sans travail, le vaisseau de la vie humaine n’a point de lest.

      J’avoue que le courage d’écrire me manquerait si je n’avais pas l’idée qu’un jour ces feuilles paraîtront imprimées et seront lues par quelque âme que j’aime, par un être tel que Madame Roland ou M. Gros, le géomètre[26]. Mais les yeux qui liront ceci s’ouvrent à peine à la lumière, je suppose que mes futurs lecteurs ont dix ou douze ans.

      Ai-je tiré tout le parti possible, pour mon bonheur, des positions où le hasard m’a placé pendant les neuf ans que je viens de passer à Paris? Quel homme suis-je? Ai-je du bon sens? Ai-je du bon sens avec profondeur?

      Ai-je un esprit remarquable? En vérité, je n’en sais rien. Encore par ce qui m’arrive au jour le jour, je pense rarement à ces questions fondamentales, et alors mes jugements varient comme mon humeur. Mes jugements ne sont que des aperçus.

      Voyons si, en faisant mon examen de conscience, la plume à la main, j’arriverai à quelque chose de positif et qui reste longtemps vrai pour moi. Que penserai-je de ce que je me sens disposé à écrire en le relisant vers 1835, si je vis? Sera-ce comme pour mes ouvrages imprimés? J’ai un profond sentiment de tristesse quand, faute d’autre livre, je les relis.

      Je sens, depuis un mois que j’y pense, une répugnance réelle à écrire uniquement pour parler de moi, du nombre de mes chemises, de mes accidents d’amour-propre. D’un autre côté, je me trouve loin de la France[27], j’ai lu tous les livres qui ont pénétré dans ce pays. Toute la disposition de mon cœur était d’écrire un livre d’imagination sur une intrigue d’amour arrivée à Dresde, en août 1813, dans une maison voisine de la mienne, mais les petits devoirs de ma place m’interrompent assez souvent, ou, pour mieux dire, je ne puis jamais, en prenant mon papier, être sûr de passer une heure sans être interrompu. Cette petite contrariété éteint net l’imagination chez moi. Quand je reprends ma fiction, je suis dégoûté de ce que je pensais. A quoi un homme sage répondra qu’il faut se vaincre soi-même. Je répliquerai: il est trop tard, j’ai 4. ans; après tant d’aventures, il est temps de songer à achever la vie le moins mal possible.

      Ma principale objection n’était pas la vanité qu’il y a à écrire sa vie. Un livre sur un tel sujet est comme tous les autres; on l’oublie bien vite, s’il est ennuyeux. Je craignais de déflorer les moments heureux que j’ai rencontrés, en les décrivant, en les anatomisant. Or, c’est ce que je ne ferai point, je sauterai le bonheur.

      Le génie poétique est mort, mais le génie du soupçon est venu au monde. Je suis profondément convaincu que le seul antidote qui puisse faire oublier au lecteur les éternels Je que l’auteur va écrire, c’est une parfaite sincérité.

      Aurai-je le courage de raconter les choses humiliantes sans les sauver par des préfaces infinies? Je l’espère.

      Malgré les malheurs de mon ambition, je ne me crois point persécuté par eux, je les regarde comme des machines poussées, en France, par la Vanité et ailleurs par toutes les passions, la vanité y comprise.

      Je ne me connais point moi-même, et c’est ce qui, quelquefois, la nuit, quand j’y pense, me désole. Ai-je su tirer un bon parti des hasards au milieu desquels m’a jeté et la toute-puissance de Napoléon (que toujours j’adorai) en 1810, et la chute que nous fîmes dans la boue en 1814, et notre effort pour en sortir en 1830? Je crains bien que non, j’ai agi par humeur, au hasard. Si quelqu’un m’avait demandé conseil sur ma propre position, j’en aurais souvent donné un d’une grande portée; des amis, rivaux d’esprit, m’ont fait compliment là-dessus.

      En 1814, M. le comte Beugnot, ministre de la police, m’offrit la direction de l’approvisionnement de Paris. Je ne sollicitais rien, j’étais en admirable position pour accepter, je répondis de façon à ne pas encourager M. Beugnot, homme qui a de la vanité comme deux Français; il dut être fort choqué.

      L’homme qui eut cette place s’en est retiré au bout de quatre ou cinq ans, las de gagner de l’argent, et, dit-on, sans voler. L’extrême mépris que j’avais pour les Bourbons—c’était pour moi, alors, une boue fétide—me fit quitter Paris peu de jours après n’avoir pas accepté l’obligeante proposition de M. Beugnot. Le cœur navré par le triomphe de tout ce que je méprisais et ne pouvais haïr, n’était rafraîchi que par un peu d’amour que je commençais à éprouver pour madame la comtesse Dulong, que je voyais tous les jours chez M. Beugnot et qui, dix ans plus tard, a eu une grande part dans ma vie. Alors elle me distinguait, non pas comme aimable, mais comme singulier. Elle me voyait l’ami d’une femme fort laide et d’un grand caractére, madame la comtesse Beugnot. Je me suis toujours repenti de ne pas l’avoir aimée. Quel plaisir de parler avec intimité à un être de cette portée!

      Cette préface est bien longue, je le sens depuis trois pages; mais


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