Couscous Crème fraîche. Iris Maria vom Hof

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Couscous Crème fraîche - Iris Maria vom Hof


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ça sent bon, c’est propre et calme, Katy est hyper fière de son appartement. Elle a trouvé son nid. Séjour, cuisine, chambre et salle de bains. Là-haut, sur la colline de Montreuil, dans la seule tour de la rue Lenain de Tillemont. Avec vue imprenable sur Paris et la Tour Eiffel. Et la nuit, la mer de lumières de la métropole. Wow. Elle a une sacrée vue sur une des plus belles villes du monde. La ville de l’amour et des taxis où les couples s’embrassent sur la banquette arrière. « Sous le ciel de Paris, mmmhmmhmmmm... » +++ Son boulot fixe – elle s’occupait d’un jeune handicapé, François, atteint d’une maladie dégénérative – Katy l’a perdu à cause d’un accident stupide il y a sept ans. Plaque de verglas. Vol plané. Bras cassé, invalide à 14%. La totale. Ça lui a mis un sacré coup. 100% foutue. Ce bras esquinté l’a mise hors jeu. Logique qu’à son âge, elle ne se fasse pas trop d’illusions sur ses chances de retrouver du boulot. Niente. Finito. Le psychologue qu’elle doit aller voir pour toucher sa maigre pension d’invalidité lui sort cette phrase complètement débile : « Madame Ben Ali, il faut vous projeter dans l’avenir, soyez optimiste. » Super. Katy lui rétorque : « Je peux seulement me projeter contre le mur, docteur. » C’est vrai, quoi. « Qu’est-ce que j’ai, comme perspectives ? », grogne-t-elle. « Au mieux je peux mettre une petite annonce : handicapée cherche handicapé. Personne ne me redonnera du travail. » Dès le début, la tronche du psy ne lui est pas revenue. Non mais quel connard arrogant ! Projetez-vous… C’est ça ! Katy aurait bien envie de l’envoyer balader. Ça lui donne la gerbe, ce genre de types. Mais elle ne veut pas risquer de perdre sa pension d’invalidité pour un idiot pareil. C’est mieux comme ça. +++++ La tête enfoncée dans les épaules, les mains dans les poches de son manteau, Katy quitte la station de métro par une des étroites sorties latérales. Elle monte les quelques marches qui mènent à la rue et se hâte vers son arrêt de bus. Elle tourne le coin de la rue et l’aperçoit déjà. Ouf, plus que quelques minutes et le four micro-ondes va lui réchauffer son dîner. Le vent glacial soulève un gobelet qui vient s’écraser sur elle. Un mélange d’eau de pluie et de café froid vient souiller son manteau tout propre. Beurk ! Elle est en train de frotter la tache de café avec un mouchoir quand elle remarque le jeune type dans l’ombre d’un réverbère. Pas sorcier de deviner ses plans. Le sac en crochet qu’elle a fait elle-même ne la désigne pas comme une riche, mais tout le monde a quelques cents sur soi. Ah, tu veux m’enquiquiner, mon petit pote, eh ben vas-y, attaque-toi à la vieille ! Katy ralentit le pas et se retourne lentement. Une minute de plus, et elle voit à qui elle a affaire : parka mouillée. Visage délavé. Cheveux délavés dégoulinants. Jean délavé. Un débutant, quoi! Katy le toise, son visage prend une expression de défi. Comme on pouvait s’y attendre, le voleur du dimanche se met en travers de son chemin avec un sourire insolent. Si tu crois que j’ai peur de toi, se dit Katy avec un petit sourire. Tu te trompes. Femme d’un certain âge, sans défense, type couscous crème fraîche, qui boite. Espèce de petit saligaud. Tu vas être surpris. Katy a un plan. Elle se prépare tranquillement. Le regard baissé, son sac coincé sous le bras, elle attend l’attaque avec le flegme d’un professionnel qui connaît ses atouts. Bon. Le petit boutonneux tire sur la manche de Katy, il essaie d’attraper son sac. +++ « Donne ton sac, la vieille, ou ça va barder ! » Non mais quel empoté, je te jure. Katy le regarde avec de grands yeux en haussant les sourcils. Même sa voix a l’air mouillée. Il va s’étouffer avec sa propre salive. Reste concentrée, se dit Katy, reste concentrée. Non mais quelle agression bidon. Ça suffit, maintenant. Katy plonge résolument les deux mains sous la parka du gamin. Cherche la taille de son pantalon. Tire d’un coup sec sa ceinture vers le haut, lui coinçant les couilles dans son futal. C’était bien plus facile dans les années 80, avec les pantalons à pinces ! Pas évident d’attraper ces jeans qui leur descendent jusqu’aux genoux, de nos jours ! Pfiouu ! Le gamin a eu son compte. Katy s’est parfaitement défendue toute seule. Le petit con titube, s’effondre sur le pavé et se met à couiner comme un rat écrasé. Elle a visé juste, ça se voit. Mais surtout, il est mort de honte, et ça se voit aussi. Laissé sur le carreau par une vieille aux boucles grises, il ne pouvait rien lui arriver de pire. Espèce de petit branleur, se dit Katy en ricanant méchamment. +++ « Alors, t’as rien pu tirer de la vieille, hein ? Pas de chance. Dommage qu’il n’y avait pas un de tes potes pour voir ça. » Katy fait le monstre sans pitié. Le gamin se tourne sur le côté et essaie de se relever en poussant des gémissements. « Bon, mon petit gars, voilà, quoi. » Brasil, lalalalalalalala. Katy bouscule encore un peu le pauvre diable au rythme de la mélodie, avant de lui lancer par-dessus son épaule : « Rira bien qui rira le dernier, espèce de crétin de mongole, tu l’as bien cherché! Je vais te donner un bon conseil. Dorénavant, regarde bien à qui tu as affaire avant de décider si tu dois passer à l’action ou pas. T’as compris ? » +++++ C’est l’heure de pointe et les habituels bouchons sur la route, Katy s’endort à moitié à l’arrière du bus, elle prend une tablette de chewing-gum. Le petit con, il me fait rire, lui ! Venir s’en prendre à moi, qui ai connu des attaques bien pires que ça ! Un petit pisseux comme Laurent, le petit dernier. Et même si aujourd’hui, Katy n’en a plus rien à foutre de sa putain de famille, elle se souvient que le petit dernier, elle l’a toujours protégé. C’est comme si ç’avait été ma destinée, dit Katy, songeuse. Dès que j’ai été assez grande pour le faire, je me suis mise à le materner, je lavais tout ce que je pouvais, ses fringues toutes crades, et son cul aussi. Je passais mes journées à ranger, mais ça ne servait à rien. Bordel. C’était toujours le pur chaos chez nous. Oh oui. C’était dingue, complètement dingue. Pas une seule photo au mur, pas d’album, aucun souvenir ni carte postale. Je pissais vraiment dans un violon, moi. On ne peut pas le dire autrement. Je n’en avais pas rien à foutre, comme mes trois frères. Une fille, ça a besoin de tendresse, d’attention, or on ne m’en donnait jamais. Ça me fait encore mal aujourd’hui. La Cucaracha, la Cucaracha. Quand tu allais au pieu, chez nous, c’étaient les poux et les cafards qui t’attendaient. Beuhhh ! Pendant la journée, on écrasait nos poux entre deux doigts, super, comme activité. Des bêtes de la misère, des putains de monstres ! Le pire, c’était dans la cuisine : il y avait des limaces oranges qui se baladaient un peu partout. Ça faisait un bruit dégueulasse et mouillé quand on marchait dessus. Splotch. Une horreur. Une horreur ! L’espèce de porcherie dans laquelle on vivait était au rez-de-chaussée, c’était super humide. Chez nous, ça puait à la fois la bouffe et le moisi. Et aussi la White Star. Le Ricard. Les menthols de la mère et les Gauloises du père. Les limaces sortaient de sous l’évier. Mon petit frère et moi, on se mettait sous la table de la cuisine, et on les regardait sortir. C’était dans l’appartement du Havre, rue Turenne. Enfin. On était les premiers à avoir une télé et un frigo avec congélateur. Pas de machine à laver. Mais un lave-vaisselle qui n’a jamais marché. On était une vraie famille de dingues, il fallait le voir pour le croire. Je n’oublierai jamais comment Laurent, qui n’était pas le plus courageux, a un jour grimpé au rideau de la chambre et s’est laissé tomber sur moi. Il avait trois ans et moi quatre. A peu près. Boum. J’étais sur le pot, et je me suis retrouvée coincée dedans. Comme une tortue sur le dos, les quatre fers en l’air. Rien à faire, j’étais coincée, et Laurent n’arrivait pas à me tirer de là. Mon frère a dû appeler Nina à la rescousse, la voisine d’en face, elle est venue tout de suite et elle m’a sortie de là. Nina a couvert pas mal de nos conneries. Quelle famille de merde ! La même bande d’asociaux qu’à la station de métro. Katy ferme les yeux un moment. Oh oui. Finito. Elle n’a plus rien à voir avec eux.

      Violence bestiale

      Le Havre, Mai 1968 +++++ Katy entend son père fermer la porte de l’appartement à clé. Il boucle tout le soir, pour que personne ne puisse se barrer. Katy n’est encore qu’une gamine, elle a le torse aussi plat que celui de ses frères. Elle a neuf ans et demi, pas encore de nichons, juste deux tétons tout riquiqui. Elle n’a pas encore de poils sur le pubis, elle a les cuisses minces d’une enfant. Katy disparaît sous sa couverture légère et essaie de dormir, mais pas moyen. La radio de la cuisine est à fond, c’est « Jeune homme », le tube de Johnny Halliday. Une image refait surface, celle de la première fois qu’elle s’est réveillée avec un de ses frères entre les jambes. Elle est envahie par la peur, la culpabilité,


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