La San-Felice, Tome 02. Dumas Alexandre

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La San-Felice, Tome 02 - Dumas Alexandre


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c'est la première fois que je l'entends prononcer… Ah! Madonna del Carmine!

      – Qu'y a-t-il? demanda Cirillo.

      – Il y a qu'ils me font mal en me déshabillant.

      Cirillo tira sa trousse, y prit un bistouri et fendit la culotte, la veste et la chemise du sbire, de manière à mettre à découvert tout son flanc gauche.

      – A la bonne heure! dit le blessé, voilà un valet de chambre qui s'y entend. Si vous savez aussi bien recoudre que couper, vous êtes un habile homme, docteur!

      Puis, montrant la plaie qui s'ouvrait entre les fausses côtes:

      – Tenez, c'est là, dit-il.

      – Je vois bien, dit le docteur.

      – Mauvais endroit, n'est-ce pas?

      – Lavez-moi cette blessure-là avec de l'eau fraîche, et le plus doucement que vous pourrez, dit le docteur à la maîtresse de la maison. Avez-vous du linge bien doux?

      – Pas trop, dit celle-ci.

      – Tenez, voilà mon mouchoir; pendant ce temps-là, on ira chez le pharmacien chercher l'ordonnance que voici.

      Et, au crayon, il écrivit en effet une potion cordiale calmante, composée d'eau simple, d'acétate d'ammoniaque et de sirop de cédrat.

      – Et qui payera? demanda la femme tout en lavant la plaie avec le mouchoir du docteur.

      – Pardieu! moi, dit Cirillo.

      Et il mit une pièce de monnaie dans l'ordonnance, en disant au second bambin:

      – Cours vite! le reste de la monnaie sera pour toi.

      – Docteur, dit le sbire, si j'en reviens, je me fais moine et je passe ma vie à prier pour vous.

      Le docteur, pendant ce temps, avait tiré de sa trousse une sonde d'argent; il s'approcha du blessé.

      – Ah cà! lui dit-il, mon brave, il s'agit d'être homme.

      – Vous allez sonder ma blessure?

      – Il le faut bien, pour savoir à quoi s'en tenir.

      – Est-il permis de jurer?

      – Oui; seulement, on vous écoute et l'on vous regarde. Si vous criez trop, on dira que vous êtes douillet; si vous jurez trop, on dira que vous êtes impie.

      – Docteur, vous avez parlé d'un cordial. Je ne serais pas fâché d'en prendre une cuillerée avant l'opération.

      L'enfant rentra tout essoufflé, tenant une petite bouteille à la main.

      – Mère, dit-il, il y a eu six grains pour moi.

      Cirillo lui prit la bouteille des mains.

      – Une cuiller, dit-il.

      On lui donna une cuiller; il y versa ce qu'elle pouvait contenir du cordial et le fit boire au blessé.

      – Tiens! dit celui-ci après un instant, cela me fait du bien.

      – C'est pour cela que je vous le donne.

      Puis, après quelques secondes:

      – Maintenant, dit gravement Cirillo, êtes-vous prêt?

      – Oui, docteur, dit le blessé; allez, je tâcherai de vous faire honneur.

      Le docteur enfonça lentement, mais d'une main ferme, la sonde dans la blessure. Au fur à mesure que l'instrument disparaissait dans la plaie, le visage du patient se décomposait; mais il ne poussa pas une plainte. La souffrance et le courage étaient si visibles, qu'au moment où le docteur retira sa sonde, un murmure d'encouragement sortit de la bouche des soldats qui assistaient curieusement à ce sombre et émouvant spectacle.

      – Est-ce cela, docteur? demanda le sbire tout orgueilleux de lui-même.

      – C'est plus que je n'attendais du courage d'un homme, mon ami, répondit Cirillo en essuyant avec la manche de son habit la sueur de son front.

      – Eh bien, donnez-moi à boire, ou je vais me trouver mal, dit le blessé d'une voix éteinte.

      Cirillo lui donna une seconde cuillerée du cordial.

      Non-seulement la blessure était grave; mais, comme l'avait jugé le blessé lui-même, elle était mortelle.

      La pointe du sabre avait pénétré entre les fausses côtes, avait touché l'aorte thoracique et traversé le diaphragme; tous les secours de l'art, en diminuant l'hémorrhagie par la compression, devaient se borner à prolonger de quelques instants la vie, voilà tout.

      – Donnez-moi du linge, dit Cirillo en regardant autour de lui.

      – Du linge? dit l'homme. Nous n'en avons pas.

      Cirillo ouvrit une armoire, y prit une chemise et la déchira par petits morceaux.

      – Eh bien, que faites-vous donc? cria l'homme. Vous déchirez mes chemises, vous!

      Cirillo tira deux piastres de sa poche et les lui donna.

      – Oh! à ce prix-là, dit l'homme, vous pouvez les déchirer toutes.

      – Dites donc, docteur, fit le blessé, si vous avez beaucoup de pratiques comme moi, vous ne devez pas vous enrichir.

      Avec une partie de la chemise, Cirillo fit un tampon; avec l'autre, une bande.

      – Maintenant, vous sentez-vous mieux? demanda-t-il au blessé.

      Celui-ci respira longuement et avec hésitation.

      – Oui, dit-il.

      – Alors, dit l'officier, vous pouvez répondre à mes questions?

      – A vos questions? Pour quoi faire?

      – J'ai mon procès-verbal à rédiger.

      – Ah! dit le blessé, votre procès-verbal, je vais vous le dicter en quatre mots. Docteur, une cuillerée de votre affaire.

      Le sbire but une cuillerée de cordial et reprit:

      – Moi, sixième, nous attendions un jeune homme pour l'assassiner; il a tué l'un de nous, il en a blessé trois, et je suis l'un des trois blessés: voilà tout.

      On comprend avec quelle attention Cirillo avait écouté la déclaration du mourant; ses soupçons étaient donc fondés: ce jeune homme que les sbires attendaient pour l'assassiner, sans aucun doute c'était Salvato Palmieri; d'ailleurs, quel autre que lui pouvait mettre hors de combat quatre hommes sur six?

      – Et quels sont les noms de vos compagnons? demanda l'officier.

      Le blessé fit une grimace qui ressemblait à un sourire.

      – Ah! pour cela, dit-il, vous êtes trop curieux, mon bon ami. Si vous les savez par quelqu'un, ce ne sera point par moi; puis, quand je vous les dirais, cela ne vous servirait pas à grand'chose.

      – Cela me servirait à les faire arrêter.

      – Croyez-vous? Eh bien, je vais vous dire quelqu'un qui les sait, leurs noms; libre à vous d'aller les lui demander.

      – Et quel est ce quelqu'un?

      – Pasquale de Simone. Voulez-vous son adresse? Basso-Porto, au coin de la rue Catalana.

      – Le sbire de la reine! murmurèrent à demi-voix les assistants.

      – Merci, mon ami, dit l'officier; mon procès-verbal est fait.

      Puis, s'adressant à la patrouille:

      – Allons, en route! dit-il; depuis une heure, nous perdons notre temps ici.

      Et on entendit le froissement des armes et le bruit mesuré des pas qui s'éloignaient.

      Cirillo resta debout près du blessé.

      – Les avez-vous vus, dit le sbire, comme ils ont décampé?

      – Oui, répondit Cirillo, et je comprends que vous n'ayez rien voulu dire qui compromit vos camarades; mais, à moi, refuserez-vous


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