Le renard. Johann Wolfgang von Goethe

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Le renard - Johann Wolfgang von Goethe


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car parfois les prêtres ont de la malice en tête.»

      Alors le rusé renard répliqua: «Qui peut le savoir! Avez-vous peur? Alors nous nous en retournerons; ma femme vous recevra honorablement, elle vous fera un dîner agréable, et, si ce ne sont pas des souris, nous ne le mangerons pas moins de bon cœur.»

      À ces mots ironiques de Reineke, Hinzé le chat sauta dans le trou et tomba dans le piège. Telle fut l'hospitalité que Reineke offrit à son hôte.

      Lorsque Hinzé se sentit la corde au cou, il tressaillit; la peur le saisit; il se démena et bondit avec force: alors le nœud se rétrécit. Il appela Reineke d'une voix lamentable; mais lui l'écoutait à l'autre côté du trou et se réjouissait malignement; il lui glissa ces paroles dans l'ouverture: «Hinzé, comment trouvez-vous les souris? Elles sont engraissées, je crois. Si Martinet savait seulement que vous mangez de ce gibier, certainement il vous apporterait de la moutarde; c'est un enfant plein d'attentions. Est-ce que l'on chante ainsi à la cour pendant le dîner? Je n'aime pas cette musique. Si seulement Isengrin était dans ce trou pris au piège comme vous, il me payerait tout le mal qu'il m'a fait!» Et Reineke s'en alla.

      Mais il ne s'en alla pas pour se livrer à ses voleries ordinaires; pour lui, l'adultère, le vol, le meurtre et la trahison n'étaient pas des péchés; et il s'était mis en tête une autre aventure. Il voulait visiter la belle Girmonde, dans une double intention. D'abord, il espérait apprendre d'elle ce dont Isengrin l'accusait; puis le scélérat voulait renouveler ses vieux péchés. Isengrin était parti pour la cour et il voulait en profiter; car qui en doute? la passion de la louve pour l'infâme renard avait allumé la colère du loup. Reineke entra dans l'appartement de la dame; elle n'était pas à la maison. «Bonjour, petits bâtards,» dit-il, ni plus ni moins, aux enfants en les saluant, et il s'en alla à ses affaires.

      Lorsque dame Girmonde rentra le matin, elle dit: «Est-ce que personne n'est venu me demander? – Notre parrain Reineke vient de sortir à l'instant; il avait à vous parler. Tous, tant que nous sommes ici, il nous a appelés ses petits bâtards – Il me le payera!» s'écria Girmonde. Et vite elle courut se venger de cette injure à l'instant même. Elle savait où le trouver; elle l'atteignit et l'apostropha ainsi en colère: «Qu'avez-vous dit? quelles sont ces paroles injurieuses que vous avez prononcées effrontément devant mes enfants? Vous me le payerez!» Telles furent ses paroles. Elle lui montre un visage enflammé de colère, elle le prend par la barbe; il sent la vigueur de ses dents, se sauve et cherche à lui échapper; elle s'élance rapidement sur ses pas. Or, voici ce qui en advint. Il y avait dans le voisinage un château en ruine: ils y entrèrent tous les deux en courant; le mur d'une des tours était crevassé de vieillesse. Reineke s'y glissa; mais ce ne fut pas sans peine, car la crevasse était étroite. La louve s'y précipita aussi la tête la première; grande et forte, comme elle était, elle entra, poussa, tira, voulut poursuivre, s'enfonça toujours plus avant, si bien qu'à un moment elle ne pouvait plus ni avancer ni reculer. Ce que voyant Reineke, il courut par un détour de l'autre côté, revint près d'elle et lui donna de la besogne. Mais elle ne se fit pas faute de paroles d'injures: «Tu te conduis comme un filou!» Et Reineke répondait: «Si l'on n'a jamais vu pareille chose, eh bien, on la voit maintenant.»

      On gagne peu à oublier sa femme avec celles des autres, ainsi que faisait Reineke. Mais tout était bon à ce scélérat. Quand la louve put se dégager de la crevasse, Reineke était déjà bien loin et courait à ses affaires. C'est ainsi que la louve, qui songeait à se faire justice elle-même, pour défendre son honneur, le perdit doublement.

      Mais retournons auprès de Hinzé. Le pauvre diable, quand il se sentit pris, se mit à geindre à la façon des chats d'une manière lamentable. Martinet l'entendit et sauta hors du lit. «Dieu soit loué, dit-il, j'ai dressé mon piège à temps; le voleur est pris, je pense; il faut qu'il paye pour le poulet.» Martinet, plein de joie, allume vite une chandelle (tout le monde dormait à la maison), éveille son père, sa mère et tous les domestiques en criant: «Le renard est pris, son affaire est claire.» Tous, grands et petits, arrivèrent; le curé lui-même se leva et s'enveloppa d'un manteau; la cuisinière le précédait avec deux lanternes; et Martinet, qui était armé d'un bâton, se jeta sur le chat et le bâtonna si bien, qu'il lui creva un œil. Tous se ruèrent aussitôt sur lui; le curé, armé d'une fourche, se précipita sur Hinzé, qu'il croyait le voleur. Hinzé, pensant mourir, s'élança d'un bond désespéré entre les cuisses du prêtre, mordit, égratigna, maltraita horriblement le pauvre curé et vengea ainsi cruellement la perte de son œil. Le curé jeta les hauts cris et tomba à terre sans connaissance. La cuisinière, sans y songer, se désolait, en disant que c'était pour lui jouer un tour à elle-même que le diable avait mis le curé dans cet état. Elle jura deux et trois fois qu'elle eût mieux aimé perdre tout son petit bien plutôt que de voir un pareil malheur à son maître. «Oui, disait-elle avec force serments, j'aurais mieux aimé perdre tout un trésor, si je l'avais eu, et je l'aurais perdu sans regrets.» C'est ainsi qu'elle déplore le malheur de son maître et ses graves blessures. Enfin, ils le portent en gémissant sur son lit, laissant Hinzé avec sa corde au cou, car ils l'avaient oublié.

      Lorsque le chat, dans sa détresse, se vit tout seul, roué de coups, grièvement blessé et si près de la mort, l'amour de la vie l'emporta; il se jeta sur la corde et se mit à la ronger. «Pourrai-je m'en tirer jamais?» se disait-il; et il réussit à couper la corde. Jugez de son bonheur! Il se hâta de fuir la place où il avait tant souffert. Il se précipita hors du trou et se dirigea rapidement vers la cour du roi, où il arriva de grand matin. Il se faisait d'amers reproches. «C'est donc ainsi que le diable s'est joué de toi par la ruse du perfide Reineke! il faut donc que tu reviennes ainsi couvert de honte, borgne et roué de coups! Tu devrais te cacher!»

      La colère du roi fut terrible. Il jura de faire périr ce traître de Reineke sans miséricorde. Il fit convoquer son conseil; ses barons, ses ministres se rendirent auprès de lui; et il leur demanda comment il fallait s'y prendre pour réduire enfin le rebelle couvert de tant de crimes. Comme les accusations pleuvaient de plus belle sur Reineke, Grimbert le blaireau prit la parole: «Il se peut qu'il y ait dans cette assemblée plusieurs seigneurs qui aient à se plaindre de Reineke; mais il ne se trouvera personne qui veuille oublier les privilèges de tout homme libre. Il faut le citer une troisième fois. Alors, s'il ne vient pas, la loi pourra le frapper.» Le roi répondit: «Je crains bien de ne pas trouver de messager pour porter la troisième injonction à ce rusé coquin. Qui est-ce qui a un œil de trop? qui est-ce qui est assez téméraire pour risquer sa vie auprès de cet architraître et, en fin de compte, pour ne pas l'amener? Personne, du moins je le suppose.»

      Le blaireau répliqua à haute voix: «Sire, si vous l'exigez, je me chargerai du message, quoi qu'il arrive. Voulez-vous m'envoyer officiellement? ou bien dois-je partir comme si je venais de mon propre mouvement? Vous n'avez qu'à ordonner.» Alors le roi le congédia en lui disant: «Partez donc! vous avez entendu tous les griefs; mettez-vous à l'œuvre avec prudence; car vous avez affaire à un homme dangereux.» Et Grimbert dit: «Je veux pourtant l'essayer; j'espère réussir à vous le ramener.»

      C'est ainsi qu'il partit pour le château de Malpertuis; il y trouva Reineke avec sa femme et ses enfants; et il lui dit: «Mon oncle Reineke, je vous salue! Vous êtes un homme savant, sage, prudent: et nous sommes tous étonnés de vous voir mépriser, je dirai même bafouer l'injonction du roi. Ne vous semble-t-il pas qu'il est temps d'en finir? Les plaintes et les mauvais bruits ne font que grandir de tous côtés. Je vous le conseille, venez à la cour avec moi, sans plus de délais. Beaucoup, beaucoup de griefs ont été portés devant le roi; aujourd'hui, l'on vous invite à paraître pour la troisième fois; si vous ne venez pas, vous serez condamné. Alors, le roi, à la tête de ses vassaux, viendra vous assiéger dans votre fort de Malpertuis; et vous périrez, corps et biens, vous, votre femme et vos enfants. Vous n'échapperez pas au roi; c'est pourquoi, faites ce qu'il y a de mieux à faire, venez avec moi à la cour! Vous ne manquerez pas de détours pleins de ruses; ils sont déjà prêts et vous vous sauverez; car déjà plus d'une fois, aux assises de la justice, vous avez eu à passer par des épreuves plus difficiles et toujours vous vous en êtes tiré heureusement en confondant vos ennemis.» Tel fut le discours de Grimbert, et telle fut la réponse de Reineke: «Mon neveu, vous avez raison de me conseiller de me rendre à la cour pour


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