Les Quarante-Cinq — Tome 2. Dumas Alexandre

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Les Quarante-Cinq — Tome 2 - Dumas Alexandre


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point du jour le trouva sur la route, en proie à des inquiétudes qui grandissaient d'instants en instants. Deux tentatives avaient échoué heureusement; une troisième pouvait lui être funeste.

      A ce moment il eût composé avec tous les Guisards, quitte à leur conter les bourdes qu'il savait si bien inventer.

      Un bouquet de bois lui donnait des appréhensions difficiles à décrire; un fossé lui faisait courir des frissons par tout le corps; une muraille un peu haute était sur le point de le faire retourner en arrière.

      De temps en temps il se promettait, une fois à Orléans, d'envoyer au roi un courrier pour demander de ville en ville une escorte.

      Mais comme jusqu'à Orléans la route fut déserte et parfaitement sûre, Chicot pensa qu'il aurait inutilement l'air d'un poltron, que le roi perdrait sa bonne opinion de Chicot, et qu'une escorte serait bien gênante; d'ailleurs cent fossés, cinquante haies, vingt murs, dix taillis avaient déjà été passés sans que le moindre objet suspect se fût montré sous les branches ou sur les pierres.

      Mais, après Orléans, Chicot sentit ses terreurs redoubler; quatre heures approchaient, c'est-à-dire le soir. La route était fourrée comme un bois, elle montait comme une échelle; le voyageur, se détachant sur le chemin grisâtre, apparaissait pareil au More d'une cible, à quiconque se fût senti le désir de lui envoyer une balle d'arquebuse.

      Tout à coup Chicot entendit au loin un certain bruit semblable au roulement que font sur la terre sèche les chevaux qui galopent.

      Il se retourna, et au bas de la côte dont il avait atteint la moitié, il vit des cavaliers montant à toute bride.

      Il les compta; ils étaient sept.

      Quatre avaient des mousquets sur l'épaule.

      Le soleil couchant tirait de chaque canon un long éclat d'un rouge de sang.

      Les chevaux de ces cavaliers gagnaient beaucoup sur le cheval de Chicot. Chicot d'ailleurs ne se souciait pas d'engager une lutte de rapidité dont le résultat eût été de diminuer ses ressources en cas d'attaque.

      Il fit seulement marcher son cheval en zig-zags, pour enlever aux arquebusiers la fixité du point de mire.

      Ce n'était point sans une profonde intelligence de l'arquebuse en général, et des arquebusiers en particulier, que Chicot employait cette manoeuvre; car au moment où les cavaliers se trouvaient à cinquante pas de lui, il fut salué par quatre coups qui, suivant la direction dans laquelle tiraient les cavaliers, passèrent droit au-dessus de sa tête.

      Chicot s'attendait, comme on l'a vu, à ces quatre coups d'arquebuse; aussi avait-il fait son plan d'avance. En entendant siffler les balles, il abandonna les rênes et se laissa glisser à bas de son cheval. Il avait eu la précaution de tirer son épée du fourreau, et tenait à la main gauche une dague tranchante comme un rasoir, et pointue comme une aiguille.

      Il tomba donc, disons-nous, et cela, de telle façon que ses jambes fussent des ressorts pliés, mais prêts à se détendre; en même temps, grâce à la position ménagée dans la chute, sa tête se trouvait garantie par le poitrail de son cheval.

      Un cri de joie partit du groupe des cavaliers qui, en voyant tomber Chicot, crut Chicot mort.

      — Je vous le disais bien, imbécile, dit en accourant au galop un homme masqué; vous avez tout manqué, parce qu'on n'a pas suivi mes ordres à la lettre. Cette fois le voici à bas: mort ou vif, qu'on le fouille, et s'il bouge qu'on l'achève.

      — Oui, monsieur, répliqua respectueusement un des hommes de la foule.

      Et chacun mit pied à terre, à l'exception d'un soldat qui réunit toutes les brides et garda tous les chevaux.

      Chicot n'était pas précisément un homme pieux; mais, dans un pareil moment, il songea qu'il y a un Dieu, que ce Dieu lui ouvrait les bras, et qu'avant cinq minutes peut-être le pécheur serait devant son juge.

      Il marmotta quelque sombre et fervente prière qui fut certainement entendue là-haut.

      Deux hommes s'approchèrent de Chicot; tous deux avaient l'épée à la main.

      On voyait bien que Chicot n'était pas mort, à la façon dont il gémissait.

      Comme il ne bougeait pas et ne s'apprêtait en rien à se défendre, le plus zélé des deux eut l'imprudence de s'approcher à portée de la main gauche; aussitôt la dague poussée comme par un ressort, entra dans sa gorge où la coquille s'imprima comme sur de la cire molle. En même temps la moitié de l'épée que tenait la main droite de Chicot disparut dans les reins du second cavalier qui voulait fuir.

      — Tudieu! cria le chef, il y a trahison: chargez les arquebuses; le drôle est bien vivant encore.

      — Certes oui, je suis encore vivant, dit Chicot dont les yeux lancèrent des éclairs; et, prompt comme la pensée, il se jeta sur le cavalier chef, lui portant la pointe au masque.

      Mais déjà deux soldats le tenaient enveloppé: il se retourna, ouvrit une cuisse d'un large coup d'épée et fut dégagé.

      — Enfants! enfants! cria le chef, les arquebuses, mordieu!

      — Avant que les arquebuses soient prêtes, dit Chicot, je t'aurai ouvert les entrailles, brigand, et j'aurai coupé les cordons de ton masque, afin que je sache qui tu es.

      — Tenez ferme, monsieur, tenez ferme et je vous garderai, dit une voix qui fit à Chicot l'effet de descendre du ciel.

      C'était la voix d'un beau jeune homme, monté sur un bon cheval noir. Il avait deux pistolets à la main, et criait à Chicot:

      — Baissez-vous, baissez-vous morbleu! mais baissez-vous donc.

      Chicot obéit.

      Un coup de pistolet partit, et un homme roula aux pieds de Chicot, en laissant échapper son épée.

      Cependant les chevaux se battaient; les trois cavaliers survivants voulaient reprendre les étriers, et n'y parvenaient pas; le jeune homme tira, au milieu de cette mêlée, un second coup de pistolet qui abattit encore un homme.

      — Deux à deux, dit Chicot; généreux sauveur, prenez le vôtre, voici le mien.

      Et il fondit sur le cavalier masqué, qui, frémissant de rage ou de peur, lui tint tête cependant comme un homme exercé au maniement des armes.

      De son côté le jeune homme avait saisi à bras le corps son ennemi, l'avait terrassé sans même mettre l'épée à la main, et le garrottait avec son ceinturon, comme une brebis à l'abattoir.

      Chicot, en se voyant en face d'un seul adversaire, reprenait son sang- froid et par conséquent sa supériorité.

      Il poussa rudement son ennemi, qui était doué d'une corpulence assez ample, l'accula au fossé de la route, et, sur une feinte de seconde, lui porta un coup de pointe au milieu des côtes.

      L'homme tomba.

      Chicot mit le pied sur l'épée du vaincu pour qu'il ne pût la ressaisir, et de son poignard coupant les cordons du masque:

      — Monsieur de Mayenne!.. dit-il; ventre de biche! je m'en doutais.

      Le duc ne répondit pas; il était évanoui, moitié de la perte de son sang, moitié du poids de la chute.

      Chicot se gratta le nez, selon son habitude lorsqu'il avait à faire quelque acte de haute gravité; puis, après la réflexion d'une demi-minute, il retroussa sa manche, prit sa large dague, et s'approcha du duc pour lui trancher purement et simplement la tête.

      Mais alors il sentit un bras de fer qui étreignait le sien, et entendit une voix qui lui disait:

      — Tout beau, monsieur! on ne tue pas un ennemi à terre.

      — Jeune homme, répondit Chicot, vous m'avez sauvé la vie, c'est vrai: je vous


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