Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz
Читать онлайн книгу.assistait au concert; deux jours après, il écrivit à son protégé le billet suivant23:
«Mon cher ami, Beethoven mort, il n'y avait que Berlioz qui put le faire revivre; et moi qui ai goûté vos divines compositions dignes d'un génie tel que vous, je crois de mon devoir de vous prier de vouloir bien accepter, comme un hommage de ma part, vingt mille francs qui vous seront remis sur la présentation de l'incluse. Croyez-moi toujours votre affectionné.»Nicolo Paganini.»
Voici la réponse de Berlioz:
«O digne et grand artiste,
»Comment vous exprimer ma reconnaissance!!! Je ne suis pas riche, mais, croyez-moi, le suffrage d'un homme de génie tel que vous me touche mille fois de plus que la générosité royale de votre présent.
»Les paroles me manquent, je courrai vous embrasser dès que je pourrai quitter mon lit, où je suis encore retenu aujourd'hui.»H. Berlioz.»
Jules Janin, un ami de la première et de la dernière heure, écrivit de son côté la lettre qu'on va lire24:
«Cher Berlioz,
»Il faut absolument que je vous dise tout mon bonheur en lisant ce matin cette belle et bonne lettre de change et de gloire que vous recevez de l'illustre Paganini. Je ne vous parle pas, je ne parle pas seulement de cette fortune qu'il vous donne, trois années de loisir, le temps de faire des chefs-d'œuvre, je parle de ce grand nom de Beethoven par lequel il vous salue. Et quel plus noble démenti à donner aux petits-maîtres et aux petites-maîtresses qui n'ont pas voulu reconnaître votre Cellini comme le frère de Fidelio! Donc, que Paganini soit loué comme le méritent ses belles actions, et qu'il soit désormais inviolable; il a été grand et généreux pour vous, plus généreux que pas un roi, pas un ministre, pas même un artiste de l'Europe, les véritables rois du monde. Il vous a appuyé de son approbation et de sa fortune; c'est maintenant plus que jamais qu'il faut louer ce grand musicien qui vous tend la main.
»Cher Berlioz, je vous embrasse bien tendrement, dans toute la joie de mon cœur.
Paganini n'avait pas affaire à un ingrat.
D'abord, Berlioz lui dédia sa symphonie de Roméo et Juliette; puis, il traduisit l'ode italienne que le poëte Romani avait écrite en l'honneur du roi des violonistes, après un concert donné par ce dernier au théâtre Carignano, à Turin. L'ode de Romani est peu connue, la traduction en est oubliée tout à fait; ce poétique morceau méritait un meilleur sort. On en jugera par les strophes suivantes:
«Oh! qui me rendra un seul des sons fugitifs que verse ton archet comme un torrent de splendeurs éthérées? Peut-être, ô souffles des airs, de ces lieux où ils se perdraient épars, les reportez-vous au ciel conservateur de toute mélodie? Oh! dans quel astre d'amour les déposez-vous afin de rendre et plus douces et plus joyeuses les évolutions de sa sphère radieuse? Oh! laissez-moi me désaltérer dans cette source pure d'immortelle harmonie? que je m'y plonge et que j'y nage avec ivresse comme l'alcyon au sein des mers, comme le cygne au sein des lacs!
»Vains désirs! l'homme ne se délivre point du poids qui l'attache à la terre; l'aile rapide du son ne saurait être liée… Que le souvenir nous charme encore, puisqu'il est tout ce que nous pouvons conserver. Lui, du moins, sera impérissable, ô Paganini! et les symphonies divines échappées de tes cordes émues retentiront dans nos cœurs et dans notre mémoire comme un bien qui n'est plus, mais que l'on sent toujours!..
»Les nations qui sont par delà les Alpes et par delà les mers s'étonnaient, et la mère des chants, l'Italie elle-même, au bruit de ces mélodies inouïes, s'étonnait, comme firent les Thraces, quand, guidés par la lyre divine, faveur d'une déesse, ils serrèrent entre eux les premiers nœuds fraternels. Oui, tous étaient frappés d'étonnement, car des mains habiles et célestes avaient posé si loin les bornes de l'art, qu'il ne semblait plus possible de les reculer. Tous admiraient la puissance créatrice et souveraine donnée à un archet, et quand ils voulurent comparer, toutes les cordes qui, jusque-là, avaient vibré devant eux, leur parurent sourdes et inertes…
»Tout ce que la terre et le ciel et les flots ont de voix, tout ce que la douleur, la joie et la colère ont d'accents, tout est là dans le sein de ce bois creux; c'est la harpe qui frémit et mêle ses soupirs aux nocturnes soupirs de la lyre d'Éolie, aux plaintes du vent parmi les branches et les feuilles; c'est le pâtre entonnant sa chanson rustique en rassemblant son troupeau; c'est le ménestrel invitant à la danse; c'est la vierge se plaignant de ses peines à la lune silencieuse; c'est le cri d'angoisse d'un cœur séparé du cœur qu'il aime; c'est le badinage, c'est le charme, c'est la vie, c'est le baiser…
»Sur cette corde sont d'autres notes… que peut seul connaître le génie audacieux qui la tend et la modère; mais l'Italie un jour avec transport les entendra…»
Nous avons emprunté ce morceau à un recueil, la Gazette musicale, qui fut, pour ainsi dire, le journal officiel de Berlioz, pendant vingt ans.
La Gazette musicale, fondée en 1834 par l'éditeur Schlesinger et continuée depuis par les frères Brandus, venait à un moment propice; cette année était une année féconde pour l'art. Victor Hugo publiait Claude Gueux dans la Revue de Paris, Alfred de Musset jetait au vent les pages légères de Fantasio, Halévy donnait à l'Opéra-Comique les Souvenirs de Lafleur et surveillait à l'Opéra les répétitions de la Juive, Ingres peignait les portraits de M. Bertin et du comte Molé, Jules Janin passionnait Paris avec ses feuilletons étincelants, un journal littéraire, le Protée, paraissait sous les auspices de Louis Desnoyers et de Léon Gozlan, que les compositeurs d'imprimerie ne connaissaient pas bien encore; car ils écrivaient ainsi son nom: Gorian ou Gozean. La Gazette musicale obtint tout de suite un vif succès, mêlé de scandale. Le gérant de la Gazette, M. Schlesinger, fut attaqué dans une salle de concert par un élève de M. Herz, nommé Billard, et un duel s'ensuivit; M. Billard fut atteint au bas ventre; heureusement que la balle, amortie, ne produisit qu'une violente contusion.
Les articles de Berlioz dans la Gazette musicale sont nombreux; nous signalerons spécialement le compte rendu de la première représentation de l'opéra des Huguenots, qui devait s'appeler primitivement la Saint-Barthélemy, et dont le rôle de basse, illustré par Levasseur, devait être confié à Serda. Pendant les répétitions, on ne croyait guère au succès de l'ouvrage; le chef d'orchestre s'arrêtait souvent pour dire à Meyerbeer: – Ce passage-là n'a pas le sens commun. – Eh bien! répliquait Meyerbeer de sa voix flûtée et avec un léger accent gascon, si ma musique n'a pas le sens commun, c'est qu'elle en a un autre25.
En fait de critique, on a généreusement prêté à Berlioz les opinions les plus saugrenues; il aimait les Huguenots, il aimait Guillaume Tell; il n'a jamais écrit sur le Pré aux Clercs le fameux article qu'on lui a tant reproché. En veut-on la preuve? Qu'on se donne la peine d'ouvrir le Journal des Débats du 15 mars 1869, Jules Janin s'y avoue coupable du méfait dont un innocent, pendant un quart de siècle, a été victime:
«Certains critiques ont reproché à Berlioz d'avoir mal parlé d'Hérold et du Pré aux Clercs. Ce n'est pas Berlioz, c'est un autre, un jeune homme ignorant et qui ne doutait de rien en ce temps-là, qui, dans un feuilleton misérable, a maltraité le chef-d'œuvre d'Hérold. Il s'en repentira toute sa vie. Or cet ignorant s'appelait (j'en ai honte!) il faut bien en convenir… Monsieur, Jules Janin.»
Malgré cette déclaration formelle, on trouvera encore des obstinés qui parleront avec horreur du feuilleton sur le Pré aux Clercs.
Mais Berlioz n'aimait pas Mozart?
Il ne l'aimait pas?.. Nous allons citer ses propres paroles au sujet d'Idoménée: «Mozart… Raphael!.. Quel miracle de beauté qu'une telle musique! comme c'est pur! quel parfum d'antiquité! C'est grec, c'est incontestablement grec, comme l'Iphigénie
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Mio caro amico, Beethoven estinto, non c'era che Berlioz che potesse farlo revivere; ed io che ho gustalo le vostre divine composizioni, degne di un genio qual siete, credo mio dovere di pregarvi a voller accettare in segno del mio omaggio venti mila franchi i quali vi saranno rimessi dal signor baron de Rothschild, dopo che gli avrete presentato l'acclusa. Credete mi sempre, il vostro affetionatissimo amico.
Parigi, le 18 décembre 1838.
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